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7 Mai 2025 - écrit par sylvina neri - Lu 41 fois

Les ambitions du Maroc pour ses ports à l'horizon 2030 : une vision stratégique ?

La Stratégie Portuaire Nationale 2030 s'inscrit dans une vision holistique du développement économique marocain. Son objectif premier est d'anticiper et d'accompagner une croissance substantielle du trafic maritime, projetée entre 275 et 350 millions de tonnes à l'horizon 2030. Cette augmentation considérable implique un redimensionnement systémique des infrastructures existantes et la création de nouvelles capacités adaptées aux évolutions prévisibles du commerce maritime international.


Les ambitions du Maroc pour ses ports à l'horizon 2030 : une vision stratégique ?
Le positionnement du Maroc comme hub logistique et portuaire régional constitue l'ambition cardinale de cette stratégie. Le Royaume entend capitaliser sur sa stabilité politique, sa proximité avec l'Europe et son rôle de porte d'entrée vers l'Afrique subsaharienne pour attirer les flux maritimes internationaux. Cette ambition se concrétise par l'amélioration constante de l'indice de connectivité des transports maritimes réguliers (LSCI), reflet de l'intégration croissante du pays dans les réseaux maritimes mondiaux.

La SPN 2030 s'articule également avec les stratégies sectorielles nationales, notamment dans les domaines industriel, agricole et énergétique. L'infrastructure portuaire est ainsi conçue comme un facilitateur d'exportation pour les produits manufacturés, agricoles et miniers marocains, mais aussi comme une plateforme d'importation efficiente pour les intrants nécessaires au développement économique du pays. La spécialisation régionale des ports constitue un axe structurant de cette vision, avec le développement de pôles portuaires aux vocations complémentaires : Tanger Med et Nador West Med pour le transbordement et l'industrie, Casablanca-Mohammedia pour le commerce général, Jorf Lasfar pour l'énergie et les phosphates, Agadir et Kenitra pour l'agro-industrie et l'automobile.

Les prévisions de trafic par type de marchandises révèlent des dynamiques différenciées. Le secteur des conteneurs devrait connaître une croissance particulièrement soutenue, portée par l'essor du commerce international et l'intégration croissante du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales. Les exportations d'agrumes, pilier historique du commerce extérieur marocain, bénéficieront d'infrastructures dédiées pour optimiser leur acheminement vers les marchés européens et mondiaux. Les hydrocarbures et les phosphates, produits stratégiques pour l'économie marocaine, nécessiteront également des capacités portuaires accrues.

Le développement de l'industrie navale représente une composante innovante de la stratégie portuaire marocaine. L'intégration de chantiers navals au sein des complexes portuaires de Casablanca, Agadir, Tan-Tan, Nador West Med et Kenitra Atlantique traduit une volonté de diversification économique et de montée en gamme industrielle. Ces infrastructures spécialisées permettront d'offrir des services de réparation et de construction navale, avec une perspective d'extension vers le démantèlement naval, segment à forte valeur ajoutée mais exigeant en termes de normes environnementales.

Les "chantiers" prioritaires pour atteindre les ambitions de 2030

Le développement et la modernisation des infrastructures portuaires constituent le premier chantier stratégique pour concrétiser les ambitions marocaines. 

L'accélération des grands projets en cours, notamment Nador West Med dont la mise en exploitation est prévue pour à la mi-2026, apparaît comme une priorité absolue. Ce complexe portuaire intégré, avec ses terminaux à conteneurs, hydrocarbures et vrac, doit compléter l'offre de Tanger Med pour renforcer la présence marocaine en Méditerranée occidentale. Le port de Kenitra Atlantique représente quant à lui un maillon essentiel du dispositif portuaire atlantique, conçu pour accompagner le développement industriel régional.

Les extensions programmées des ports d'Agadir et de Tan-Tan visent spécifiquement à décongestionner les chantiers navals existants et à renforcer les capacités dédiées à la pêche maritime, secteur économique crucial pour ces régions. Parallèlement, l'optimisation des capacités existantes constitue un enjeu d'efficience majeur : certains ports sous-employés pourraient absorber une partie du trafic des installations saturées, moyennant une réorganisation logistique appropriée.

Le développement des connexions multimodales représente un défi systémique pour l'efficacité globale du réseau portuaire. Le renforcement des liaisons ferroviaires et routières entre les ports et les centres économiques du pays doit permettre une fluidification des flux logistiques et une réduction des coûts d'acheminement. L'articulation entre la stratégie portuaire et le développement des plateformes logistiques intérieures constitue à cet égard un impératif de cohérence.

