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Le cash reprend du terrain : pourquoi la monnaie fiduciaire reste reine au Maroc


Rédigé par Lycha Jaimssy MBELE le Lundi 1 Décembre 2025

Malgré l’essor spectaculaire des paiements électroniques, la monnaie physique reprend de la vigueur. Bank Al-Maghrib confirme une forte remontée du cash en circulation en 2025 — un phénomène aux racines économiques, sociales et culturelles qui complique la transition digitale et pèse sur la liquidité bancaire.



Le cash reprend du terrain : pourquoi la monnaie fiduciaire reste reine au Maroc
La donnée saute aux yeux dans les tableaux de Bank Al-Maghrib : après un ralentissement en 2024 lié notamment à l’opération d’amnistie fiscale, la circulation fiduciaire repart fortement à la hausse. À fin 2024, l’encours s’était établi à 414,4 milliards de dirhams (+5,2% sur l’année) ; fin septembre 2025, il atteint ≈ 467,9 milliards, soit une progression d’environ +9,8% sur un an — signe qu’un mouvement structurel reprend ses droits.


Je me souviens d’un petit commerce de quartier à Rabat, là où les vieux réflexes tiennent encore bon : le propriétaire préfère la liasse dans le tiroir plutôt que le bip d’une application. Cette anecdote n’est pas anecdotique : elle résume un comportement collectif. Sur dix ans, la monnaie fiduciaire en circulation a bondi de plus de +131%, et le ratio cash/PIB a progressé, atteignant près de 29% en 2024 — un niveau élevé qui illustre la place centrale de l’espèce dans l’économie marocaine.

Les causes profondes : pas seulement une question d’infrastructures

Pourquoi le cash résiste-t-il ? Les explications sont multiples et se renforcent les unes les autres. D’abord l’importance de l’économie informelle : une part significative d’échanges reste hors circuit bancaire, favorisant l’usage de billets. Ensuite, des motifs culturels  préférence pour la confidentialité, habitudes de paiement dans l’artisanat, le petit commerce et certains services freinent l’adoption entière des solutions numériques. Enfin, des raisons techniques et institutionnelles subsistent : couverture des TPE, coûts de transaction, et confiance encore imparfaite dans certaines offres digitales. 
 

L’effet saisonnier accentue la demande : Ramadan, Aïd, été touristique et virements de la diaspora provoquent des pics réguliers de retraits. Ces cycles sont désormais visibles dans les séries mensuelles de BAM : les sorties nettes augmentent lors des périodes festives, amplifiant l’encours en fin d’année. Autrement dit, même une adoption croissante des cartes et portefeuilles mobiles n’efface pas ces besoins ponctuels et massifs en liquide. 


Les conséquences macro-financières : liquidité, coût et vulnérabilité

Le retour massif du cash pèse sur les banques. Plus les agents économiques thésaurisent, moins les dépôts bancaires augmentent — et plus les établissements ont recours au refinancement auprès de la banque centrale. En 2024, le besoin de liquidité bancaire s’est élevé en moyenne hebdomadaire à 123,7 milliards de dirhams, contre 83,2 en 2023, illustrant la pression sur les marchés monétaires. Cette dépendance renchérit le coût du financement et réduit la marge de manœuvre du système bancaire dans l’octroi de crédit. 
 

Bank Al-Maghrib l’a bien compris : l’institution mène études et pistes d’action pour freiner la progression du cash et encourager des circuits plus transparents et efficaces. Mais la banque centrale agit dans un jeu complexe où technique monétaire, sécurité, inclusion financière et comportements sociaux s’entrelacent.


Que faire ? Des mesures techniques… et culturelles

La réponse ne peut être uniquement technocratique. Bien sûr, il faut multiplier les TPE, améliorer l’interopérabilité des services, alléger les coûts des transactions numériques et renforcer la cybersécurité. Mais il faut aussi du temps et des campagnes de confiance : convaincre un commerçant de quartier ou un artisan que le paiement électronique est fiable, rentable et simple. Des incitations fiscales ciblées, des programmes de formation et des solutions adaptées aux flux saisonniers (par ex. instruments de paiement hybride pour la diaspora) pourraient accélérer le basculement.
 

Enfin, la lutte contre l’économie informelle et la promotion de la valorisation locale des activités contribueront à réduire la demande de billets. C’est un chantier long, impliquant Etat, banques, opérateurs fintech et acteurs locaux. 


Le constat est clair : la digitalisation des paiements progresse, mais elle ne suffit pas, à elle seule, à supplanter une habitude profondément ancrée. Tant que l’économie réelle continuera de fonctionner largement en espèces et que les comportements saisonniers perdureront, le cash restera un acteur central un défi pour la politique monétaire, mais aussi une invitation à repenser, en profondeur, la manière dont le Maroc finance sa transition numérique.





Lundi 1 Décembre 2025