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Les maux de la santé publique au Maroc




Par Lahcen Haddad

Les maux de la santé publique au Maroc
Malgré les avancées notables enregistrées ces dernières années, notamment la généralisation progressive de la couverture médicale, le système de santé marocain continue de se heurter à son principal défi: garantir à chaque citoyen un accès réel, rapide et abordable à des soins de qualité. Or, dans la réalité quotidienne, trop de patients affrontent encore des délais interminables, des coûts prohibitifs et des structures hospitalières inégalement réparties entre zones urbaines et rurales. L’ambition politique se trouve constamment freinée par des contraintes structurelles et organisationnelles qui affaiblissent la confiance des citoyens dans leur système de santé. À titre de comparaison, le Maroc compte environ 0,8 médecin pour 1.000 habitants, contre une moyenne de 3,5 dans l’OCDE. L’écart illustre la profondeur des défis.

Obstacles structurels et fragilités persistantes

Le système de santé marocain reste fragilisé par un déficit chronique de ressources humaines, des financements insuffisants, des inégalités territoriales et une gouvernance encore perfectible. Tant que des avancées tangibles ne seront pas réalisées sur ces fronts, la réforme risque de demeurer un exercice bureaucratique, davantage conçu pour répondre à des normes administratives qu’aux attentes réelles des citoyens. Ces failles structurelles ne sont pas isolées. Elles se nourrissent mutuellement. La pénurie de médecins provoque une surcharge des hôpitaux, entraînant à son tour des retards de prise en charge et des coûts supplémentaires pour les ménages.

La pénurie et la fuite des talents médicaux

La pénurie et la mauvaise répartition du personnel de santé constituent la faille la plus profonde. Le Maroc souffre depuis longtemps d’un déficit chronique de médecins, d’infirmiers et de spécialistes. Les capacités de formation sont insuffisantes, les recrutements lents, et la concentration des professionnels dans les grandes villes laisse les zones rurales dramatiquement sous-dotées. Les habitants, privés de soins de proximité, se voient contraints d’affluer vers les hôpitaux provinciaux et universitaires, saturant des structures déjà débordées.

Cette fracture territoriale est d’autant plus marquée que près de 37% des Marocains vivent encore dans des zones rurales, où l’accès à un médecin est parfois inférieur à 1 pour 10.000 habitants. À cela s’ajoute l’émigration d’une partie significative du corps médical, attiré par de meilleures conditions à l’étranger. Retenir les médecins et instaurer une politique volontariste de fidélisation et de répartition équitable doivent devenir des priorités nationales urgentes. Certains pays comme la Turquie ont réussi à limiter l’exode médical par des incitations financières et académiques fortes. Ces expériences pourraient inspirer le Maroc.

Le coût prohibitif des soins

À ces faiblesses s’ajoute une autre réalité: le coût des soins reste élevé et souvent insoutenable. Bien que la couverture médicale généralisée soit une réalité, les délais dans le public poussent de nombreuses familles vers le privé, où persistent des pratiques informelles comme les paiements «au noir».
«À long terme, le Maroc gagnerait à s’inspirer du modèle coréen ou brésilien, où la recherche biomédicale financée en partie par le privé a permis de réduire la dépendance aux importations pharmaceutiques.»

Pour beaucoup de familles rurales, les maladies deviennent de véritables chocs sociaux. Elles s’endettent ou vendent leurs biens pour financer les soins. Les pathologies chroniques (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires) exigent un effort financier colossal et nombre de patients meurent faute de suivi médical adapté. Une étude de la Banque mondiale (2022) montre que plus de 35% des ménages marocains risquent de tomber dans la pauvreté en cas de maladie grave, un chiffre parmi les plus élevés de la région MENA.

Les hôpitaux publics en crise

Les hôpitaux publics, censés constituer le pilier du système, souffrent de défaillances structurelles et organisationnelles. L’absence récurrente de certains médecins, le déficit criant de personnel paramédical, la surcharge des directeurs et le manque de moyens transforment l’hôpital public en un espace où règnent trop souvent improvisation et chaos.

