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Post-Assad, post-conflit ? La Syrie face à la reconstruction économique


Rédigé par La Rédaction le Lundi 28 Avril 2025



Post-Assad, post-conflit ? La Syrie face à la reconstruction économique

La fin du régime de Bachar el-Assad en décembre 2024 a ouvert une nouvelle page de l’histoire syrienne. Après plus d’une décennie de guerre, de destructions massives, d’exodes et d’effondrement économique, le pays entre dans une phase de transition politique incertaine. Mais cette transition peut-elle vraiment rimer avec reconstruction économique ? Rien n’est moins sûr.

Selon les données les plus récentes rapportées par la Banque mondiale, la situation économique syrienne reste catastrophique. Le PIB du pays a chuté de plus de 60 % depuis le début du conflit, et plus de la moitié de la population a été déplacée. En 2024, le PIB a encore reculé de 1,5 %, et les prévisions pour 2025 annoncent une contraction de 1 % supplémentaire. L’extrême pauvreté y gagne du terrain, dans un pays où l’accès à l’alimentation, aux soins et à l’électricité est devenu un luxe.

Les images satellites nocturnes utilisées par les économistes pour mesurer l’activité économique révèlent une stagnation totale des zones urbaines et industrielles clés, malgré le changement de régime. La chute du régime Assad, bien qu’historique, n’a pas encore enclenché de rebond économique, faute de structure d’État fonctionnelle, de sécurité juridique ou de confiance dans la gouvernance.


Pour espérer amorcer une reconstruction, la Syrie devra faire face à un triple défi :

    Rebâtir les infrastructures physiques, massivement détruites par les bombardements (routes, ponts, hôpitaux, écoles) ;

    Réinsérer des millions de réfugiés et déplacés internes, dont beaucoup sont sans emploi ni logement ;

    Réactiver un secteur privé quasi inexistant, anéanti par la guerre, les sanctions et la corruption.

Le coût estimé de la reconstruction est vertigineux. Selon des évaluations préliminaires internationales, il faudrait mobiliser des centaines de milliards de dollars sur une décennie pour espérer reconstruire une économie viable. Or, ni l’État syrien actuel, ni ses anciens alliés, ni les institutions internationales ne semblent en mesure – ou en confiance – de financer un tel effort sans garanties politiques solides.

Le secteur privé, autrefois dynamique dans l’agroalimentaire, le textile ou les services, n’a pas les moyens de redémarrer. Les entrepreneurs ont fui, le tissu bancaire est dysfonctionnel, les marchés sont fragmentés. La plupart des échanges économiques se font aujourd’hui dans l’informalité, avec des logiques de survie plus que de croissance.

Dans un tel contexte, la Banque mondiale préconise une approche graduelle, pragmatique et inclusive :

    Créer des zones économiques spéciales sûres pour relancer l’investissement local ;
    Encourager la diaspora syrienne à rapatrier des capitaux ;
    Appuyer des programmes de reconstruction communautaire à petite échelle (logement, agriculture, artisanat) ;
    Et surtout, s’appuyer sur les capacités locales, au lieu de projeter des modèles importés.

Mais la réussite de cette stratégie dépendra d’un facteur essentiel : la stabilité politique. Sans institutions crédibles, sans État de droit, sans unité nationale minimale, aucun investissement durable ne pourra voir le jour.

Et si reconstruire la Syrie n’était pas seulement une affaire de plans et de milliards, mais une illusion trop rapidement entretenue ?

La chute d’un régime ne garantit pas la paix, et encore moins la prospérité. L’histoire de l’Irak ou de la Libye nous le rappelle douloureusement.

À vouloir accélérer la reconstruction économique sans avoir résolu les fractures politiques, on risque de construire sur du sable mouvant. Pire, les aides internationales peuvent nourrir de nouveaux réseaux clientélistes, ou renforcer des seigneurs de guerre locaux.

De plus, la nostalgie d’un secteur privé "d’avant-guerre" pourrait être mal placée. Ce secteur était souvent captif, oligarchique, aligné sur le pouvoir. Le redémarrer sans réforme profonde reviendrait à répliquer les injustices économiques qui ont nourri la révolte initiale.

Enfin, le traumatisme collectif, la perte de confiance, l’exil massif de la jeunesse qualifiée… tout cela ne se répare pas avec des bulldozers et des prêts. Peut-être faut-il admettre que la reconstruction n’est pas toujours synonyme de retour à la normale, mais d’invention d’un autre modèle, lent, fragile, mais réellement inclusif.

Article publié dans L'Eco Business du 27 Avril 2025





Lundi 28 Avril 2025