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Le Maroc peut-il réussir une Bourse publique des entreprises d’État ?


le Vendredi 18 Juillet 2025



Le Maroc peut-il réussir une Bourse publique des entreprises d’État ?
Introduire certaines entreprises publiques en Bourse est à l’étude. L’objectif : transparence, financement, et ancrage citoyen. Mais les obstacles restent nombreux.
C’est une idée qui revient régulièrement dans les cercles économiques marocains : ouvrir le capital de certaines entreprises publiques à la Bourse de Casablanca. Longtemps perçue comme un horizon lointain ou un tabou politique, cette option devient aujourd’hui un véritable outil stratégique dans le cadre de la nouvelle politique actionnariale de l’État, portée par l’ANGSPE.

L’introduction en Bourse d’opérateurs publics, partielle et sélective, est envisagée non comme une fin en soi, mais comme un levier pour mobiliser des capitaux, renforcer la transparence et améliorer la gouvernance. Une idée ambitieuse… mais qui suppose de réunir plusieurs conditions.

​Une vieille idée remise au goût du jour

Ce n’est pas la première fois que le Maroc évoque ce type de scénario. Dans les années 2000, plusieurs privatisations avaient débouché sur des introductions en Bourse réussies (IAM, CGI, Marsa Maroc). Mais depuis une décennie, le processus s’est essoufflé, au point que la Bourse de Casablanca reste dominée par une poignée de grandes entreprises privées.

Dans le rapport 2023-2024 sur l’État actionnaire, l’ANGSPE relance la réflexion. L’idée n’est pas de livrer à la spéculation les opérateurs publics essentiels, mais d’utiliser les marchés financiers comme un outil de levée de fonds et de contrôle citoyen. Une participation de 20 à 30 %, par exemple, permettrait à l’État de garder la main tout en envoyant un signal fort de confiance et de transparence.

​Pourquoi introduire des EEP en Bourse ?

Les avantages sont multiples. Sur le plan financier, l’introduction en Bourse permet à une entreprise publique de lever des capitaux propres sans creuser la dette de l’État ni augmenter la pression fiscale. Cela permet aussi d’associer les citoyens, les institutionnels et les épargnants marocains à la propriété d’un actif stratégique.

C’est également un outil de discipline managériale. Une entreprise cotée est tenue de publier ses résultats, de tenir des assemblées générales, de respecter les règles de gouvernance et de performance exigées par le marché.

Enfin, c’est un levier de valorisation du patrimoine public. Une cotation permet d’attribuer une valeur réelle, observable, à des actifs longtemps gérés de manière opaque ou administrative.

​Quelles entreprises sont concernées ?

L’ANGSPE n’a pas encore publié de liste officielle, mais plusieurs entreprises publiques à forte notoriété ou à vocation marchande apparaissent comme des candidates potentielles à une introduction en Bourse. Marsa Maroc, déjà cotée, pourrait voir son flottant élargi.

D’autres acteurs comme Autoroutes du Maroc, l’ONCF, certaines filiales de l’OCP, ou encore des opérateurs régionaux dans les secteurs de l’énergie, de l’eau ou de la logistique, sont également évoqués. À cela pourraient s’ajouter des sociétés nouvellement constituées à la suite de scissions ou de restructurations d’EEP existantes.

Toutefois, chaque opération sera étudiée au cas par cas : modèle économique, maturité financière, structure juridique, sensibilité stratégique, gouvernance interne.

​Des obstacles à surmonter

Le chemin n’est pas sans embûches. Le premier défi est la qualité des bilans : beaucoup d’entreprises publiques n’ont pas encore adopté les normes comptables IFRS ni mis en place des audits indépendants.

Le deuxième obstacle est culturel et politique : la peur de la perte de contrôle, le rejet par les syndicats, et le scepticisme d’une partie de l’opinion publique vis-à-vis du secteur privé.

Le troisième défi concerne la profondeur du marché financier marocain : la Bourse de Casablanca reste peu liquide, peu diversifiée, et dominée par des institutionnels frileux. Il faudra sans doute associer ces introductions à des réformes plus larges de l’épargne nationale, des fonds de pension, et de l’éducation financière.

​Une fenêtre d’opportunité… à ne pas rater

Dans un contexte où l’État cherche à optimiser son portefeuille, à renforcer la transparence, et à financer des projets structurants sans aggraver sa dette, la Bourse peut être un allié précieux. Mais à condition que les règles soient claires, les choix bien expliqués, et les opérations irréprochables.

Pour réussir, il faudra aussi reconstruire la confiance entre le public et le secteur financier. Ce n’est qu’à ce prix que les Marocains verront dans ces introductions en Bourse non pas une privatisation déguisée, mais un acte d’ouverture, de partage et de modernisation.




Vendredi 18 Juillet 2025