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Le tournant africain


Rédigé par le Mercredi 22 Juin 2022

Le président Zelensky a parlé aux Africains pour demander leur soutien. Ils lui ont répondu qu’ils avaient surtout besoin de blé et d’engrais.



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L'Afrique, va-t-elle (enfin) prendre son destin en main ?
L'Afrique, va-t-elle (enfin) prendre son destin en main ?
« L’Afrique est l’otage de ceux qui ont déclenché la guerre contre notre État… ils se servent de vous ! ».

C’est en ces termes que le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, s’est adressé, par visioconférence le 20 juin, à l’Union africaine, lors d’une réunion à huis-clos à laquelle n’ont pris part pas plus de quatre chefs d’Etats du continent.

Les déclarations du président de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, et celle du président du Sénégal, Macky Sall, qui ont suivi l’intervention du président Zelensky, ont été, par contre, fort mesurées.

Le premier a souligné, sur Twitter, la position de l’Union africaine (Ua) « sur la nécessité urgente d’un dialogue pour mettre fin au conflit ». Alors que le second a rappelé, au travers du même canal, l’attachement de l’Afrique « au respect des règles du droit international, à la résolution pacifique du conflit et à la liberté de commerce ».

Crainte d’une crise alimentaire

De toute évidence, des termes comme « guerre coloniale » et « esclaves », utilisés par le président ukrainien dans son adresse aux responsables de l’Ua, ne suscitent plus les mêmes réactions émotionnelles chez les Africains.

La crainte d’une crise alimentaire sur le continent leur est autrement plus significative que le rappel d’un passé depuis longtemps révolu.

Le souci premier des dirigeants du continent porte d’abord sur l’approvisionnement des marchés de leurs pays en céréales et autres denrées alimentaires en provenance de la Russie et de l’Ukraine. « Afrika über alles » !

La visite du président Macky Sall à Sotchi, le 3 juin, au cours de laquelle il a rencontre le président russe Vladimir Poutine, restera inscrite dans les annales comme un tournant majeur dans l’Histoire du continent.

L’Afrique détache ses amarres

Parti exprimer les craintes des Africains sur leur approvisionnement en céréales et engrais, suite au conflit armé entre deux importants fournisseurs, la Russie et l’Ukraine, Macky Sall n’est pas allé à Sotchi chercher uniquement « l’assurance » que les cargaisons de blé vont arriver à bon port, qu’il a d’ailleurs obtenu de Poutine.

Le leader sénégalais voulait montrer au monde entier, et à l’Occident en particulier, que le temps ou les pays d’Afrique se rangeaient automatiquement derrière les anciennes puissances coloniales sur la scène internationale est révolu.

L’Afrique parle pour elle-même, par elle-même et seulement sur des sujets qui la concerne.

Les « guerres des blancs », auxquels les Africains ont déjà pris part, deux fois de suite, comme chair à canon, ils ne veulent plus en entendre parler, en ayant déjà assez avec leurs propres problèmes de terrorisme et d’insécurité.

Pour une poignée de blé

Les Africains veulent du blé, pas la guerre
Les Africains veulent du blé, pas la guerre
Conscient que les Africains ne suivent plus aveuglément les consignes de Washington, Paris et Londres, l’Occident ayant de fait perdu son leadership sur les pays du Sud, Zelensky a tenté de jouer sur les craintes des dirigeants africains relatives à d’éventuels renchérissements des prix et pénuries de céréales.

« Cette guerre peut sembler très lointaine pour vous et vos pays. Mais les prix des denrées alimentaires qui augmentent de manière catastrophique ont déjà amené la guerre dans les foyers de millions de familles africaines », a déclaré Zelensky à ses interlocuteurs de l’Ua.

La hausse des prix et les pénuries ne sont pas de la responsabilité de la Russie mais ont été provoquées par les pays occidentaux, s’empresse de souligner Moscou, en s’appuyant sur les chiffres de la Fao.

