A l'origine, l'unité humaine et civilisationnelle est indéniable.
Les grandes confédérations amazighes : Sanhaja, Zenata, Masmouda, les apports islamiques, les réseaux de confréries religieuses, les routes commerciales et les dynasties marocaines : almoravide, almohade, mérinide, saadienne ont structuré un Maghreb organique , sans frontières rigides. Les appartenances étaient tribales, religieuses, spirituelles ou dynastiques.
La circulation des hommes, des idées et des élites était constante. Marocains et Algériens avaient clairement un même fond de civilisation .
Puis il y a eu la parenthèse ottomane et une première divergence structurelle.
A partir du XVIᵉ siècle apparaît une différenciation majeure entre les rives occidentales du Maghreb. Alors que le Maroc demeure un État souverain, structuré autour d'une monarchie chérifienne enracinée, l'Algérie passe sous domination ottomane , intégrée comme régence périphérique de l'Empire ; domination, qui dura près de trois siècles et ne fut pas neutre. Elle y introduisit :
- un pouvoir exogène , militaire et urbain, coupé du monde tribal intérieur;
- un système hiérarchisé dominé par une caste politico-militaire : janissaires, deys, beys, souvent d'origine non locale ;
- une organisation sociale marquée par une séparation nette entre gouvernants et gouvernés, sans véritable intégration politique des populations.
Ce modèle ottoman, plus fondé sur la coercition que sur l'allégeance, contrastait profondément avec le modèle marocain, où le pouvoir central reposait sur la bay'a , la légitimité religieuse, et une continuité dynastique autochtone.
Sans « dénaturer » profondément les populations au sens biologique du terme, cette longue période ottomane a modifié les rapports à l'État, à l'autorité et à la souveraineté , et a contribué à éloigner progressivement, sur le plan culturel et politique, les sociétés de l'Ouest algérien et du Maroc.
Vint alors la colonisation française et la séparation institutionnalisée.
La colonisation française de l'Algérie (1830-1962) introduit une rupture bien plus profonde encore. Paris travaille méthodiquement à arracher l'Algérie à son environnement maghrébin naturel , la transformant en colonie de peuplement, puis en départements français.
Les frontières sont redessinées unilatéralement bien au détriment du Maroc, et une identité algérienne est progressivement construite en opposition à son voisin de l'Ouest , présentée comme archaïque. Il s'agit là d'un héritage direct du logiciel colonial français.
Pourtant, malgré cette entreprise de séparation, la fraternité entre les peuples résiste.
A l'indépendance algérienne, une rupture politique inattendue est assumée.
C'est donc paradoxalement après 1962 , une fois l'Algérie indépendante, que la fracture devient durable. Le pouvoir issu de l'armée des frontières revient sur les accords conclus avec le GPRA concernant les frontières héritées de la colonisation.
La guerre des Sables de 1963 , déclenche contre un Maroc affaibli mais solidaire quelques mois plus tôt, constitue un traumatisme fondateur. Dès lors, l'hostilité devient structurelle :
- Soutien direct aux opposants et putschistes marocains ;
- Appui politique, diplomatique, militaire et financier aux séparatistes du Polisario ;
- Campagnes médiatiques acharnées contre le Maroc et sa monarchie ;
- Ingérences répétées dans les choix souverains marocains, y compris ses alliances internationales, notamment avec Israël ;
- Accusations lourdes, souvent évoquées dans le débat public algérien,
- Opérations de déstabilisation, dont l'attentat de l'hôtel Asni à Marrakech en 1994 ;
- instrumentalisation de l'enseignement scolaire algérien, où le Maroc est présenté comme un État « colonialiste » ;
- Déportation brutale de 45 mille marocains hors d'Algérie ;
- Sabotage des tentatives de rapprochement, y compris sous la présidence de Mohamed Boudiaf, dont l'assassinat, alors qu'il amorçait un dialogue avec Rabat, demeure entourée de zones d'ombre.
Plus récemment, l'affaire Boualem Sansal , emprisonné pour avoir exprimé des vérités historiques dérangeantes pour la narration officielle, illustre l'incapacité du régime algérien à accepter une lecture libre et apaisée de l'histoire maghrébine.
Voilà donc deux trajectoires nationales irréconciliables.
À cette hostilité politique s’ajoute une profonde divergence des trajectoires nationales. Le Maroc, sans être exempt de critiques, a engagé une transformation progressiste : réformes institutionnelles, pluralisme, grands chantiers d'infrastructures, intégration africaine, diversification économique et diplomatique.
À l'inverse, l'Algérie demeure enfermée dans un système militaro-sécuritaire hérité à la fois de la logique ottomane et de la guerre de libération , centralisée, méfiant envers la société, dépendant de la rente énergétique et structurellement hostile à toute réussite régionale perçue comme concurrente.
Cette asymétrie nourrit frustration et ressentiment, où le Maroc devient un adversaire idéologique utile, l'ennemi classique.
Alors, frères ou non ? La réponse est nuancée, mais sans ambiguïté.
Marocains et Algériens sont des frères par l'histoire longue, la culture profonde, la géographie et les liens humains. Ils l'ont été pendant des siècles, avant la domination ottomane, avant la colonisation française, et le reste peut être au niveau des peuples.
Mais ils ne le sont plus au niveau des États , du fait d'un choix politique délibéré du régime algérien depuis l'indépendance : construire sa légitimité sur l'hostilité extérieure, en particulier envers le Maroc.
La fraternité n'a pas disparu; elle a été progressivement altérée, puis confisquée par l'histoire impériale, coloniale et postcoloniale.
Elle subsiste dans la mémoire populaire, dans les familles séparées, dans le silence douloureux des frontières fermées.
L'histoire, elle, tranche sans passion ni idéologie, la 35ème CAN y contribue :
les peuples sont frères ; le régime algérien en a décidé autrement.
PAR AZIZ DAOUDA/BLUWR.COM
