Buzz et burn-out : un jeune artiste marocain raconte sa descente aux enfers numériques
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De Rabat à Instagram, de SoundCloud à TikTok, le destin d’un jeune artiste marocain s’est confondu avec celui de centaines d’autres : monter, plaire, buzzer, puis s’effondrer sous le poids d’un like de trop. Cette chronique raconte, de l’intérieur, l’usure invisible que les réseaux imposent aux créateurs. Jusqu’à parfois, leur voler la vie.
Il s’appelait Karim. Il rêvait de scène.
Karim avait 27 ans et le regard doux de ceux qui croient encore que l’art peut sauver. Il avait ce timbre cassé, presque blessé, qui parlait mieux que mille discours de ses nuits sans sommeil. Il chantait le mal de vivre, les mères fatiguées, les rêves brisés de Témara.
Quand je l’ai rencontré, en 2019, il bossait dans une imprimerie le jour, composait la nuit, postait ses maquettes sur Facebook, pas pour buzzer, mais pour partager. "Si trois personnes écoutent et comprennent, c’est déjà beaucoup", me disait-il.
Puis il a "percuté l’algorithme"
Tout a changé un soir d’avril 2021. Un freestyle posté sur TikTok, improvisé dans sa cuisine, devient viral. Six cent mille vues en 48 heures.
Karim devient "le rappeur au pain rassi", surnom donné à cause d’un vers qui évoquait la faim.
On le contacte pour une interview. Des marques veulent l’associer à des sneakers. Une radio l’invite. Il rigole : "J’ai rien demandé. Mais tant mieux."
Mais très vite, les likes deviennent addiction. Il se met à poster plus souvent. Puis chaque jour. Puis plusieurs fois par jour. Des musiques, mais aussi des vidéos drôles. Des prises de parole. Des provocations. Des clashs. Du contenu. Encore. Encore. Encore.
Le Karim musicien laisse place au Karim influenceur. Il commence à répondre aux commentaires. À anticiper les polémiques. À s’y plaire. À provoquer. Un jour il poste : "Les vrais artistes ne passent pas à Mawazine, ils passent à la caisse." Deux jours plus tard, il se fait insulter de jaloux, d’aigri. Il s’en amuse. Il surenchérit.
Mais ses textes changent. Moins profonds. Plus courts. Plus viraux. Il me l’avoue un soir : "Je n’écris plus pour dire. J’écris pour tourner."
Karim ne dort plus. Il vit connecté. Il me dit : "Quand je coupe mon téléphone, j’ai l’impression d’être mort."
À chaque post, il se demande : combien de vues ? Combien de partages ? Pourquoi celui-là n’a pas marché ? Il entre dans ce que les psys appellent le burn-out numérique.
Il veut choquer pour survivre dans la masse. Il commence à simuler des buzz : rumeurs de clash, fausses disputes, "fuites" de morceaux. Il pleure parfois en live. "Ils aiment me voir pleurer, t’as remarqué ?"
Un soir, il publie une vidéo étrange. On le voit en débardeur, débraillé, parlant seul dans une chambre en désordre : "Tout ça ne sert à rien. Même moi je vous regarde comme des zombies."
La vidéo est supprimée une heure après. Mais elle circule. Certains se moquent. D’autres s’inquiètent.
Il disparaît plusieurs jours. Reparaît. Poste un nouveau morceau. Puis silence.
Il m’écrit un message que je n’oublierai jamais : "Je suis devenu une marque sans âme. J’ai voulu exister, mais je me suis effacé."
Karim n’est pas un cas isolé. Des dizaines de jeunes artistes marocains, tous médiums confondus – musique, stand-up, sketch, dessin – sont broyés par l’algorithme, par cette logique de contenu permanent qui ne tolère pas l’absence, la nuance ou l’imperfection.
Le drame, c’est que la quête du buzz remplace la quête de sens. Que la course au clic devient une maladie silencieuse. Et qu’on ne peut en guérir qu’en disparaissant.
Certains s’en sortent. D’autres sombrent. Certains s’exilent. D’autres se taisent. Quelques-uns se détruisent à coups de substances ou de silences profonds.
Nous vivons à l’ère où les plateformes dictent les formats, les rythmes, les émotions autorisées.
Un clip ne doit pas durer plus de 30 secondes. Une chanson doit percuter dès les 5 premières. Un mot plus lent ? Un vers plus complexe ? Scroll. Next. Effacé.
Karim le disait : "Tu ne fais plus de l’art. Tu fais du contenu artistique." Et encore.
Et maintenant ?
Karim vit toujours à Rabat. Il ne poste plus. Il compose pour d’autres, dans l’ombre. Il m’a dit récemment :
“Je veux juste retrouver ma voix. Pas celle qu’ils attendent. La mienne.”
Je n’ai pas voulu lui poser plus de questions.
Ce qu’il faut retenir
Les réseaux sociaux offrent de la visibilité, mais peuvent anéantir l’intimité créative.
