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Les premiers pas vers la "démondialisation"


Rédigé par le Mercredi 6 Avril 2022

L’affrontement féroce entre les forces russes et ukrainiennes n’est que la partie visible d’un iceberg en train de déchirer la coque du Titanic de la mondialisation.



Les premiers pas vers la "démondialisation"
Quand un paquebot de passagers se met à prendre l’eau, le premier reflexe du commandant de bord est de prétendre qu’il n’y a rien à craindre et que tous pouvaient être sauvés et ce pour éviter la panique.

C’est l’impression que donnent les dirigeants des pays occidentaux, prompts à s’emporter contre Poutine "le terrible" et promettre un (chimérique) soutien à l’Ukraine, moins loquaces concernant les conséquences de leurs sanctions contre la Russie sur leurs propres populations.

D’ores et déjà, le monde s’est scindé en trois blocs distincts. Il y a le bloc occidental, qui compte les pays de l’Otan auxquels il faut ajouter l’Australie, le Japon et la Corée du Sud.

Il apporte un appui sans conditions à l’Ukraine et escompte, à travers les sévères sanctions infligées, un changement de régime à Moscou, faute de pouvoir plier militairement la Russie.

Le camp des « niet » aux sanctions

Autour de la Russie sont regroupés tous les pays qui rejettent formellement les sanctions occidentales contre Moscou, dont le challenger des Etats-Unis au titre de première puissance économique mondiale, la Chine. En termes de parité de pouvoir d’achat, le géant asiatique l’est déjà.

Il est intéressant de noter que parmi ces pays, on compte des membres de l’Otan, à savoir la Turquie et la Hongrie, qui appartient également à l’Union européenne.

Le Sultan Erdogan, opportuniste à souhait, achète du gaz naturel russe et accueille sur son territoire, depuis un an, le gazoduc Turkstream qui alimente six pays européens. Et vend à l’Ukraine des drones militaires Bayraktar TB2, peu efficaces face aux défenses aériennes russes, contrairement à ce que prétend la propagande ukrainienne.

Le mal aimé en Occident Viktor Orban, premier ministre pour la 4ème fois réélu de Hongrie, a gagné les voix de la majorité des électeurs en promettant de tenir son pays à l’écart de la guerre Russie-Ukraine et de continuer à importer du gaz naturel russe. Son succès électoral est une gifle aux leaders de l’UE et de l’Otan, qui n’apprécient ni son conservatisme, ni son autonomie de décision.

Les « wait and see »

Puis il y a tout le reste des pays de la planète, dont la totalité du continent africain, qui considèrent avec beaucoup de curiosité le déroulement des opérations militaires sur le terrain, mais s’inquiètent des conséquences de cette guerre sur leurs fragiles économies.

Cette neutralité, qui augure d’un regain de vitalité du léthargique mouvement des non-alignés, a beaucoup vexé les Etats-Unis, qui s’attendaient à voir tous les pays suivre les « règles » édictées par l’unique hyper-puissance mondiale, qui ne l’est tout simplement plus.

Si les Américains savaient déjà les dirigeants des pays africains en majorité très pragmatiques, sachant plier sous la tempête pour éviter de faire les frais de révolutions de couleur, ils sont désormais bien obligés d’admettre que les Africains n’attendaient que l’opportunité de se trouver des nouveaux puissants alliés, moins regardant sur la nature de leurs régimes politiques et la question des droits humains.

En Asie du Sud, le premier ministre du Pakistan, Imran Khan, est allé jusqu’à défier ouvertement Washington, qu’il accuse de fomenter un coup d’Etat constitutionnel contre son gouvernement pour avoir refusé de se joindre à la politique de sanctions contre la Russie.


L’hyper-puissance fissurée

Les premiers pas vers la "démondialisation"
La position de l’armée pakistanaise reste la grande inconnue de cette équation, déchirée entre son pro-américanisme traditionnel et sa frustration due à ce qu’elle considère comme l’ingratitude des Etats-Unis envers son soutien à la guerre en Afghanistan, mais il est certain que Imran Khan n’aurait jamais couru ce risque s’il ne se savait pas appuyé, autant par sa population que par son puissant voisin et nouvel allié stratégique chinois.