Les causes sont connues: manque de médicaments et d’équipements modernes, absentéisme chronique, mauvaise répartition des ressources, faible reddition des comptes. Même les organes de supervision se révèlent parfois inefficaces ou absents. À titre comparatif, la durée moyenne d’attente pour une consultation spécialisée dans un hôpital public marocain peut dépasser trois mois, contre deux à trois semaines dans des systèmes de référence régionaux comme celui du Portugal. Le Maroc n’a pas encore réussi à construire un modèle clair et reproductible d’hôpital public moderne et efficient.

Budget et financement de la santé

Le gouvernement a consenti des efforts louables, notamment en augmentant de manière significative le budget de la santé. Toutefois, les allocations, bien que revues à la hausse, ne couvrent pas la croissance rapide des besoins sanitaires. Le Maroc consacre moins de 6% de son PIB à la santé, quand l’OMS recommande entre 8 et 10%.

L’augmentation du budget est nécessaire, mais elle doit s’accompagner d’une gestion plus efficace et d’une allocation optimale des ressources. Chaque dirham dépensé doit être évalué en termes d’impact sanitaire réel: réduction des délais d’attente, amélioration de la disponibilité des médicaments, ou accroissement du nombre de consultations. Sans ces indicateurs, le surcroît budgétaire risque de se dissoudre dans l’inertie administrative.

Une expérience patient désastreuse

Peut-être le point le plus saillant demeure la médiocrité du service public. Files d’attente interminables, délais excessifs, absentéisme médical, rupture de médicaments et vétusté des infrastructures alimentent une expérience patient désastreuse. Restaurer la confiance suppose d’instaurer une véritable culture de responsabilité et de transparence. Dans un sondage récent, plus de 60% des Marocains déclarent éviter les hôpitaux publics sauf en cas d’urgence extrême. Cette défiance fragilise la légitimité de tout effort de réforme.

Quelles réformes pour demain?

L’amélioration de l’expérience des patients doit devenir une priorité nationale. Cela implique:

Premièrement, renforcer la discipline du personnel, lutter contre l’absentéisme, fidéliser les médecins et assurer des rotations pour les zones rurales. Deuxièmement, moderniser les hôpitaux, numériser les systèmes, former des gestionnaires spécialisés et mettre en place un numéro vert national pour recueillir et traiter les doléances. Troisièmement, développer les cliniques mobiles et caravanes médicales, revoir la grille tarifaire pour réduire les incitations au marché parallèle et soutenir les familles confrontées aux coûts exorbitants des maladies chroniques.

Vers un modèle financier diversifié

Il ne suffit pas d’augmenter les dépenses publiques. Il faut diversifier les sources de financement. Cela suppose la mise en place de prestations payantes dans certains services publics pour les patients qui en ont les moyens, la création de fonds dédiés aux CHU, l’encouragement du waqf pour la santé, ainsi que la contribution directe de l’industrie pharmaceutique au financement de la recherche et du développement. À long terme, le Maroc gagnerait à s’inspirer du modèle coréen ou brésilien, où la recherche biomédicale financée en partie par le privé a permis de réduire la dépendance aux importations pharmaceutiques.

La réussite de la réforme du système de santé marocain repose moins sur les annonces que sur la mise en place d’une gouvernance crédible, transparente et orientée vers le citoyen. Clarifier les rôles, renforcer la reddition des comptes et instaurer des mécanismes de feedback patient seraient un signal fort de la volonté d’un État qui place enfin la santé publique au cœur de son contrat social. Car au fond, une couverture médicale universelle sans soins de qualité et sans équité d’accès ne représente qu’une promesse creuse. Le véritable test de la réforme sera sa capacité à replacer le patient marocain au centre du système.

Par Lahcen Haddad / fr.le360.ma/


Samedi 27 Septembre 2025