L'ODJ Média

Maroc vs Tunisie : deux modèles divergents de productivité


Rédigé par La Rédaction le Samedi 26 Avril 2025



Maroc vs Tunisie : deux modèles divergents de productivité
Le rapport de la Banque mondiale d’avril 2025 lève le voile sur une réalité méconnue : le Maroc et la Tunisie, voisins géographiques, offrent deux trajectoires économiques très différentes en matière de productivité du travail dans le secteur privé. Cette comparaison éclaire les dilemmes de développement que connaissent de nombreux pays de la région MENA, partagés entre inertie structurelle et espoirs de réformes.

Au Maroc, les entreprises les plus productives n’arrivent pas à dominer le marché. Le tissu économique reste morcelé, segmenté, avec une faible mobilité interentreprises. Les leaders ne grossissent pas, les suiveurs survivent, et la concurrence est étouffée par des barrières administratives, des effets de rente et une absence de politiques industrielles dynamiques. En d’autres termes, la qualité ne suffit pas à s’imposer, et les gains de productivité issus de la gestion ou des innovations sont peu valorisés.

Ce paradoxe a un nom : l’inefficacité allocative. Même quand certaines entreprises marocaines excellent en efficacité technique – c’est-à-dire qu’elles utilisent mieux leurs ressources – cela ne se traduit pas par une prise de parts de marché. En cause : un environnement qui ne récompense pas suffisamment la performance. Le système semble piégé dans une logique où la croissance des entreprises n’est pas corrélée à leur efficacité.

En Tunisie, le schéma est inverse. Les entreprises les plus performantes parviennent à dominer, à croître, et à absorber une plus grande part du marché. Le jeu économique est plus fluide, la concurrence plus réelle. On observe donc une meilleure "sélection naturelle" des entreprises les plus compétitives. Toutefois, ce modèle a aussi ses limites : l’efficacité technique des entreprises reste faible, et les gains de productivité globale restent en deçà du potentiel.

La Tunisie réussit là où le Maroc échoue (l’allocation des ressources), mais échoue là où le Maroc montre quelques progrès (l’efficacité technique). En somme, le Maroc produit bien, mais ne se développe pas, tandis que la Tunisie sélectionne mieux, mais produit peu efficacement.

Ces différences révèlent des orientations politiques divergentes. Le Maroc a misé sur de grands projets structurants et des zones franches, mais sans réformes systémiques sur la régulation du marché et la concurrence. La Tunisie, plus contraint budgétairement, a laissé jouer davantage les dynamiques de marché, mais sans accompagner ses entreprises par des politiques d’innovation ou de montée en gamme.

Ce contraste soulève une question cruciale pour la région MENA : comment créer un environnement qui favorise à la fois l’efficacité individuelle des entreprises et leur capacité à croître ? Car aucun des deux modèles n’est optimal. Il faut à la fois améliorer les pratiques de gestion, investir dans la formation, faciliter l’accès au crédit, mais aussi assainir le jeu concurrentiel pour que les entreprises les plus efficaces deviennent des locomotives sectorielles.

Le rapport insiste sur un point clé : les données de qualité sont indispensables. Sans elles, impossible de comprendre les mécanismes réels qui bloquent ou stimulent la productivité. Le Maroc et la Tunisie, qui disposent d’un historique d’enquêtes auprès des entreprises, pourraient devenir des laboratoires régionaux d’analyse et de réformes ciblées.

Mais les réformes, aussi techniques soient-elles, restent suspendues à un facteur politique : la volonté des États de redistribuer les cartes et de faire émerger un véritable capitalisme concurrentiel. Ce n’est pas tant un problème de savoir-faire que de courage politique.

​Comparer Maroc et Tunisie en termes de productivité, c’est oublier un élément fondamental : le contexte social et politique profondément différent entre les deux pays.

En Tunisie, l’après-révolution a ouvert le jeu économique, mais au prix d’une instabilité chronique. Le succès apparent de la sélection par le marché cache parfois une désorganisation généralisée, où les entreprises croissent faute de concurrence réelle, non grâce à leur excellence.

Côté marocain, l’État joue un rôle stabilisateur fort. Certes, il bride certaines dynamiques, mais il offre aussi une visibilité et une sécurité plus grandes, notamment via des investissements publics massifs et une politique industrielle offensive dans certains secteurs (automobile, phosphates, énergies renouvelables). Peut-on vraiment comparer deux systèmes aux finalités différentes ?

Enfin, l’obsession pour la "croissance de la productivité" néglige souvent les externalités sociales. Est-il souhaitable qu’une entreprise triple son chiffre d’affaires si elle multiplie aussi la précarité ou détruit les tissus locaux ? La bonne productivité n’est pas qu’un ratio : elle doit s’inscrire dans une vision globale du développement humain.

Article publié dans L'Eco Business du 27 Avril 2025





Samedi 26 Avril 2025