L'ODJ Média

MENA : Comment les données pourraient enfin éclairer les politiques économiques ?


Rédigé par La Rédaction le Lundi 28 Avril 2025



MENA : Comment les données pourraient enfin éclairer les politiques économiques ?

Dans la région MENA, un paradoxe persiste : jamais les défis économiques n’ont été aussi urgents, mais jamais les décisions politiques n’ont été aussi peu fondées sur des données fiables. Ce constat, mis en lumière par le rapport de la Banque mondiale d’avril 2025, souligne une réalité qui dépasse la simple technique : l’économie de la région souffre autant d’un déficit d’investissements que d’un déficit de connaissance.

En matière de politiques publiques, la région avance souvent à l’aveugle. Trop d’interventions — qu’il s’agisse de subventions, d’incitations fiscales, de soutien aux PME ou de programmes d’emploi — reposent sur des intuitions, des intérêts sectoriels ou des impératifs politiques immédiats, plutôt que sur une compréhension rigoureuse des dynamiques économiques réelles.

Pourquoi ce déficit de données est-il si problématique ? Parce qu’il empêche d’identifier ce qui fonctionne, ce qui échoue, et pourquoi. Sans données précises sur les performances des entreprises, sur les flux d’investissements, sur la mobilité du travail ou sur l’impact réel des mesures incitatives, les États ne peuvent ni concevoir des réformes efficaces ni ajuster rapidement leur trajectoire en cas d’échec.

Le rapport insiste sur un point clé : la rareté des données au niveau des entreprises. Même dans des pays comme le Maroc ou la Tunisie, relativement mieux dotés en statistiques, les données disponibles restent limitées aux secteurs formels, aux grandes entreprises ou aux zones urbaines. Le secteur informel, qui représente parfois plus de 60 % de l’activité, reste largement une boîte noire.

En outre, l’accès aux données économiques est souvent restreint par des barrières institutionnelles. L’administration publique détient des bases de données riches (fiscales, douanières, bancaires), mais leur partage est rare, voire politiquement sensible. Les chercheurs, les acteurs économiques et même certains services de l’État travaillent avec des informations partielles, obsolètes ou incomplètes.


Pour changer la donne, la Banque mondiale propose une approche ambitieuse :

  • Généraliser la collecte de données au niveau microéconomique (entreprises, travailleurs, consommateurs) ;

  • Assurer l’accès public aux données anonymisées, pour permettre la recherche indépendante et l’évaluation des politiques ;

  • Développer des systèmes d’évaluation ex ante et ex post des politiques industrielles, fiscales ou commerciales ;

  • Promouvoir une culture institutionnelle de la transparence et de l’apprentissage par l’expérience.

En somme, il ne s’agit pas seulement de produire plus de données, mais d’en faire un outil de pilotage continu, capable de corriger les erreurs, d’ajuster les stratégies et d’anticiper les tendances.

Le potentiel est immense. Avec de meilleures données, les États pourraient, par exemple, cibler plus efficacement les aides aux entreprises réellement innovantes, mieux comprendre les obstacles à la création d’emplois formels, ou détecter plus rapidement les risques de bulle dans certains secteurs.

Mais au-delà des gains techniques, une politique économique fondée sur les données serait un formidable levier de reconstruction de la confiance entre l’État, le secteur privé et la société civile. Une économie qui s’observe est une économie qui peut se transformer.


Et si la quête obsessionnelle de données cachait une illusion plus profonde : l’illusion que la technique suffit à résoudre des problèmes politiques ?

Dans des sociétés marquées par la méfiance, les inégalités et la concentration du pouvoir, même les meilleures données peuvent être ignorées, manipulées ou instrumentalisées. Collecter, analyser et publier des chiffres n’empêche pas forcément les intérêts dominants de continuer à dicter les politiques. À quoi bon prouver par les chiffres qu’un secteur est inefficace si ses barons politiques en tirent profit ?

Par ailleurs, l’obsession pour la "data" peut déshumaniser la politique économique. Réduire les citoyens à des flux, des taux ou des agrégats, sans écouter leurs récits, leurs peurs, leurs aspirations, risque de renforcer le fossé entre technocrates et populations.

Enfin, toutes les réalités économiques ne se laissent pas saisir par des chiffres. La résilience d’une communauté rurale, la confiance dans une coopérative locale, ou la capacité d’une jeunesse à innover dans l’informel sont autant de dynamiques vivantes, parfois invisibles aux outils statistiques classiques.

Bref, sans vision politique, sans courage éthique, sans projet collectif, les données, aussi précises soient-elles, ne sauveront pas l’économie MENA. Elles ne sont qu’un miroir : encore faut-il vouloir regarder dedans.

Article dans L'Eco Business du 27 Avril 2025





Lundi 28 Avril 2025