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ONU- État palestinien : trop tard ?


Par Mustapha SEHIMI

À l’ONU, la reconnaissance de l’État palestinien par un nombre croissant de pays relance le débat sur la solution à deux États, entre avancée symbolique et réalités politiques complexes. Lundi 22 septembre, sous l'égide de la France et de l'Arabie saoudite, s'est tenue aux Nations Unies une réunion portant sur la reconnaissance de l'État palestinien.

Et après ? Mustapha Sehimi, politologue et professeur de droit, analyse les implications juridiques et diplomatiques de cette reconnaissance, les obstacles persistants et les perspectives pour un processus de paix toujours enlisé.



Pour l'heure, ce sont pas moins de 142 États qui ont reconnu l'État palestinien.

Par Mustapha Sehimi - Professeur de droit (UMV Rabat), Politologue
Par Mustapha Sehimi - Professeur de droit (UMV Rabat), Politologue
Désormais une dizaine d'autres s'y ajoutent - la France, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie, la Belgique, le Luxembourg, Malte ... Un acte symbolique visant à faire bouger les lignes dans ce domaine. Voici cinq mois, le 19 avril dernier, le Conseil de sécurité saisi n'avait pas voté dans ce sens par suite du véto des États-Unis. Deux autres membres pour l'abstention (Royaume-Uni et Suisse).

La procédure d'admission requiert de cette haute instance onusienne une majorité de 9 des 15 membres dont cinq membres permanents. En cas de vote favorable, la reconnaissance doit être validée par une majorité des deux tiers des 193 membres de l'ONU, soit 129 voix.

L'ambassadeur américain avait alors expliqué que le vote de son pays " ne reflète pas une opposition à un État palestinien, mais une reconnaissance qui ne peut naître que de négociations directes avec les parties; et que l'Autorité palestinienne doit faire des réformes nécessaires à la création d'un État, "Hamas exerçant pouvoir et influence à Gaza et étant de ce fait une partie intégrante de l'État envisagé".


Enjeux

Les portraits de Marwan Barghouti (à gauche), membre éminent du Fatah et détenu palestinien le plus en vue en prison depuis un quart de siècle, et du défunt leader palestinien Yasser Arafat (à droite), qui ornent une partie du mur de séparation controversé d'Israël près du poste de contrôle de Qalandiya, entre Jérusalem et Ramallah, le 22 septembre 2025. (Photo de Zain JAAFAR / AFP)
Les portraits de Marwan Barghouti (à gauche), membre éminent du Fatah et détenu palestinien le plus en vue en prison depuis un quart de siècle, et du défunt leader palestinien Yasser Arafat (à droite), qui ornent une partie du mur de séparation controversé d'Israël près du poste de contrôle de Qalandiya, entre Jérusalem et Ramallah, le 22 septembre 2025. (Photo de Zain JAAFAR / AFP)
Cela dit, quels sont bien les enjeux et les significations de la reconnaissance de l'État de Palestinien en droit international public ? Pour commencer, il vaut de rappeler qu'en droit international, l'existence d'un État s'établit indépendamment de sa reconnaissance par d'autres. Les éléments constitutifs de l'État renvoient à un territoire, une population et à un gouvernement souverain, juridiquement indépendant donc de toute autre autorité supérieure.

Qu'en est-il de la Palestine ? Ces éléments sont bel et bien présents et réunis. Un territoire a été délimité dans le plan de partage avec comme fondement juridique la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies en date du 29 novembre 1947. Elle recommande le partage de la Palestine entre un État arabe et un État israélien, la ville de Jérusalem étant placée sous un régime international de tutelle. Une population aussi, située sur ce même territoire même si des millions de Palestiniens ont été contraints à l'exil. Enfin, une autorité palestinienne a été instituée avec la déclaration d'indépendance par Yasser Arafat, alors président de 1'0LP, lors des assises du Conseil national palestinien le 15 novembre 1988.

Cet État de Palestine a été proclamé sur un territoire et il exerce son administration depuis Ramallah, en Cisjordanie occupée. Ce gouvernement ne peut cependant exercer la plénitude de ses droits souverains. La raison ? L'occupation israélienne continue et même condamnée comme contraire aux droits du peuple palestinien. Ce manque d'effectivité empêche-t-i1 l’État palestinien d'exister. Aucunement ! L’on donnera par exemple la situation de l'État du Koweït : a-t-il cessé d'exister ? Alors même que son gouvernement ne pouvait y exercer son pouvoir pendant l'occupation irakienne (août 1990- avril 1911).
 

La reconnaissance de l'État palestinien par 152 États membres de l'ONU traduit les conséquences qu'ils ont tiré des résolutions ou décisions adoptées au sein de cette organisation (Assemblée générale, Conseil de sécurité ou encore la Cour internationale de Justice) - celle-ci a rendu un avis consultatif le 9 juillet 2004 sur les "Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé". Toutes, présentent ce trait commun : elles renvoient à une solution basée sur l'existence de deux États avec des droits devant être mutuellement garantis. Reconnaître la Palestine et Israël, c'est dès lors réaffirmer que les négociations entre les deux entités ne peuvent pas porter sur la qualité d'État de l'une ou de l'autre.

