Les économistes répètent que les fondamentaux du pays sont solides :
Rachid BOUFOUS
Inflation maîtrisée, retour de la pluie, reprise agricole, investissements chinois et européens en hausse, retour à la notation “investment grade” selon Standard & Poor’s. Tout cela est vrai, objectivement. Mais ce qui ne s’explique pas, c’est la disjonction entre ces chiffres rassurants et la colère des jeunes Marocains. C’est l’écart entre un Maroc institutionnel triomphant et un Maroc social qui se délite. Cet écart devient si grand qu’il ouvre la porte à l’imaginaire du complot. Car lorsque les données officielles semblent nier l’expérience vécue, les esprits cherchent ailleurs des causes cachées et trouvent dans les récits d’ingérence, de manipulation ou de déstabilisation une cohérence qu’aucun discours officiel n’offre plus.
Ce climat est d’autant plus propice à la dérive que le Maroc n’est pas seul. Partout dans le monde, la génération Z se lève, de Santiago à Tbilissi, de Manille à Marrakech en passant par le Népal, Madagascar ou l’Indonésie, avec les mêmes gestes, les mêmes mots, les mêmes plateformes. Discord, Telegram, Reddit ou Instagram sont devenus les agora modernes de ces mouvements globaux : des espaces sans leader identifiable, sans hiérarchie, où l’indignation s’organise avec l’efficacité d’un algorithme.
En quelques jours, le serveur marocain “GenZ212” a réuni plus de 180.000 membres, un chiffre vertigineux pour un mouvement né dans l’anonymat complet. D’où viennent ces moyens techniques ? Qui administre une telle plateforme ? Comment un simple groupe d’étudiants aurait-il pu mettre sur pied, en quelques jours, un réseau aussi vaste, protégé des intrusions et capable de relayer simultanément des mots d’ordre à travers tout le pays ? Ce mystère technique a suffi à enflammer les imaginations : derrière le jeune internaute marocain, certains croient deviner des stratèges, des ONG étrangères, voire des agences de renseignement.
En quelques jours, le serveur marocain “GenZ212” a réuni plus de 180.000 membres, un chiffre vertigineux pour un mouvement né dans l’anonymat complet. D’où viennent ces moyens techniques ? Qui administre une telle plateforme ? Comment un simple groupe d’étudiants aurait-il pu mettre sur pied, en quelques jours, un réseau aussi vaste, protégé des intrusions et capable de relayer simultanément des mots d’ordre à travers tout le pays ? Ce mystère technique a suffi à enflammer les imaginations : derrière le jeune internaute marocain, certains croient deviner des stratèges, des ONG étrangères, voire des agences de renseignement.
Les noms reviennent : Open Society Foundations de George Soros, USAID, Freedom House… ces institutions accusées depuis deux décennies d’avoir soutenu, ou du moins accompagné, les “révolutions colorées” d’Europe de l’Est. Dans la mémoire collective, elles incarnent ce mélange d’idéalisme et d’ingérence, d’humanisme affiché et de stratégie géopolitique. Le scénario est bien connu : encourager la société civile, financer des programmes de jeunesse, promouvoir la transparence, puis, à un moment critique, faire basculer l’opinion contre le pouvoir en place.
La Biélorussie, la Géorgie, la Roumanie, l’Ukraine, la Serbie… partout, on retrouve les mêmes schémas de soulèvements soudains, coordonnés par les réseaux sociaux, relayés par des diasporas actives et des médias bienveillants. Faut-il en déduire que le Maroc vit, à son tour, une tentative de “révolution colorée” ? La question circule, troublante.
La Biélorussie, la Géorgie, la Roumanie, l’Ukraine, la Serbie… partout, on retrouve les mêmes schémas de soulèvements soudains, coordonnés par les réseaux sociaux, relayés par des diasporas actives et des médias bienveillants. Faut-il en déduire que le Maroc vit, à son tour, une tentative de “révolution colorée” ? La question circule, troublante.
D’autant que le contexte géopolitique s’y prête.
