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Maroc et Afrique : le savoir après la hype – l’ère du travail réel de l’intelligence


Par Dr Az-Eddine Bennani

Le nouveau rapport du Gartner Hype Cycle 2025 confirme ce que beaucoup pressentaient : la vague de l’intelligence artificielle générative, après une phase d’euphorie planétaire, amorce sa descente dans la vallée de la désillusion. Cette phase, loin d’annoncer la fin d’un cycle, marque au contraire l’entrée dans la maturité. Elle ouvre le temps du travail, celui où les sociétés et les organisations doivent transformer la fascination technologique en savoir structuré et en capacité collective.



De la fascination à la construction systémique

Maroc et Afrique : le savoir après la hype – l’ère du travail réel de l’intelligence
L’année 2023 a été celle de l’émerveillement. L’IA générative, incarnée par ChatGPT ou Midjourney, a bouleversé le rapport au texte, à l’image et à la connaissance. Mais en 2025, les priorités changent. Selon Gartner, les concepts désormais en tête de courbe sont AI Agents, AI-Ready Data, AI TRISM, ModelOps et Sovereign AI.

Autrement dit : les entreprises et les États ne recherchent plus un outil intelligent mais une infrastructure cognitive souveraine, capable d’orchestrer des flux de données, de gouverner les modèles et de garantir la confiance. L’IA entre dans sa phase systémique : celle de la cohérence, de la responsabilité et de la durabilité.

Les cinq piliers de la maturité

Dans mon ouvrage L’intelligence artificielle au Maroc – Souveraineté, inclusion et transformation systémique, j’ai montré que la véritable transformation ne vient pas de la technologie elle-même, mais de la manière dont une société structure son rapport au savoir et à la décision. Le cycle Gartner confirme aujourd’hui cette intuition en faisant émerger cinq piliers de maturité :

1. Les agents IA, capables d’agir, d’apprendre et de collaborer de façon autonome.
2. Les données prêtes pour l’IA, gouvernées, contextualisées et sécurisées.
3. L’orchestration intelligente (ModelOps), qui assure la cohérence et la performance des modèles.
4. La gouvernance de la confiance (AI TRISM), centrée sur la transparence et la responsabilité.
5. L’IA souveraine, qui ancre les modèles et les infrastructures dans leur cadre national et culturel.

Ces cinq axes traduisent le passage d’un usage exploratoire à une véritable gouvernance systémique de l’intelligence.

Une opportunité pour le Maroc et pour l’Afrique

Cette phase de désillusion est en réalité une fenêtre d’opportunité pour les pays émergents, et notamment pour le Maroc. Alors que les grandes puissances s’efforcent de réguler leurs excès, nous pouvons construire une IA sobre, souveraine et inclusive, alignée sur nos besoins réels.

La souveraineté numérique ne se réduit pas à la possession de serveurs ou de centres de données : elle repose sur la maîtrise intégrée de la chaîne de valeur cognitive. Cela suppose de former, d’expérimenter, et d’orchestrer. Des initiatives telles qu’AI4Morocco, MedinIA ou MrabaData vont dans ce sens en posant les bases d’une stratégie nationale : infrastructures souveraines, gouvernance éthique, formation des talents et intelligence collective locale.

La figure du savoir : du mythe à la maîtrise

Le Gartner Hype Cycle 2025 illustre deux récits parallèles : celui d’une IA spectaculaire, rapide et éphémère, et celui d’une IA structurelle, lente mais durable. Cette seconde trajectoire rejoint la vision systémique que je défends depuis plusieurs années : la donnée comme matière première, l’information comme contexte, la connaissance comme structure et le savoir comme finalité.

L’intelligence artificielle ne crée pas le savoir ; elle le met en mouvement. Mais sans souveraineté cognitive, ce mouvement reste dépendant. Penser le savoir, c’est donc penser la gouvernance de l’intelligence.

Vers une souveraineté cognitive et culturelle

L’enjeu dépasse la technique. Il est culturel, linguistique et symbolique. Une IA marocaine, africaine ou francophone doit intégrer nos langues, nos récits, nos formes d’intelligence sociale et collective. Comme je l’ai écrit : « La souveraineté numérique n’est pas un slogan, c’est une condition d’existence intellectuelle. »

Replacer la technologie dans la continuité du geste et du savoir-faire – du maâlem au chercheur – c’est refuser la coupure entre la main et l’esprit. C’est concevoir l’intelligence comme un système vivant, et non comme une machine de substitution.

Après la désillusion, la maturité

Le “trough of disillusionment” n’est pas une chute, mais une épreuve de vérité. L’intelligence artificielle ne disparaît pas ; elle apprend à se gouverner. Elle quitte le registre du spectacle pour entrer dans celui du sens, là où se joue l’avenir des sociétés.

Le Maroc, par sa position, sa culture du savoir et son ambition, peut être l’un des laboratoires de cette intelligence systémique et souveraine, en dialogue avec l’Afrique et l’Europe.

La véritable question n’est plus : « Comment utiliser ChatGPT ? » mais : « Comment orchestrer des agents intelligents, souverains et utiles à nos citoyens ? »

Par Dr Az-Eddine Bennani 


Mercredi 29 Octobre 2025