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Le PLF du gouvernement : Un bachotage d'urgence


Lundi dernier, 18 octobre, le gouvernement a déposé au Parlement son projet de loi de finances pour 2022. Son premier acte politique qui a donné des éléments sur la déclinaison de son programme d'investiture dans les politiques publiques. Ce PLF table sur des recettes de 460 milliards de DH pour des dépenses de 519 milliards.



Par Mustapha Sehimi

Le PLF du gouvernement : Un bachotage d'urgence
Il prévoit de nouvelles mesures fiscales et douanières ; une nouvelle contribution sociale sur les bénéfices des entreprises réalisant un bénéfice de plus d'un million de DH, déclinée autour de taux progressifs jusqu'à 5 % ; d'autres mesures aussi : suppression du barème progressif de l'IS, révision de l'abattement forfaitaire sur certains revenu, TIC sur le tabac, une contribution professionnelle unique simplifiée, ...). 

Qu'en est-il maintenant de ce projet de loi de finances par rapport au Nouveau Modèle de Développement (NMD) censé être le cadre de référence des axes stratégiques et des leviers de changement à l'horizon 2035? Un premier élément est à relever à cet égard : celui de l'Etat social. Mais pour le reste, qu'en est-il ? Les interrogations ne manquent point: tant s'en faut. Pas grand-chose en effet pour ce qui est de l'articulation de l'Etat stratège, l'Etat régulateur, l’Etat développeur. Ou encore dans la déconstruction de l'économie de la rente - un frein au développement. Sans parler de mobilisation des ressources de financement lesquelles restent largement indéfinies. 

Financement... à crédit

Au fond, n'est-ce pas la continuité qui prévaut - exception faite de la forte inflexion sociale ? Le projet de loi de finances priorise une approche par trop réductrice, étriquée, visant la croissance surtout. Et quelle croissance ! Bien modeste avec un taux de 3,2 % pour 2022. Pas de quoi plastronner. L'on est bien loin du chiffre annuel moyen de 6% préconisé par le NMD. Un manque de volontarisme. D'ambition aussi. Comme si l'année à venir n'était qu'un exercice de transition prolongeant 2020 et n'enfourchant pas - encore ? - les objectifs du NMD. Enfin, la question du financement : elle demeure problématique. Il est prévu un déficit budgétaire de 5,9 % par rapport au PIB. L’on retient ici des prévisions de 80 millions de quintaux pour la prochaine campagne céréalière, un prix de 450 dollars la tonne pour le  gaz butane et la création de 250.000 emplois en 2022-2023 - une forte réduction  puisque les trois partis de la majorité (RNI, PAM, PI) avaient annoncé un million lors de la campagne électorale… 

Dans le détail, en matière de financement, il est prévu une hausse des investissements publics de 6,5 % avec 245 milliards de DH contre 230 milliards de DH en 2021. Comment se répartissent-ils ? 87 milliards de DH pour l'Etat, 92 milliards de DH pour les entreprises et établissements  publics et 19 milliards pour les collectivités territoriales … Il faut y ajouter les 45 milliards de DH du Fonds Mohammed VI pour l'investissement, le tiers étant mobilisé par le budget de 1Etat. Et pour les 30 milliards restants? A noter que ce Fonds créé ne pourra être pratiquement opérationnel qu’après son premier conseil d'administration prévu  prochainement. Voilà qui repose la question du financement. Dans ce chapitre, il faut de noter que les prévisions des recettes fiscales sont en augmentation avec un chiffre de 27 Milliards de DH. Cela peut surprendre, mais celles-ci s'inscrivent en hausse par rapport à 2020 où l'activité économique avait accusé une forte crise sanitaire, sociale et économique. En revanche les recettes de monopoles enregistrant, elles, une contraction sensible de 14 milliards de DH, soit une baisse de 18 %. Il est prévu, par ailleurs, une enveloppe de 10 milliards de DH au titre de la privatisation, pour des produits des cessions des participations de l'Etat. Dans quels domaines ? Une première liste e-t-elle déjà préparée ? Enfin, comme par le passé, les dépenses de personnel ne sont pas réduites mais augmentent avec une enveloppe globale de 147,5 milliards de DH, en hausse de 5,5 % par rapport à 2021. 

Au total, le recours à l'endettement est inévitable. Un emprunt intérieur ? Il est prévu depuis l'année écoulée. Une sortie sur les marchés internationaux ? Elle est également dans l'agenda du gouvernement. Sa soutenabilité ? Le Maroc dispose d'une marge de manœuvre avec 67 % d'endettement et 94 % si l'on intègre les entreprises et les établissements publics. A titre comparatif, telle est la politique des pays développés. En France, la dette publique dépasse les 115% par rapport au PIB... Pareille mobilisation doit prendre en charge certains aspects particuliers. Ne pas s'endetter pour boucler le budget mais en prenant en compte l'affectation et le fléchage des ressources ; préciser aussi  les secteurs et les entreprises retenus comme cibles. 

Imprimer les réformes

Assurément, le gouvernement a dû faire face à l'urgence. Investi par La Chambre des représentants sur la base de son programme, il n'a pas veillé à appréhender de grands secteurs économiques. Ainsi, le tourisme, l'habitat, la compétitivité de l'appareil de production et l'export, ou encore la culture, l'accès à l'économie du savoir et la place du numérique ne figurent pas dans les politiques publiques. Il est bien question de l’amélioration et de l'attractivité du climat d'affaires, mais sans annonces ni mesures opératoires. La Charte de l'investissement, encore en chantier depuis des années, verra-t-elle le jour prochainement? La CGEM a présenté, elle, un Livre blanc sur les priorités devant assurer  la promotion du secteur privé dans le cadre du NMD. Il s'agit de relancer l’entreprise et de provoquer le choc de compétitivité nécessaire. Ce qui implique la reprise du dialogue social pour délibérer des conditions et des modalités des réformes à entreprendre. 

Le gouvernement a dû faire face à un agenda serré, bien contraignant, dès sa nomination et son investiture. Il lui reste à imprimer les réformes, les unes urgentes et qui fassent sens, les autres éligibles aux orientations du NMD. De la visibilité et de la lisibilité aussi pour entraîner l'adhésion. Et restaurer la confiance... 

Rédigé par Mustapha Sehimi sur https://quid.ma


Dimanche 24 Octobre 2021