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Le corporatisme, talon d’Achille de la gouvernance au Maroc


Dans toutes les sociétés et dans toutes les nations, le corporatisme fut de tous temps un instrument de défense des intérêts des différents métiers. Et plus les sociétés se sont développé, plus la pratique corporatiste s’est étendue, puis complexifiée, puis tendue.



Par Aziz Boucetta

Le corporatisme, talon d’Achille de la gouvernance au Maroc
Dans toutes les sociétés et dans toutes les nations, le corporatisme fut de tous temps un instrument de défense des intérêts des différents métiers. Et plus les sociétés se sont développé, plus la pratique corporatiste s’est étendue, puis complexifiée, puis tendue. Le Maroc ne déroge pas à la règle, et le corporatisme représente aujourd’hui tantôt un frein au développement (corporatisme lobbyiste), tantôt un outil de gouvernance (corporatisme d’Etat), et parfois même un facteur de troubles sociaux.

Le corporatisme pourrait être une aubaine pour la paix sociale, chaque profession s’organisant en groupements et défendant d’une seule voix leurs intérêts communs, comme cela s’est fait dans les siècles passés, lorsque chaque métier avait son « amine », personnage de confiance, généralement armé d’une solide réputation et d’une encore plus robuste influence sur ses confrères.

Avec le temps et le développement des idéologies, sont apparus les syndicats, puis les partis politiques, puis plus tard, bien plus tard, les réseaux sociaux, les influenceurs… et l’argent et l’entregent, qui vont généralement ensemble. La défense des intérêts glisse alors vers ces nouvelles logiques, mais sans préjudice pour les corporations qui, tout en défendant toujours les intérêts de leurs métiers, sont de plus en plus engagées dans l’action politique, dans le lobbying organisé et structuré.

Aujourd’hui, au Maroc (comme ailleurs), l’Etat a toutes les peines du monde à faire entendre sa voix, tentant plus la concertation et la persuasion que la coercition, désormais non seulement inutile mais dangereuse.

1/ Les avocats. Constitués en barreaux, puis en association des barreaux, les avocats connaissent la loi et ils la connaissent bien, tout autant qu’ils connaissent les juges qui disent le droit. Qu’un des leurs vienne à être touché pour quelque raison que ce soit et voilà toutes les robes noires debout, toges au vent et effets de manche virevoltant. Leur dernière sortie s’expliquait par l’interdiction qui leur avait été faite d’entrer aux tribunaux sans pass vaccinal, mais la raison est sans doute ailleurs… sans doute dans cette étrange volonté de leur ministre, un des leurs, de leur faire payer l’impôt. Le gouvernement, sûrement, reculera…

2/ Les médecins. Ils découvrent l’ivresse de la grève et de la contestation, sûrs de leur fait et de leur petit effectif par rapport à ce qu’il devrait être. En 2019, ils avaient obtenu une immense largesse fiscale, l’Etat ayant accepté de renoncer à son légitime droit de recouvrer l’impôt. Et aux Assises de la fiscalité, la menace de quitter le pays a été brandie, et dite, dans un micro ! Ils sortent d’une grève qui, globalement et pour faire court, tourne autour de leurs revenus. Cela sera recevable si et seulement si (comme disent les matheux qu’ils sont), ils déclarent tous leurs revenus… Mais le gouvernement, sûrement, reculera…

3/ Les enseignants. Contractuels ou pas, dans le public ou non, pour eux les choses sont simples. Ils courent après le salaire et les conditions de travail, ce qui est non seulement de leur droit, mais en plus tout à fait normal et légitime. Mais font-ils leur travail convenablement ? Ne pantouflent-ils pas souvent dans le privé, délaissant leur devoir et les chères petites têtes brunes ? Ne prennent-ils pas tout un système en otage pour faire valoir leur droit au travail permanent et non contractuel ? Sont-ils vraiment cet enseignant quasiment prophète évoqué par Ahmed Chawki ? Seuls eux pourront répondre à cette question en se rasant ou se maquillant ou se voilant le matin…

4/ L’entreprise. Initialement corporation d’entrepreneurs, la CGEM a vu son rôle croître dans les dernières années et son influence exploser. La Confédération a finalement convaincu l’Etat, puis les différents gouvernements, que ce sont ses membres qui créent de la richesse, au point que son siège est devenu le passage obligé de tous les ministres des Finances, voire de tous les ministres tout court, du moins ceux qui comptent. Il en va de même dans les autres pays, mais notre CGEM nationale semble avoir plus de pouvoir et de puissance que ses homologues d’ailleurs, son groupe parlementaire étant là pour le confirmer et la composition du gouvernement actuel (chef compris, chef surtout) ne le démentant nullement.

5/ Les commerçants. Mais quelle mouche a donc piqué le précédent gouvernement pour avoir osé imaginer un système de traçabilité des transactions et des factures, quand factures il y a ?... Broyant du noir et verts de rage, les commerçants refusent de montrer patte blanche au fisc. Réagissant en bloc et attaquant en meute, le gouvernement a précipitamment reculé, puis revient doucement, gentiment, poliment, le plus civilement du monde, pour leur demander de bien vouloir s’acquitter de leurs impôts car, explique-t-il, c’est comme cela qu’Etat peut fonctionner…

En un mot comme en cent, les corporations sont puissantes et les lobbies tournent à plein régime, comme dans tous les pays du monde, mais dans tous les pays du monde, le gouvernement se confond avec l’Etat et il est fort. Soit l’Etat recouvre sa puissance et s’impose, et tout ira bien, ou au moins mieux, soit ce n’est pas le cas, et le gouvernement persiste à étaler sa faiblesse, et alors il ne servira plus à rien de gloser développement et émergence.

Que ceux qui doivent payer l’impôt le payent, ou c’est toute la collectivité qui en paiera le prix ! Et pour cela, il importe que le gouvernement gouverne enfin…

Rédigé par Aziz Boucetta sur PanoraPost


Samedi 29 Janvier 2022