L'amélioration de la gouvernance et de la gestion portuaire émerge comme deuxième chantier prioritaire. malgré des avancées importantes depuis 2006, le Maroc doit encore procéder à une refonte approfondie de son cadre réglementaire maritime et portuaire pour le rendre pleinement adapté aux défis contemporains. Une codification cohérente, alignée sur les conventions internationales et les meilleures pratiques sectorielles, permettrait de sécuriser juridiquement les opérations portuaires et d'attirer les investisseurs internationaux. 

Le renforcement de la coordination entre l'Agence Nationale des Ports (ANP), les opérateurs privés et les administrations concernées doit fluidifier les processus décisionnels et opérationnels.
L'efficience des services portuaires – pilotage, remorquage, manutention – constitue un facteur déterminant de la compétitivité globale du système. La mise en concession du chantier naval de Casablanca, processus actuellement en cours mais nécessitant une adaptation des conditions pour améliorer son attractivité, illustre la volonté d'impliquer davantage le secteur privé dans la gestion des infrastructures stratégiques.

Le renforcement de la compétitivité et de l'attractivité des ports marocains constitue le troisième chantier fondamental. L'optimisation des coûts et des délais de passage portuaire représente un levier essentiel pour attirer les flux commerciaux internationaux dans un environnement méditerranéen hautement concurrentiel. Le développement de services à valeur ajoutée, notamment dans les domaines de la logistique et de la transformation des produits, permettrait d'accroître l'attractivité des zones portuaires marocaines pour les opérateurs internationaux.

L'attraction d'investissements privés, facilitée par un cadre réglementaire et fiscal incitatif, constitue un enjeu crucial pour le financement des infrastructures programmées. Le renforcement du rôle des opérateurs portuaires marocains, au premier rang desquels figure Marsa Maroc, traduit une volonté de consolidation des acteurs nationaux face à la concurrence internationale.

Le développement du capital humain et des compétences émerge comme quatrième chantier stratégique. L'adaptation des formations aux besoins spécifiques du secteur portuaire et de l'industrie navale nécessite une collaboration étroite entre les établissements d'enseignement et les acteurs professionnels. La formation aux opérations portuaires modernes et à la maintenance des équipements sophistiqués requiert des programmes spécialisés et constamment actualisés. L'anticipation des évolutions des métiers et des compétences à l'horizon 2030, notamment sous l'effet de la digitalisation et de l'automatisation croissantes, représente un enjeu prospectif majeur.

L'intégration des enjeux environnementaux et énergétiques constitue le cinquième chantier prioritaire. La décarbonation progressive des activités portuaires, en ligne avec les engagements internationaux du Maroc en matière de lutte contre le changement climatique, implique des investissements conséquents dans les technologies propres. La mise en place d'un cadre réglementaire pour le démantèlement des navires, activité à fort potentiel économique mais présentant des risques environnementaux significatifs, témoigne d'une approche intégrée du développement portuaire. Le développement du "bunkering" (ravitaillement en carburant) dans les principaux ports marocains, avec une orientation progressive vers les carburants alternatifs comme le GNL ou l’ammoniac vert illustre l'adaptation anticipée aux évolutions réglementaires internationales en matière de propulsion maritime.

Conclusion

Les ports marocains se trouvent à un moment charnière de leur développement. La vision stratégique portée par la SPN 2030 esquisse un horizon ambitieux mais atteignable, sous réserve d'une exécution rigoureuse des chantiers prioritaires identifiés. Le développement des infrastructures, l'amélioration de la gouvernance, le renforcement de la compétitivité, l'investissement dans le capital humain et l'intégration des impératifs environnementaux constituent les cinq piliers interdépendants de cette transformation systémique.

La réussite de cette stratégie portuaire déterminera largement la capacité du Maroc à s'affirmer comme puissance maritime régionale et à transformer ses infrastructures portuaires en véritables catalyseurs de développement économique. Au-delà des enjeux sectoriels, c'est la compétitivité globale de l'économie marocaine et son insertion avantageuse dans les flux commerciaux mondiaux qui se jouent dans cette transformation portuaire. En relevant méthodiquement les défis identifiés, le Royaume peut légitimement aspirer à faire de son littoral un atout stratégique majeur dans une économie mondiale de plus en plus tournée vers la mer.