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Le Maroc prépare une réforme profonde du temps de travail public


Rédigé par La rédaction le Lundi 17 Novembre 2025



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Le Maroc s’apprête à franchir une étape décisive dans la modernisation de sa fonction publique.

Le Maroc prépare une réforme profonde du temps de travail public
Lors de la présentation du budget sectoriel 2026, la ministre de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille, Naïma Ben Yahya, a dévoilé les grandes lignes d’un chantier structurant : la refonte du temps de travail dans l’administration. Un projet mené en coordination avec le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, qui vise à adapter les modes de travail aux transformations sociétales, technologiques et familiales du pays.

Ce n’est pas un simple ajustement technique. C’est une remise en question profonde de la culture administrative, encore largement basée sur le présentéisme, la rigidité des horaires et la faible prise en compte des réalités sociales. La ministre l’a rappelé sans détour : « la gestion du temps administratif doit désormais intégrer les mutations de la société et répondre aux besoins de la famille marocaine ». Autrement dit : travailler autrement, mais aussi penser autrement.

La réforme repose sur un principe clé : permettre aux employés de concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales, sans sacrifier l’une au profit de l’autre. Madame Naïma Ben Yahya insiste sur un point essentiel : cette responsabilité n’est pas uniquement féminine. Trop souvent, le débat autour du temps de travail flexible est ramené à la question des femmes, mères de famille ou salariées. Le gouvernement veut dépasser ce schéma, en affirmant que le partage des charges familiales est un devoir collectif. Une avancée culturelle autant que réglementaire.

Les propositions annoncées s’articulent autour de trois modèles principaux. D’abord, le travail à temps partiel, qui permettrait à un fonctionnaire de travailler la moitié du temps, pour la moitié du salaire. Une formule simple, déjà appliquée dans plusieurs pays européens, et qui offrirait une alternative à celles et ceux qui traversent des situations particulières : parentalité, maladie d’un proche, études, etc. Ensuite, le temps de travail flexible, qui permettrait de respecter la durée légale tout en modulant les heures de présence. Cela signifie, par exemple, pouvoir commencer sa journée plus tôt ou la terminer plus tard, sans être prisonnier d’un horaire uniforme.

La troisième innovation est sans doute la plus symbolique : l’élargissement du télétravail et du travail hybride, avec une articulation claire entre présence physique et activité à distance. Si la crise du Covid-19 a ouvert la voie au télétravail, beaucoup d’administrations marocaines sont revenues à un fonctionnement traditionnel. Le gouvernement veut fixer cette pratique dans un cadre légal, sécurisé et mesurable. Le travail à distance ne sera pas un privilège, ni une faveur accordée au cas par cas, mais un dispositif intégré dans le droit administratif.

Ces mesures ne sont pas isolées : elles s’inscrivent dans une vision plus large de modernisation de l’État et d’amélioration des services publics. L’un des objectifs affichés est d’augmenter la productivité et la qualité du service rendu aux citoyens, en misant sur un facteur souvent négligé : le bien-être du personnel. Les études internationales sont unanimes : des employés mieux équilibrés, moins stressés et davantage acteurs de leur organisation du temps produisent un travail plus efficace, plus créatif, et plus orienté vers l’usager.

Le chantier comporte également une dimension juridique, puisque des modifications du statut général de la fonction publique devront être adoptées. Les discussions sont lancées avec le ministère du Travail afin d’assurer une cohérence légale avec la réforme attendue du Code du travail. Un détail loin d’être anodin : le gouvernement souhaite que le secteur privé puisse aussi bénéficier de cette impulsion. En poussant l’administration à réformer ses propres pratiques, l’État pourrait créer un effet d’entraînement sur les entreprises.

Reste une question cruciale : le changement culturel. Introduire le télétravail, flexibiliser les horaires ou autoriser le mi-temps, c’est aussi questionner un certain modèle de management fondé sur la surveillance, le contrôle et la logique du "pointage".

Les administrations marocaines sont-elles prêtes ? Les responsables hiérarchiques l’acceptent-ils ? La réforme devra aussi former, accompagner et convaincre. Car dans l'administration comme ailleurs, la résistance au changement est souvent plus forte que le changement lui-même.

Le débat dépasse d’ailleurs la seule question du travail : il touche au modèle de société.

Quelle place donnons-nous à la famille ? À la parentalité ? À la santé mentale ? À la dignité professionnelle ? À l’équilibre de vie ? Au fond, ce projet vient interroger une vision trop longtemps dominante : celle selon laquelle l’efficacité se mesurerait à l’occupation du temps, et non à la qualité du travail accompli.

Le Maroc n’est pas le premier pays à emprunter ce chemin, mais il arrive à un moment clé : celui où le numérique, les nouveaux métiers, les aspirations de la jeunesse et les évolutions sociales convergent pour imposer un nouveau contrat de confiance entre l’État et ses agents. Si elle se concrétise dans l’esprit annoncé, cette réforme pourrait devenir un exemple pour d’autres secteurs, et un signe que la transformation publique marocaine n’est plus un slogan, mais une dynamique réelle.

L’enjeu est immense : moderniser l’administration, améliorer les services, mais aussi — et peut-être surtout — reconnaître que derrière chaque dossier, chaque guichet, chaque service rendu, il y a une vie, une famille, une personne.

C’est peut-être là que commence la réforme la plus essentielle.




Lundi 17 Novembre 2025