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Le débat politique au Maroc : une illusion d'efficacité ?




Par Hassan Bensassi

Le débat politique au Maroc : une illusion d'efficacité ?
Le Maroc traverse une époque pleine d’ambitions, de chantiers structurants et de discours volontaristes. Pourtant, dans les coulisses du jeu politique, une question persiste avec une acuité croissante : que vaut réellement notre débat politique ? Est-il capable d’accompagner les transformations majeures que connaît le pays ou n’est-il qu’un théâtre de faux-semblants sans incidence sur la réalité ?

À l’approche de la Coupe du Monde 2030, de la mise en œuvre du Nouveau Modèle de Développement (NMD) et dans un contexte de crises multiformes, climatiques, hydriques et économiques, le Maroc a besoin d’un espace public capable de porter des idées, de contester avec rigueur, de construire des compromis solides. Or, la scène politique nationale donne l’image d’une vacuité consternante, où les véritables débats sont délaissés au profit d’un bavardage sans consistance ni horizon.

​Un vide structurant dans le débat politique

Le débat politique au Maroc ne souffre pas d’un manque de sujets : bien au contraire, les défis sont nombreux et documentés. Mais il souffre d’un manque d’ancrage. Au lieu d’être porté par des partis structurés, des intellectuels engagés, des syndicats vigoureux ou une société civile active, il est souvent réduit à des interventions ponctuelles, souvent opportunistes, parfois populistes, rarement stratégiques.

Ce vide trouve son origine dans plusieurs facteurs. D’abord, l’incapacité des partis à s’adapter à la nouvelle donne sociétale : ils continuent d'opérer comme des appareils fermés, déconnectés des préoccupations concrètes des citoyens. Ensuite, la faiblesse des médias à offrir des espaces pluralistes et critiques. Enfin, l’absence d’une culture de débat réellement démocratique, où l’on écoute autant que l’on parle.

​Entre technocratie et dépolitisation

Face à cette défaillance des acteurs traditionnels, c’est l’État technocratique qui prend le relais, pilotant les réformes, les plans d’investissement, la diplomatie, la transition numérique ou verte. Ce choix de la performance gestionnaire a certes permis de faire avancer de grands projets, mais il a également marginalisé le rôle des institutions élues et vidé le politique de sa substance.

Le danger n’est pas tant la technocratie en elle-même, mais l’érosion de la légitimité démocratique qui l’accompagne. À quoi sert d’élire des représentants si les grandes décisions sont prises en dehors de l’arène parlementaire ? À quoi bon débattre si les politiques publiques ne répondent pas aux critiques formulées dans l’espace civique ?

​L’urgence d’un renouveau démocratique

Ce constat alarmant ne doit pas nous condamner au fatalisme. Au contraire, il appelle à un sursaut. La réussite des politiques publiques ne peut être dissociée de leur acceptabilité sociale, de leur appropriation par les citoyens, et donc d’un débat politique vif, structuré et inclusif.
 
Il est temps que les partis politiques retrouvent leur vocation première : celle de produire des idées, de former des cadres, de canaliser les attentes sociales, d’interpeller les décideurs. Il est temps que les institutions médiatiques retrouvent leur rôle critique et éducatif. Il est temps que les citoyens réapprennent à débattre sans se haïr, à argumenter sans invectiver, à écouter sans mépriser.

La démocratie, pour être efficace, doit redevenir vivante. Elle ne peut se contenter d’échéances électorales ou de discours protocolaires. Elle doit vibrer dans les territoires, dans les universités, dans les conseils communaux, dans les syndicats, dans les réseaux sociaux aussi, pour peu que ceux-ci soient porteurs de rationalité et non de haine.

​De la réussite institutionnelle à la réussite collective

Le Maroc est à un tournant. Il ne s’agit plus seulement de construire des routes, des barrages, des écoles ou des stades. Il s’agit désormais de bâtir un consensus nouveau autour de ce que signifie “réussir ensemble”. Cela passe par une refonte du contrat politique, une revalorisation du rôle des corps intermédiaires, une revitalisation du débat public.

Le succès d’un pays ne se mesure pas uniquement à ses infrastructures ou à ses classements internationaux. Il se mesure aussi et surtout à la qualité de son débat démocratique, à la capacité de ses citoyens à discuter de leur avenir, à désobéir avec civisme, à critiquer avec loyauté, à rêver ensemble sans craindre de penser autrement.

C’est à cette condition que le Maroc pourra non seulement réussir ses grands projets, mais aussi s’assurer qu’ils servent durablement le bien commun, dans la dignité, la liberté et la justice sociale.

Traduction Article publié par l'auteur sur le quotidien Alalam



Jeudi 24 Juillet 2025