Les revendications s'articulent autour de thèmes récurrents mais désormais explosifs :
Cette jeunesse, qui ne se reconnaît plus dans les discours officiels, exprime une exigence nouvelle : celle d'un État plus juste, plus transparent, plus proche . Elle réclame de la cohérence entre la parole politique et l’action publique. Ce n'est pas une génération dépolitisée, comme certains voudraient le croire, mais une génération qui rejette les faux-semblants et les réponses technocratiques. Elle découvre la pratique de la politique par internet sans nécessairement y penser.
Elle parle le langage du quotidien : celui du prix du poulet, des soins, du transport, et non celui des taux d'inflation ou des indices macroéconomiques. Elle s'exprime en clic, en "avatars", "emojis" ou "stickers". Elle écrit Darija en lettres latines et chiffres. Elle s'informe vite, répond instantanément et succinctement. Elle n'aime pas les discours longs qu'elle trouve fastidieux. Elle vit dans un monde mondialisé mais revendique sa spécificité marocaine et en est fière.
Quand un citoyen se plaint du prix des tomates , ce n'est pas une courbe d'indicateur ou une note du FMI qui va le rassurer. Il parle en dirhams, pas en pourcentages.
Dans ce climat de tension, la métaphore de feu Hassan II qui invitait les architectes à « marcher pieds nus pour ressentir le pays » prend une résonance saisissante. Jadis a prononcé pour rappeler l'importance de comprendre l'âme du Maroc avant de construire, elle devient aujourd'hui un impératif politique .
Marcher pieds nus, c'est descendre de son piédestal , quitter les bureaux climatisés, abandonner les powerpoints et les slogans pour écouter le terrain . C'est accepter de sentir la poussière des routes rurales, d'entendre les crises des hôpitaux saturés, de partager le désarroi des enseignants, ou la solitude des jeunes sans emploi.
Ils doivent comprendre ce que veut dire le Maroc à deux vitesses , déclaré par Sa Majesté le Roi Mohammed VI lui-même. Une partie du pays vit dans la modernité, connectée, optimiste, visible dans les projets d'infrastructures et les forums internationaux. L'autre, majoritaire, se débat dans la précarité ou l'angoisse de la pauvreté, l'oubli, l'injustice. Entre les deux, le fossé se creuse. Et c'est précisément ce fossé que les manifestations actuelles mettent à nu.
Voilà quelques années naissait l'espoir d'un nouveau modèle de développement, demandé par Sa Majesté le Roi lui même. Qu'en est il aujourd'hui. Est-il où se modèle et ses recommandations ?
L'impression qui domine est celle d'un décalage croissant entre les promesses et la réalité , entre les discours triomphalistes et la vie quotidienne des citoyens. Ce désenchantement n'est pas qu'économique, il est aussi moral : c'est la confiance qui s'effrite, la parole publique qui perd son sens.
La jeunesse a de tout temps été la boussole morale des peuples. Elle dit haut ce que les autres pensent tout bas. La mobilisation de la jeunesse agit comme un électrochoc salutaire.
Le mouvement n'est pas monolithique : il réunit des étudiants, des chômeurs, des jeunes actifs, des artistes, des enseignants. Mais tous partagent un sentiment commun : celui d'avoir été mis à l'écart d'un système politique et économique qui ne leur offre plus de perspectives.
Cette jeunesse n'attaque pas son pays, elle veut le sauver d'une dérive qui le menace.
L'urgence est de retrouver l'esprit de ce pays millénaire. Marcher pieds nus, aujourd'hui, c'est revenir à l'essentiel :
- Aller dans les écoles de villages où les enfants manquent de tout.
- visiter les hôpitaux où certains médecins font des miracles avec rien mais où d'autres sont absents ou se reposent après être intervenus ailleurs.
- Ecouter les mères qui nourrissent difficilement leurs familles.
- Comprendre les jeunes qui refusent de vivre dans l'attente d'un miracle administratif.
Un pays ne se gouverne pas à coups de slides PowerPoint, de rapports commandés à des cabinets étrangers, ni de promesses formatées pour les réseaux sociaux. Il se dirige avec la conscience du réel, le sens du peuple, et la volonté de corriger ce qui bénit .
Le Maroc a souvent prouvé sa capacité à surmonter les crises en se réinventant.
PAR AZIZ DAOUDA/ BLUWR.COM