La production de céréales a augmenté de 0,9% cette année, ayant même enregistré un record : 2.800 millions de tonnes. Il est même prévu qu’il restera, à la fin de 2022, un stock de 850 millions de tonnes de céréales, supérieur à celui de l’année écoulée (833 millions).

Du blé, il y en a donc dans les greniers, et même à profusion.

Fausse pénurie

Toujours selon la Fao, le commerce international des céréales devrait porter, pour la récolte 2021-2022, sur 475 millions de tonnes, en baisse par rapport à la récolte précédente (479 millions), mais plus que 2019-2020 (439 millions). Les prévisions de l’Onu abondent dans le même sens.

« Les représentants de l'Occident utilisent toutes les tribunes, y compris l'ONU, pour accuser la Russie de réduire par ses actions la quantité de céréales disponibles sur le marché, ce qui aurait fait grimper les prix du blé et d'autres céréales. En réalité, il y a plus de céréales sur le marché que les années précédentes, et les échanges commerciaux sont également en hausse », a tenu à préciser la distinguée porte-parole du ministère des affaires russe, Maria Zakharova.

La question qui se pose, maintenant, est comment acheminer le blé jusqu’aux consommateurs africains. Le port d’Odessa, toujours sous autorité ukrainienne, a besoin d’être déminé, explique le président Poutine. Le port de Marioupol, tombé dans les mains de l’armée russe, est de nouveau opérationnel.

Selon le président Macky Sall, le fleuve du Danube, qui va d’Allemagne jusqu’à la Mer noire, ainsi que la Biélorussie constituent également des voies d’acheminement envisageables pour l’exportation des céréales d’Ukraine.

L’entrave des sanctions

Mais l’essentiel, pour éviter la crise alimentaire en Afrique, est la levée des sanctions occidentales sur les céréales et les engrais commercialisés par la Russie, insiste évidemment le président Poutine.

Macky Sall n’en a pas, lui également, demandé moins que de classer les céréales et les engrais russes « hors sanctions ».

Les pays d’Afrique représentent un quart des votes à l’Onu. La moitié d’entre eux s’est abstenu de voter les résolutions présentées par les pays occidentaux contre la Russie à l’Onu.

Si les Africains semblent très résolus à ne pas s’impliquer dans le conflit entre la Russie et l’Occident, par Ukraine interposée, ils n’en demeurent pas moins très inquiets des conséquences de ce conflit sur leur approvisionnement en céréales et engrais.

L’aube d’une nouvelle ère

Macky Sall parle de l'Afrique à Poutine
Macky Sall parle de l'Afrique à Poutine
L’Afrique prend conscience que le monde unipolaire dirigé par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux n’est plus.

Un nouvel ordre mondial, qui n’est plus régi par les « règles » dictées par l’Occident est en train d’émerger et malheureusement, le continent noir n’a toujours pas pris le nouveau train de la multipolarité géopolitique.

Au forum économique de Saint Petersburg, dans son édition 2022, ont commencé à apparaître les contours d’un nouveau puissant groupe de nations en quête de nouveaux repères pour l’économie mondiale, le G8 alternatif.

Il est composé des pays du Brics réduits à quatre en raison de la défaillance de l’Afrique du Sud, à savoir la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil, auxquels il faudrait désormais ajouter l’Iran, le Mexique, la Turquie et l’Indonésie.

Mieux vaut tard que jamais

Par parité de pouvoir d’achat, le Pib cumulé du G8 alternatif a déjà dépassé celui du G7 (auparavant G8 jusqu’à l’exclusion de la Russie). Mais aucun pays d’Afrique n’en fait partie.

L’Afrique du Sud, 2ème puissance économique du continent après le Nigéria, mais mal gouvernée, a déçu.

Faute d’un leader naturel, l’Ua se présente comme l’instrument le plus adapté pour défendre et promouvoir les intérêts de l’Afrique dans un monde géopolitiquement en reconfiguration de fond en comble.




Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Mercredi 22 Juin 2022