L'ODJ Média

Mettre en place des systèmes de gestion du feed-back pour faciliter l’accès aux soins


Par Lahcen Haddad

Les mobilisations de la Génération Z, même désordonnées, révèlent avant tout une exigence légitime: ces jeunes veulent être entendus face aux défaillances du système de santé. En faire un levier de réforme, plutôt qu’un motif de confrontation, suppose d’instaurer de véritables mécanismes d’écoute, de réponse et d’action rapide.



Les protestations de la Génération Z face aux problèmes de santé publique doivent être considérées comme un feed-back populaire qu’il convient de savoir exploiter pour améliorer la gestion des difficultés du système de santé au Maroc.

Certes, ce feed-back est souvent spontané, désordonné et parfois excessif, mais il demeure sauf lorsqu’il dégénère en violence, ce qui est condamnable comme dans le cas des troubles à Oujda, Inzegane et ailleurs une source d’information inestimable pour traiter les véritables enjeux liés à l’accès abordable et rapide aux services de santé..
 

L’essentiel est de canaliser ce feed-back, de l’organiser et de l’utiliser afin d’améliorer l’accès aux soins. Or, le principe fondamental de toute gestion par le feed-back repose sur l’interaction. Il faut mettre en place un système qui permette aux citoyens d’exprimer leurs opinions, doléances et frustrations, et d’obtenir une réponse en temps réel. Les malades, déjà en souffrance, et leurs familles, plongées dans la douleur, ne peuvent pas attendre. La réponse doit être immédiate, la solution trouvée sur-le-champ. Et, en l’absence de solution immédiate, une communication claire proposant une alternative acceptable et réaliste doit être assurée.


Le deuxième principe est la multiplicité des canaux de feed-back.

Les citoyens doivent pouvoir s’exprimer directement au sein de l’hôpital auprès de comités dédiés, mais aussi par téléphone, via des plateformes numériques ou même par des solutions simples comme WhatsApp. L’essentiel est que le citoyen dispose de plusieurs moyens pour faire entendre sa voix. Un système efficace se mesure d’ailleurs au fait qu’il soit inondé de plaintes et de réclamations: plus les citoyens constatent qu’il fonctionne, plus ils l’utilisent, et plus les responsables disposent d’informations concrètes sur lesquelles agir pour améliorer l’accès aux soins.

Le troisième principe est le retour vers le citoyen.

Si l’on ne boucle pas la boucle en revenant rapidement vers le citoyen, on risque de le décourager et de rendre le système inefficace. Le malade ne doit pas attendre: il faut traiter d’urgence. Le retour doit donc intervenir dans un délai court et raisonnable, apporter une solution ou une alternative, et être convaincant.
 

L’indicateur clé doit être la réduction progressive du temps d’attente. L’objectif est clair: admettre le malade et le prendre en charge immédiatement après son arrivée à l’hôpital, surtout dans les cas urgents.

Si une orientation vers un autre hôpital est nécessaire, il ne suffit pas de renvoyer le patient: il faut lui fixer un rendez-vous, lui donner le nom ainsi que le numéro de téléphone du professionnel de santé qui le recevra. On ne peut pas inonder les hôpitaux provinciaux et les CHU sans s’assurer au préalable de la disponibilité de places et de personnel à l’autre bout du système.

Il existe, certes, des problèmes systémiques qu’il faut gérer avec rigueur et discipline. La fuite des médecins vers le privé affaiblit considérablement le système public. Le secteur privé, qui bénéficie de la généralisation de la couverture médicale, continue de pratiquer une politique prohibitive du «noir», tout en drainant les ressources humaines du secteur public. Une régulation ferme et des incitations équilibrées s’imposent pour limiter cette hémorragie.
 

Le manque de médicaments doit également être mieux maîtrisé grâce à une politique digitalisée de suivi, de contrôle et de gestion des stocks, afin de garantir une disponibilité continue. Les pannes successives des équipements médicaux ne peuvent plus être tolérées: il faut mettre en place un système de maintenance et de réparation immédiate, au lieu de laisser les machines inutilisables des semaines, voire des mois.


«Le système de gestion par le feed-back ne doit pas être perçu comme un simple outil de communication, mais comme un instrument de gouvernance destiné à mieux gérer les problèmes. Il doit identifier les failles et les corriger dans des délais raisonnables.»

La sous-utilisation des structures de santé de proximité doit, elle aussi, être corrigée par une meilleure accessibilité, une présence médicale régulière, la disponibilité des médicaments et des équipements adaptés. Enfin, la pénurie de médecins constitue un défi majeur. La formation actuelle reste insuffisante et l’exode vers l’Europe prive le pays de compétences vitales. Il est donc urgent de mettre en place un plan ambitieux combinant formation accrue, redéploiement équilibré et gestion stratégique des ressources humaines en santé.
 

Néanmoins, hormis les problèmes systémiques, on peut venir à bout d’une grande partie des difficultés liées à l’attente, aux encombrements, à la perte des malades et à la frustration des familles en mettant en place un système de gestion du feed-back.


Il suffirait de créer, dans chaque hôpital, des comités permanents fonctionnant 24 heures sur 24.

Ces comités seraient composés d’un responsable de l’administration, d’un personnel soignant, et d’un représentant de la société civile, d’un élu et d’une autorité locale. Leur mission serait de recevoir les doléances, d’enregistrer les plaintes, de les canaliser et de revenir vers la population avec une information claire dans un délai raisonnable. Une équipe dédiée pourrait également être chargée de recevoir les appels téléphoniques ou les messages via WhatsApp et de trouver rapidement des solutions avant de répondre aux malades ou à leurs familles.
 

Lorsque les patients ou leurs proches ne sont pas satisfaits, ils pourraient s’adresser aux comités provinciaux, composés du délégué médical, d’un représentant du gouverneur et un représentant du conseil provincial. Ces comités auraient pour rôle d’intervenir rapidement, en consultation avec les équipes médicales locales, afin de répondre aux citoyens. L’objectif ne serait pas de sanctionner, mais bien de trouver des solutions concrètes, y compris en s’appuyant sur le secteur privé si nécessaire.
 

Un numéro national (hotline) devrait également être mis en place, renvoyant vers un comité central installé au niveau du cabinet du ministre et comprenant des représentants de toutes les directions concernées, du ministère de l’Intérieur et d’autres départements. Ce comité national traiterait les appels non satisfaits aux niveaux inférieurs, avec pour mission une intervention rapide et des solutions adaptées aux doléances des citoyens.


Il est vrai que ces comités et hotlines risquent d’être inondés au début, mais une fois le système huilé, les choses se stabiliseront.

Le système de gestion par le feed-back ne doit pas être perçu comme un simple outil de communication, mais comme un instrument de gouvernance destiné à mieux gérer les problèmes. Il doit identifier les failles et les corriger dans des délais raisonnables.
 

C’est pourquoi il est essentiel de documenter l’ensemble du processus, afin d’identifier les failles récurrentes et de décider si elles relèvent de problèmes systémiques nécessitant une réforme structurelle. L’essentiel est de construire un système simple et efficace, de l’améliorer progressivement et, surtout, de canaliser la frustration des citoyens pour la transformer en une source d’information précieuse qui permette de mieux gérer l’accès aux soins et d’améliorer la santé publique. Gérer la santé par le feed-back, c’est transformer la colère en solutions et la frustration en gouvernance.



Jeudi 2 Octobre 2025