Le buzz agit comme une drogue émotionnelle : rapide, euphorique, mais destructeur.
Beaucoup de jeunes artistes marocains sont piégés entre authenticité et performance virale.
Il devient urgent de repenser notre rapport au numérique, pour préserver la santé mentale des créateurs.
Il s’appelait Karim. Il rêvait de scène.
Karim avait 27 ans et le regard doux de ceux qui croient encore que l’art peut sauver. Il avait ce timbre cassé, presque blessé, qui parlait mieux que mille discours de ses nuits sans sommeil. Il chantait le mal de vivre, les mères fatiguées, les rêves brisés de Témara.
Quand je l’ai rencontré, en 2019, il bossait dans une imprimerie le jour, composait la nuit, postait ses maquettes sur Facebook, pas pour buzzer, mais pour partager. "Si trois personnes écoutent et comprennent, c’est déjà beaucoup", me disait-il.
Puis il a "percuté l’algorithme"
Tout a changé un soir d’avril 2021. Un freestyle posté sur TikTok, improvisé dans sa cuisine, devient viral. Six cent mille vues en 48 heures.
Karim devient "le rappeur au pain rassi", surnom donné à cause d’un vers qui évoquait la faim.
On le contacte pour une interview. Des marques veulent l’associer à des sneakers. Une radio l’invite. Il rigole : "J’ai rien demandé. Mais tant mieux."
Mais très vite, les likes deviennent addiction. Il se met à poster plus souvent. Puis chaque jour. Puis plusieurs fois par jour. Des musiques, mais aussi des vidéos drôles. Des prises de parole. Des provocations. Des clashs. Du contenu. Encore. Encore. Encore.
Le Karim musicien laisse place au Karim influenceur. Il commence à répondre aux commentaires. À anticiper les polémiques. À s’y plaire. À provoquer. Un jour il poste : "Les vrais artistes ne passent pas à Mawazine, ils passent à la caisse." Deux jours plus tard, il se fait insulter de jaloux, d’aigri. Il s’en amuse. Il surenchérit.
Mais ses textes changent. Moins profonds. Plus courts. Plus viraux. Il me l’avoue un soir : "Je n’écris plus pour dire. J’écris pour tourner."
Karim ne dort plus. Il vit connecté. Il me dit : "Quand je coupe mon téléphone, j’ai l’impression d’être mort."
À chaque post, il se demande : combien de vues ? Combien de partages ? Pourquoi celui-là n’a pas marché ? Il entre dans ce que les psys appellent le burn-out numérique.
Il veut choquer pour survivre dans la masse. Il commence à simuler des buzz : rumeurs de clash, fausses disputes, "fuites" de morceaux. Il pleure parfois en live. "Ils aiment me voir pleurer, t’as remarqué ?"
Un soir, il publie une vidéo étrange. On le voit en débardeur, débraillé, parlant seul dans une chambre en désordre : "Tout ça ne sert à rien. Même moi je vous regarde comme des zombies."
La vidéo est supprimée une heure après. Mais elle circule. Certains se moquent. D’autres s’inquiètent.
Il disparaît plusieurs jours. Reparaît. Poste un nouveau morceau. Puis silence.
Il m’écrit un message que je n’oublierai jamais : "Je suis devenu une marque sans âme. J’ai voulu exister, mais je me suis effacé."
Karim n’est pas un cas isolé. Des dizaines de jeunes artistes marocains, tous médiums confondus – musique, stand-up, sketch, dessin – sont broyés par l’algorithme, par cette logique de contenu permanent qui ne tolère pas l’absence, la nuance ou l’imperfection.
Le drame, c’est que la quête du buzz remplace la quête de sens. Que la course au clic devient une maladie silencieuse. Et qu’on ne peut en guérir qu’en disparaissant.
Certains s’en sortent. D’autres sombrent. Certains s’exilent. D’autres se taisent. Quelques-uns se détruisent à coups de substances ou de silences profonds.
Nous vivons à l’ère où les plateformes dictent les formats, les rythmes, les émotions autorisées.
Un clip ne doit pas durer plus de 30 secondes. Une chanson doit percuter dès les 5 premières. Un mot plus lent ? Un vers plus complexe ? Scroll. Next. Effacé.
Karim le disait : "Tu ne fais plus de l’art. Tu fais du contenu artistique." Et encore.
Et maintenant ?
Karim vit toujours à Rabat. Il ne poste plus. Il compose pour d’autres, dans l’ombre. Il m’a dit récemment :
“Je veux juste retrouver ma voix. Pas celle qu’ils attendent. La mienne.”
Je n’ai pas voulu lui poser plus de questions.
Ce qu’il faut retenir
Les réseaux sociaux offrent de la visibilité, mais peuvent anéantir l’intimité créative.
Le buzz agit comme une drogue émotionnelle : rapide, euphorique, mais destructeur.
Beaucoup de jeunes artistes marocains sont piégés entre authenticité et performance virale.
Il devient urgent de repenser notre rapport au numérique, pour préserver la santé mentale des créateurs.