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Pourquoi l’e‑commerce marocain doit réinventer livraison, confiance et inclusion ?


Rédigé par le Vendredi 12 Septembre 2025

Le commerce électronique au Maroc est souvent décrit comme “en retard” ; c’est un diagnostic partiel. Le marché n’est pas bloqué : il est en phase de structuration incomplète, avec trois forces contradictoires. Premièrement, une demande latente stimulée par la jeunesse démographique, l’urbanisation et l’acceptation sociale croissante de l’achat à distance. Deuxièmement, des frictions structurelles persistantes : fiabilité des adresses, coût et variabilité du dernier kilomètre, dépendance au paiement à la livraison (COD) qui renchérit les retours. Troisièmement, une mutation socioculturelle des rôles professionnels, où la montée de profils féminins visibles dans l’opérationnel, la logistique ou le contenu redistribue les codes implicites de légitimité.



De 20 000 commandes/jour aux pertes cachées :

Pourquoi l’e‑commerce marocain doit réinventer livraison, confiance et inclusion ?
Ce capital expérientiel devient un atout stratégique dans un secteur où l’apprentissage réel naît des dysfonctionnements : colis refusés, fournisseurs instables, promesses de délais non tenues. L’économie de l’e‑commerce marocain reste une industrie des frictions ; celui qui apprend à cartographier, mesurer et réduire ces frictions crée l’avantage invisible.

Le cœur du problème opérationnel est logistique. Plusieurs sociétés de livraison coexistent mais la chaîne de valeur demeure fragmentée : absence d’un standard national d’adressage granulaire, hétérogénéité de formation des livreurs, rotation élevée, faible intégration des données en temps réel.

Le paiement à la livraison, encore perçu comme gage de confiance par une partie des clients, génère un coût caché : taux d’échec à la remise, allongement du cycle de trésorerie, risques de détérioration ou de perte. Chaque commande avortée dilue la marge des commandes livrées avec succès. À l’échelle de volumes mentionnés (jusqu’à 20 000 commandes/jour dans certaines opérations), une amélioration de quelques points du taux de “first attempt delivery” représente une bascule financière majeure.

Les pertes déclarées par une entrepreneuse (plus de 150 millions de centimes) illustrent que le narratif héroïque masque des logiques financières implacables : inflation des coûts marketing pour capter l’attention, surstockage par peur de rupture, obsolescence et remise forcée, cash immobilisé dans des cycles longs entre expédition, tentative(s), retour éventuel et recommercialisation. Beaucoup de modèles s’épuisent parce qu’ils copient un “playbook” d’arbitrage publicitaire sans construire d’infrastructure de donnée (tracking cohérent, segmentation, scoring de fiabilité des clients, pré‑validation des adresses).

Les fournisseurs constituent un second nœud critique. L’asymétrie d’information sur la qualité, les délais et la constance incite certains vendeurs à multiplier les micro‑relations opportunistes plutôt qu’à bâtir des partenariats profonds. Résultat : manque d’effets d’échelle, absence de plan de continuité et incapacité à négocier des SLA (Service Level Agreements) contraignants. Professionnaliser cette couche passe par : catalogues structurés, certification légère, indices de performance partagés, mécanismes de pénalités réciproques.

Le volet humain et genré ne relève pas du décor : il influence la productivité. L’émergence de femmes dans des rôles opérationnels casse une segmentation implicite où la technique et la logistique étaient surcodées masculine. Ce déplacement reconfigure les styles de management : davantage d’empathie revendiquée, mais aussi une exigence accrue de compétence tangible pour contrer le soupçon de “visibilité médiatique sans substance”. Le risque est double : d’un côté, tokenisation (présence symbolique sans pouvoir d’allocation), de l’autre, surcharge d’attentes (exemplarité permanente). La maturation de l’écosystème suppose de normaliser la diversité plutôt que de l’exotiser.

Les opportunités restent substantielles. Cinq pistes structurantes se dégagent :
 
  1. Standardisation de l’adresse et géocodage léger open API pour réduire le coût marginal de livraison.
  2. Migration progressive vers des paiements hybrides (réservation symbolique + solde à la livraison) afin de diminuer les refus opportunistes.
  3. Plateformes B2B de consolidation fournisseurs (qualité notée, délais certifiés) réduisant la dispersion transactionnelle.
  4. Industrialisation de la donnée opérationnelle : tableaux de bord unifiés (taux de tentative réussie, ratio retours, marge nette après logistique) pour guider des décisions quotidiennes plutôt que des intuitions.
  5. Capital patient ciblé sur l’infrastructure (fulfillment régional, micro‑hubs urbains, systèmes OMS/WMS adaptés au contexte local) plutôt que sur le seul marketing d’acquisition.

Enfin, la narration publique doit évoluer : passer du mythe d’enrichissement accéléré à un récit d’ingénierie cumulative. Accepter que la construction d’une plateforme robuste implique des phases de pertes formatrices. L’enjeu n’est pas d’imiter mécaniquement des modèles globaux, mais de bâtir une version marocaine alignée sur ses réalités territoriales, culturelles et logistiques. La crédibilité future du secteur repose sur cette bascule : d’une économie de “bricolage ambitieux” à une économie de procédés maîtrisés, inclusive et mesurable.

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Mohamed Ait Bellahcen
Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls l'auto... En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 12 Septembre 2025