S'il l'on ne peut refuser le droit d'Israël à exister comme État, il est également inadmissible de nier de la réalité d'un État palestinien comme conséquence du droit à l'autodétermination. Voilà pourquoi, l'on ne peut que s'étonner de voir certains États affirmer que la reconnaissance de la Palestine devrait attendre ou encore qu'elle devrait être méritée et négociée. Il reste à engager des négociations, de préférence sous les auspices des Nations-Unies, entre les deux peuples pour qu'ils puissent exercer leurs droits à disposer d'eux-mêmes.
 

C'est dire que l'on ne peut alléguer que reconnaître la Palestine reviendrait à consacrer et à légitimer le Hamas. Cette assertion n'est pas recevable ni plaidable: tant s'en faut. C'est qu'en effet seule 1'Autorité palestinienne - radicalement opposée au Hamas...- est considérée comme le gouvernement officiel de la Palestine; c'est l'Autorité palestinienne qui exerce ainsi les droits de la Palestine au sein des Nations-Unies et de certaines de ses institutions spécialisées; c'est également cette même Autorité qui est représentée par des diplomates à l'étranger et qui conclut des traités avec d'autres États.

La reconnaissance d'un État est totalement indépendante de la légitimité de ses représentants. Ainsi reconnaître l'État d'Israël ne signifie pas le soutien à son gouvernement actuel ; ou encore, que l'on soutiendra ses gouvernements futurs pas plus que l'on s'oppose aux poursuites visant certains de ses dirigeants devant la Cour pénale internationale.

De même, reconnaître la Palestine c'est simplement prendre acte de l'existence de deux États, quels que soient les qualités et les défauts de leurs autorités et de leurs nationaux. La reconnaissance n'est qu'une modalité : elle doit conduire les deux parties à s'accorder finalement sur les conditions de leur coexistence...


Deux États

L'idée de la reconnaissance officielle d'un État palestinien avance donc en Occident. Lors de leur réunion en date du 22 janvier 2024, à Bruxelles, les 27 ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, ont déclaré ainsi que la création d'un État palestinien était indispensable : " La solution à deux États est la seule, aucune autre alternative n'étant sur la table".

Pour ce qui est de Paris, le président Macron avait déclaré, le 16 février dernier que "la reconnaissance d'un État palestinien n'est pas un tabou pour la France". Ce qu’il vient de confirmer dans son discours du 22 septembte 2025, devant l’Assemblée générale de l’ONU. Il faut ajouter que dix ans auparavant le Parlement français, avait adopté une proposition de résolution en décembre 2014, invitant instamment à finaliser cette reconnaissance.
 

Cela dit, un rappel historique permet de mieux appréhender les termes de référence de cette question. Un plan de partage de la Palestine alors sous mandat britannique a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies (résolution 181, 29 novembre 1947). Il proposait la fin du mandat britannique et la division du territoire en deux États indépendants, un État juif (55% du territoire), un État arabe (environ 45%) et un statut international spécial administré par l'ONU (corpus separatum) des deux villes religieuses, Jérusalem et Bethléem.

Ce plan n'a pas être mis en place en raison de l'opposition arabe à l'État hébreu et de la première guerre israélo-arabe 1948-1949. Lors des assises du Conseil national palestinien, le 15 novembre 1988, à Alger, a été adoptée la Déclaration d'indépendance par Yasser Arafat, alors président du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). L'État palestinien est alors proclamé sur un territoire couvrant la bande de Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem -Est comme capitale.


Indexation d'Israël

Depuis 2012, la Palestine est un observateur non-membre de l'ONU. Cela ne lui octroie pas le droit de vote à l'Assemblée générale mais lui donne la possibilité d'adhérer aux agences spécialisées de l'ONU (OMS, UNESCO, ...). C'est sur cette base-là qu'elle a pu saisir en particulier la Cour pénale internationale (CPI) dont elle est membre, à différentes reprises, pour dénoncer la répression et les exactions d'Israël dans les ex-territoires occupés.

Pour l'heure, la Palestine est un embryon d'État. Dans le détail, les obstacles juridiques qui compliquent et retardent la création de cet État palestinien sont les suivants : l'occupation sanctionnée par des dizaines de résolutions des Nations Unies, l'édification d'un mur entre Israël et les territoires palestiniens, les colonies israéliennes dépassant les 800.000 personnes en territoire palestinien occupé, la question du statut de Jérusalem et enfin le droit au retour des réfugiés.
 

Tant que la Palestine restera un territoire occupé et fragmenté, la reconnaissance même majoritaire de l'État palestinien n'aura pratiquement que bien peu d'effets sur les conditions de vie de la population palestinienne. Ce constat fait, la reconnaissance de l'État palestinien est une avancée. Elle accroît la légitimité internationale tant au plan politique que diplomatique ; elle indexe Israël et son gouvernement actuel opposé à la formule des deux États ; elle isole davantage Tel Aviv; elle consolide le statut de l'OLP qui ne serait plus perçue comme une simple "autorité" mais comme un État reconnu, confortant l'équilibre dans la perspective de négociations.

Cela peut relancer le processus de paix mais aussi pousser, en sens inverse, à une polarisation accrue du côté de Tel Aviv et de son principal soutien les États-Unis. Le président Macron, lundi soir, a expliqué ses propositions : un cessez-le -feu, la libération des otages et des voies humanitaires d'urgence.

PAR MUSTAPHA SEHIMI/QUID.MA



Mercredi 24 Septembre 2025