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Le danger des faux éclaireurs de l’IA au Maroc


Par Dr Az-Eddine Bennani

Depuis l’explosion médiatique de l’intelligence artificielle générative, une foule d’orateurs, formateurs, « consultants » et « experts » surgissent dans l’espace public marocain. Ils prennent la parole partout : webinaires, conférences, écoles, administrations, médias.

Beaucoup d’entre eux ne sont ni issus de la science informatique, ni formés à la modélisation, aux algorithmes, à la gouvernance du numérique ou aux technologies de l’information et de la communication. Ils découvrent l’IA par le biais médiatique, par quelques tutoriels ou en recopiant des « prompts » trouvés en ligne. Pourtant, ils se mettent à conseiller, former, influencer et parfois même orienter des décisions publiques, alors qu’ils n’ont aucune maîtrise des fondements scientifiques derrière ces outils.

Le Maroc traverse un moment crucial : soit il construit une véritable stratégie souveraine et systémique en IA, soit il se laisse distraire par les illusions, les slogans et les faux éclaireurs. Et dans ce cas, il perdra une occasion historique de faire aussi des technologies un moteur de son développement économique et social.



Les “moutons noirs” du numérique : un phénomène marocain inquiétant

Le danger des faux éclaireurs de l’IA au Maroc
Dans mes écrits sur les moutons noirs, je décris ces profils qui, sans formation solide ni compréhension scientifique, s’auto-proclament experts. Ils avancent masqués, souvent avec de bonnes intentions, mais toujours avec une méconnaissance profonde des systèmes complexes que sont l’IA, le numérique ou la cybersécurité.

Aujourd’hui, ces moutons noirs prolifèrent dans le domaine de l’IA générative.

Ils utilisent des slogans marketing (« l’IA va tout remplacer », « maîtrisez ChatGPT en 2 heures »), des commentaires spectaculaires, souvent faux ou déformés, des formations superficielles basées sur quelques manipulations de plateformes, des discours confus sur la science, la société ou l’économie, et une rhétorique catastrophiste ou prométhéenne.

Mais ils ne connaissent ni la logique algorithmique, ni l’architecture des systèmes, ni les questions de données, ni les enjeux de souveraineté, ni les limites réelles des modèles. Ils « éclairent » le public sans être eux-mêmes éclairés.

Le danger : un pays qui écoute les mauvaises voix

Il existe une différence fondamentale entre expliquer des usages simples de l’IA, ce que chacun peut faire, concevoir un système d’IA; ce qui nécessite des années de formation, et surtout orienter les politiques publiques,  ce qui exige une expertise réelle.
Le problème n’est pas que ces personnes s’expriment.

Le problème est qu’elles s’expriment comme si elles savaient, alors qu’elles ne disposent que de connaissances superficielles. Le danger pour le Maroc est triple.

Nous risquons d’adopter de mauvaises pratiques. Les décisions peuvent être influencées par des discours simplistes et déconnectés de la réalité technique. Nous risquons de perdre un temps précieux.

Pendant que le reste du monde structure ses plateformes nationales, ses clouds souverains, ses modèles linguistiques et ses clusters d’IA appliquée, nous débattons encore de slogans.

Nous risquons de mettre l’IA entre des mains incompétentes. Une technologie aussi puissante peut faire avancer un pays ou l’endommager durablement.

Pourquoi le Maroc peut encore réussir si nous comprenons la nature réelle de l’IA
L’intelligence artificielle n’est pas un miracle.

C’est le résultat de 60 années de science informatique, de mathématiques, de génie logiciel, d’architecture des systèmes, de gestion de données et de recherche opérationnelle. Sans cette base, il n’y a ni souveraineté, ni innovation, ni compétitivité.

Le Maroc a un avantage unique : une nouvelle génération brillante, ambitieuse et motivée. Mais elle doit être bien formée et bien entourée.

Le message essentiel : attention aux faux guides

L’IA générative a rendu tout le monde bavard. Mais parler n’est pas comprendre. Et comprendre n’est pas savoir construire. Dans une période aussi déterminante, il faut écouter celles et ceux qui maîtrisent la discipline, pas ceux qui surfent sur la vague.

Le public marocain doit être vigilant. Les institutions aussi. Et la presse également. Nous avons besoin d’ingénieurs formés, de chercheurs, de professionnels du numérique, d’experts de la gouvernance, d’universitaires, de praticiens des entreprises, de femmes et d’hommes qui travaillent sur le terrain depuis des années. Pas de profils improvisés.

Ne pas rater l’occasion historique

Le Maroc peut faire de l’IA un levier de développement économique, un outil d’inclusion sociale, un vecteur de souveraineté numérique, un moyen d’améliorer l’éducation, la santé et l’administration. Mais il peut aussi passer à côté, si nous laissons les mauvaises personnes prendre la parole, influencer ou orienter les politiques publiques.

L’IA n’est pas une mode. C’est un changement de civilisation.

Et il serait tragique qu’un pays aussi ambitieux que le Maroc se laisse guider par des moutons noirs au lieu de s’appuyer sur une expertise réelle.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Lundi 24 Novembre 2025