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Pour une poignée de grains


Rédigé par le Dimanche 15 Mai 2022

La conjonction de la modeste campagne agricole, cette année, au Maroc et des perturbations que connaît actuellement le marché mondial des céréales est source de sérieuses inquiétudes.



Pour une poignée de grains
32 millions de quintaux, c’est le volume prévisionnel de l’actuelle campagne céréalière, d’après le ministère de l’agriculture (voir l’article détaillé de notre confrère N. Batije à ce sujet).

La campagne précédente avait permis la réalisation d’une excellente récolte, de l’ordre de 103 millions de quintaux. Après celle de 2015, c’était la seconde meilleure moisson.

En raison des faibles précipitations pluviométriques enregistrées cette année, la production a donc reculé de plus de deux tiers.

Il est intéressant de souligner que ce n’est qu’un retour aux chiffres de 2019-2020, 2020-2021 ayant été une campagne exceptionnelle.

La courbe de production céréalière 2019-2022 ressemble à une montagne russe. La dépendance envers la pluviométrie est telle que la seule stratégie est de prier pour que le ciel se montre clément.

Du pain plus que du spectacle

Le Marocain est grand consommateur de blé, au rythme de 200 kgs par an, trois fois plus que la moyenne mondiale.

Le royaume, avec 10 millions de tonnes par an, est le 3ème consommateur de blé en Afrique, après l’Egypte et l’Algérie, pays plus peuplés.

Sauf que le Maroc ne produit pas plus de la moitié des céréales qu’il consomme. Le recours aux importations est, évidement, une nécessité, qui a toujours pesé sur la balance commerciale.

Sachant que la récolte prévue cette année serait égale à celle de 2019-2020, soit 32 millions de quintaux, et qu’il a alors fallu importer 5,2 millions de tonnes pour combler le manque, on peut estimer qu’il sera de même prochainement.

Le Maroc importe, en moyenne, 3 à 4 millions de tonnes de blé tendre et 800.000 à 900.000 de tonnes de blé dur.

Sur les marchés mondiaux, le prix de la tonne du blé tendre a grimpé de 240 dollars, en début d’année 2020, à 350 dollars, au début de l’année en cours. Celui de la tonne du blé tendre a explosé, atteignant 720 dollars la tonne.

Géopolitique des céréales

Le commerce mondial des céréales, qui porte sur un volume de 473 millions de tonnes (2021-2022), est dominé par seulement quelques pays exportateurs.

La Russie trône en tête du classement, avec 19,5% des parts du marché, suivie par le Canada (13,9%), qui également le leader sur le marché du blé dur, les Etats-Unis (13,7%), la France (9,26%), l’Ukraine (8,97%), l’Australie (5,21%), l’Allemagne (4,32%) et l’Argentine (4,17%).

Comme l’on peut constater, la Russie et l’Ukraine, les deux pays actuellement en guerre, couvrent ensemble 28% des besoins du marché mondial des céréales. Ces deux pays sont également, avec la France, les principaux fournisseurs du Maroc.

Pour ne rien arranger, le Canada, premier exportateur de blé dur, a subi une sécheresse qui devrait réduire sa récolte de moitié cette année.

L’Inde, actuellement victime d’une vague de chaleur sans précédent, a décidé d’interdire l’exportation des céréales. Une décision qui a provoqué la colère des eurocrates de Bruxelles, qui craignent un renchérissement plus prononcé des prix des produits alimentaires, avec son cortège de contestations sociales.

D’un point de vue géopolitique, une telle situation signifierait l’échec de l’Union européenne face à la Russie.

Sécurité hydrique et alimentaire

Pour en revenir au Maroc, dont le déficit commercial s’est creusé de 57% par rapport à l’année écoulée, la question est de savoir ou trouvera-t-il le blé dont il a besoin et à quel prix ?

Le gouvernement a bel et bien suspendu les droits de douane, depuis novembre 2021, sur les importations de céréales, et même alloué des subventions aux importateurs pour réduire l’impact sur les ménages des fluctuations des cours à l’international.

Mais, au vu du contexte géopolitique mondial, serait-ce suffisant ?

Il serait peut être temps de commencer à réfléchir sur la pertinence des choix de politique agricole effectué jusqu’à présent, en prenant en considération autant le stress hydrique que la sécurité alimentaire.

Un kilogramme de blé nécessite 590 litres d’eau pour sa production, le kilogramme d’avocat en consomme, par contre, plus de 1.000 litres.




Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 15 Mai 2022