Toujours est-il que c’est l’une des rares fois ou les stratégies de politique extérieure du Pakistan et de l’Inde, son ennemi irréductible, suivent la même attitude de désobéissance à Washington.

A l’image du président brésilien Jair Bolsonaro, qui a déclaré la neutralité de son pays par rapport au conflit Russie-Ukraine, l’Amérique latine semble aussi prête à larguer les amarres pour se détacher de l’influence, largement considérée par les populations du sous-continent comme étant insupportable, de leur hégémonique voisin d’Amérique du Nord.

Certains observateurs vont jusqu’à annoncer la péremption de la doctrine Monroe, qui faisait de l’Amérique latine l’arrière cour des Etats-Unis.

Un géant aux pieds d’argile

De fait, plus il y aura de pays disposés à continuer les échanges commerciaux avec la Russie, par n’importe quel autre moyen de paiement que le dollar et l’euro, moins les pays occidentaux pourront maintenir leur influence sur les pays du Sud.

Encore moins si la Russie arrive à étaler l’efficacité de son appareil et de ses moyens militaires face à un pays européen, l’Ukraine, explicitement soutenu par les pays occidentaux.

Il faut garder à l’esprit que l’argent est le nerf de la guerre. Les Etats-Unis, c’est une dette nationale de près de 23 mille milliards de dollars, en hausse de 850 millions de dollars chaque jour.

Elle dépasse les 110% du Pib. Le déficit commercial a, pour sa part, enregistré un record historique, dépassant le mille milliards de dollars.

Washington a interdit à la Russie de rembourser sa dette étrangère en dollars américains, de manière à la pousser vers le défaut de paiement.

Mais il faut souligner que cette dette ne dépasse pas les 263 milliards de dollars, soit à peine 20% du Pib. Et l’excédent de la balance commerciale russe est en croissance.

Avoir les moyens de ses ambitions

Par ailleurs, la banque centrale de Russie dispose d’une réserve de quelques 640 milliards de dollars, en monnaie américaine, mais aussi en monnaie chinoise, le Yuan, à hauteur de 13%, et en or, dans une proportion de 37%.

Les Etats-Unis vivent à crédit, grâce au « privilège » du dollar, en tant que principale monnaie d’échange internationale qu’ils impriment à souhait dans le cadre de la politique d’assouplissement.

La Russie exporte plus qu’elle n’importe et peut survivre en quasi-autarcie, du fait de son autosuffisance alimentaire et énergétique. Grâce à son poids sur les marchés de l’énergie et des matières premières, la Russie peut même menacer les industries européennes d’arrêt de leurs activités si Moscou devait interrompre certaines livraisons (gaz naturel, nickel, aluminium, palladium, titane, etc).

Déjà, la condition posée par Poutine de vendre le gaz russe uniquement en contrepartie de roubles a plongé les dirigeants européens dans une grave crise d’hystérie. Ces derniers refusent de payer les 300 millions de m3 de gaz naturel russe consommés par jour en roubles.

Il fut une fois, l’Occident…

Mais comme aucun autre fournisseur ne peut se substituer, en termes de volume de gaz livré, à la Russie, en tout cas pas avant la prochaine saison hivernale, les Européens ont bien des soucis à se faire.

Même un recours massif aux sources d’énergie renouvelables exige l’usage du gaz naturel pour lisser les courbes d’intermittence. 

Washington, qui a augmenté considérablement ses achats de pétrole russe au cours des semaines qui ont suivi l’annonce des sanctions contre Moscou, se fait des illusions si elle s’imagine que les pays du Sud ne tiennent pas compte de ce genre de considérations.

La mondialisation, telle que promue par les pays occidentaux, est entrée en phase d’effondrement accéléré.




Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Mercredi 6 Avril 2022