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Le boom discret mais risqué de l’économie des influenceurs au Maroc

Une étude dévoile l'économie des influenceurs au Maroc : Qui sont-ils ? Que font-ils ? Combien gagnent-ils .....


Rédigé par La Rédaction le Dimanche 11 Mai 2025

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En 2024, le marché du marketing d’influence au Maroc a atteint 420 millions de dollars, en hausse de 40 % par rapport à 2022. Un essor rapide, mais encore peu encadré.

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Au Maroc, l’essor fulgurant des influenceurs ne relève plus du simple effet de mode : c’est un secteur économique à part entière, à la croisée du commerce, de la communication, du divertissement et de l’influence sur les comportements de consommation. Selon une étude menée par la société DigiTrends, ce marché a atteint un volume d’affaires de 4,2 milliards de dirhams en 2024, contre 3 milliards deux ans plus tôt.

Ce chiffre représente près de 15 % du total du e-commerce national, dont le chiffre d’affaires est passé de 20,7 milliards de dirhams en 2022 à 22 milliards en 2023. Cette dynamique témoigne du rôle croissant que jouent les créateurs de contenus dans les stratégies de visibilité des marques.

Un nouveau métier encore sans statut clair

Pour Idriss El Farsi, l’un des chercheurs à l’origine de l’étude, ce phénomène illustre la place stratégique acquise par les influenceurs dans l’écosystème numérique marocain. En publiant du contenu engageant sur les réseaux sociaux, ces derniers parviennent à influer sur les choix d’achat d’un large public – et à en tirer des revenus parfois conséquents.

Mais cette professionnalisation rapide s’est développée sans véritable cadre juridique. Le vide réglementaire commence toutefois à se combler, notamment via la Loi de finances 2025, qui introduit plusieurs mesures :
 
  • Obligation de déclarer tous les revenus numériques issus de la publicité, des partenariats ou de l’affiliation.
  • Imposition jusqu’à 30 % de ces revenus.
  • Suivi renforcé des transferts d’argent de l’étranger, avec obligation de rapatrier les devises dans un délai de 90 jours.
  • Création d’une cellule dédiée au contrôle des transactions numériques.
  • Classement des influenceurs comme exportateurs de services digitaux, les soumettant à une surveillance fiscale spécifique.

Entre visibilité et incertitude

Malgré ces avancées, le consultant en marketing digital Imad Bellak alerte sur les zones d’ombre persistantes : aucune règle ne régit encore clairement les obligations éthiques ou publicitaires. Les influenceurs sont souvent livrés à eux-mêmes, « pris en étau entre les exigences fiscales et l’absence de protection professionnelle ».

Le chercheur Jouad Chafdi va plus loin et appelle à une régulation plus ferme. Il déplore que certains créateurs diffusent des contenus à visée publicitaire sans transparence, induisant en erreur les consommateurs.

Le phénomène reste difficile à quantifier, mais les estimations évoquent environ 20 000 influenceurs actifs au Maroc en 2024, soit une hausse de 40 % depuis 2022. Ces profils se répartissent entre « micro-influenceurs » (entre 1 000 et 100 000 abonnés) et « macro-influenceurs » au-delà du million de suiveurs.

Opportunités et revers du succès

Pour Nisrine Kettani, entrepreneuse et diplômée en ingénierie, les réseaux sociaux offrent des opportunités réelles. Le contenu de qualité attire une audience large et variée, ce qui lui permet de développer sa marque personnelle et de tisser des partenariats utiles.

Mais cette expansion rapide n’est pas sans fragilité. La pression psychologique, les changements d’algorithmes ou les critiques non constructives pèsent sur la durabilité de cette activité. Certaines marques, de leur côté, continuent de sélectionner les influenceurs sur la seule base du nombre d’abonnés, sans évaluer l’engagement réel ou l’impact commercial.

Selon Salah Mimouni, expert en marketing, les profils crédibles, proches culturellement et linguistiquement du public marocain, influencent de manière significative les décisions d’achat, notamment dans les secteurs de la mode, de la beauté et des technologies.

Avec plus de 75 % des Marocains connectés quotidiennement aux réseaux sociaux, les conditions sont réunies pour un développement accéléré de ce marché. L’utilisation d’outils de ciblage sophistiqués, tels que le « persona marketing », renforce encore l’efficacité de ces campagnes.

Un public plus exigeant, un contenu plus segmenté

Mais la montée en puissance des influenceurs s’accompagne d’un changement dans les attentes du public. En deux ans, la proportion de Marocains suivant régulièrement des influenceurs a chuté de 75 % à 51 %, tandis que ceux influencés par leurs recommandations sont passés de 35 % à 57 %. Moins de suiveurs, mais plus de conviction.

Les contenus les plus plébiscités restent :
 
  • L’humour (43 %),
  • La cuisine (39 %),
  • La mode (34 %),
  • La beauté (33 %),
  • Le voyage (32 %).

Mais une demande croissante émerge aussi pour des thématiques à valeur ajoutée :
 
  • Santé et bien-être (28 %),
  • Finance et investissement (27 %),
  • Développement personnel (25 %),
  • Éducation et formation (23 %).

Le format court et visuel (Reels, TikTok, Shorts) domine. Le public marocain réagit mieux aux contenus spontanés, en darija ou en arabe simplifié, surtout quand ils reflètent une réalité vécue.

Entre crédibilité et superficialité

Une autre tendance majeure concerne le contenu généré par les utilisateurs eux-mêmes, encouragé par les marques comme preuve sociale et levier de fidélisation. Toutefois, Imad Bellak alerte sur une dérive inquiétante : certains jeunes s’identifient à des influenceurs dont les valeurs sont éloignées de leur environnement, créant un décalage culturel et psychologique.

Jouad Chafdi critique quant à lui la responsabilité des marques qui misent sur la visibilité plus que sur la qualité, contribuant à faire émerger des contenus creux ou sensationnalistes au détriment de créations authentiques et utiles.

Pour Idriss El Farsi, il ne faut pas pour autant rejeter en bloc le contenu léger. Celui-ci peut aussi divertir intelligemment. L’enjeu, selon lui, est de garantir une coexistence équilibrée entre divertissement et profondeur, à l’image de la diversité de la société marocaine.

Avec aljazeera.net 

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Dimanche 11 Mai 2025