Rabat s’est affirmé ces dernières années comme un acteur stratégique du nouvel échiquier africain : un pied dans le Maghreb, un autre dans le Sahel, et les deux bras tendus vers l’Atlantique. Le gazoduc Nigeria–Maroc, l’Initiative atlantique, la diplomatie religieuse, la coopération sécuritaire avec les pays sahéliens, tout cela repositionne le Royaume comme un centre de gravité régional.
Mais cette autonomie nouvelle, cette capacité à agir sans alignement exclusif, dérange certains équilibres anciens. L’intensification des relations économiques et politiques avec la Chine, la Russie et plusieurs pays d’Afrique anglophone suscite, chez certains partenaires occidentaux, une crispation latente. Alors, l’hypothèse surgit : et si le Maroc payait, aujourd’hui, le prix de son indépendance stratégique ? Et si la déstabilisation numérique n’était qu’un signal envoyé à Rabat pour lui rappeler où sont les lignes rouges ?
Mais cette autonomie nouvelle, cette capacité à agir sans alignement exclusif, dérange certains équilibres anciens. L’intensification des relations économiques et politiques avec la Chine, la Russie et plusieurs pays d’Afrique anglophone suscite, chez certains partenaires occidentaux, une crispation latente. Alors, l’hypothèse surgit : et si le Maroc payait, aujourd’hui, le prix de son indépendance stratégique ? Et si la déstabilisation numérique n’était qu’un signal envoyé à Rabat pour lui rappeler où sont les lignes rouges ?
Dans cette grille de lecture, tout s’emboîte : l’étrange efficacité des hashtags, la soudaineté de la mobilisation, la coordination de la communication en ligne, les relais à l’étranger, notamment en Europe, où des figures de la dissidence numérique marocaine, comme le rappeur Al Haqed, réfugié en Belgique que l’on soupçonne fortement d’être à l’origine du mouvement GenZ212.
Le mouvement Al Adl wa al Ihssane, longtemps discret, conserve à l’étranger des relais solides, parfois proches de ces milieux militants et notamment d’Al Haqed, Hajar Raissouni et d’autres, si l’on recoupe les pages suivie par la page Genz212 sur la plateforme X. Les flux financiers opaques via les cryptomonnaies…
Le mouvement Al Adl wa al Ihssane, longtemps discret, conserve à l’étranger des relais solides, parfois proches de ces milieux militants et notamment d’Al Haqed, Hajar Raissouni et d’autres, si l’on recoupe les pages suivie par la page Genz212 sur la plateforme X. Les flux financiers opaques via les cryptomonnaies…
Tout cela semble cohérent, trop cohérent peut-être, pour n’être qu’un hasard.
Mais le complotisme, s’il séduit, simplifie.
Il transforme la complexité du réel en scénario de cinéma. Il fait du désordre un plan, de la confusion une logique, du mal-être une stratégie. Et pourtant, il dit quelque chose de vrai : la perte totale de confiance. Quand la parole officielle ne convainc plus, quand les chiffres rassurent mais que la vie dément, quand la jeunesse n’a plus foi ni dans l’État ni dans l’opposition, le complot devient la seule explication qui donne sens à l’absurde. Il est la mythologie moderne des peuples désorientés.
Ce qui se passe au Maroc n’est sans doute pas une “révolution colorée”, mais une mutation silencieuse. Une génération née dans le numérique découvre sa propre force et son propre vide. Elle parle à des algorithmes plus qu’à des dirigeants, elle se mobilise sans parti, sans idéologie, sans chef, mais avec une rage lucide. Les États, eux, n’ont pas encore trouvé le langage pour lui répondre. C’est dans ce décalage que naissent les théories du complot : comme des tentatives désespérées d’organiser le chaos. Et tant que la politique n’offrira pas un récit crédible, cette zone d’ombre sera occupée par d’autres, par les prophètes du soupçon, les ingénieurs de l’émotion et les faiseurs de mystère.
Au fond, le complotisme n’explique rien, mais il révèle tout : la peur du vide, l’absence de confiance, et la fracture d’un pays entre la réussite statistique et le désarroi humain. Entre ce que disent les chiffres et ce que ressentent les gens. Entre la lumière des indicateurs et la nuit des consciences. Et tant que cet écart persistera, les Marocains auront le sentiment d’être les acteurs d’un scénario écrit ailleurs.