Comprendre pour ne plus subir
Le true crime est un miroir des peurs humaines, mais il en révèle aussi les stratégies d’adaptation. Ce que beaucoup appellent une fascination morbide n’est souvent qu’une forme de curiosité protectrice.
Pour nombre de femmes, écouter ces histoires, c’est apprendre à lire les signes du danger, comprendre comment les choses tournent mal, se préparer inconsciemment à les éviter.
C’est là toute l’ambivalence du phénomène : derrière le frisson, il y a un besoin de contrôle.
Là où les hommes, souvent, consomment le crime comme un pur divertissement (films, thrillers, séries policières), les femmes le transforment en outil d’analyse. Elles s’identifient, pas à l’agresseur, mais à la victime. Elles cherchent à comprendre, à anticiper, à ne plus être surprises.
Des études menées aux États-Unis ont d’ailleurs montré que les femmes privilégient les récits où le criminel est arrêté, où la justice triomphe comme si chaque histoire devait, d’une certaine manière, rétablir l’équilibre du monde.
Le phénomène au Maroc : la voix du crime en darija
Au Maroc, cette tendance prend une teinte locale très particulière. Des créatrices comme Safaa et Lassakri ont réussi à adapter le genre à la culture marocaine, en racontant des affaires d’ici et d’ailleurs dans une darija fluide, accessible et captivante.
Leur manière de raconter est presque paradoxale : elles parlent de meurtres, d’enquêtes, de disparitions… avec une voix calme, une approche presque maternelle. Le ton n’est jamais sensationnaliste. Il y a une pudeur, une retenue.
Sous leurs vidéos, les commentaires se ressemblent :
“Je regarde ça avant de dormir.”
“Ça me détend, je sais pas pourquoi.”
“J’apprends à faire attention.”
C’est là que réside la singularité du true crime féminin marocain : il ne cherche pas le choc, il cherche la compréhension.
Et à travers ces récits, un lien invisible se tisse entre narratrice et auditrice — une forme de sororité numérique autour de la peur, mais aussi de la lucidité.
Le pouvoir dans la peur
Le succès du true crime chez les femmes ne traduit pas une attirance pour la violence, mais une volonté d’en reprendre le contrôle.
Pendant des siècles, la peur a été une émotion féminine subie : peur de sortir seule, peur de la nuit, peur du regard.
Aujourd’hui, les femmes la transforment en un outil de compréhension. En écoutant, en observant, en décortiquant ces histoires, elles ne sont plus spectatrices impuissantes : elles deviennent analystes de leur propre vulnérabilité.
Il y a aussi une dimension psychologique plus intime. Ces récits mettent des mots sur des émotions enfouies : l’angoisse, la colère, la perte, la méfiance. Les écouter, c’est parfois une manière de se confronter à ses propres peurs dans un cadre contrôlé. Un peu comme un cauchemar qu’on choisit soi-même.
Et puis, il y a ce paradoxe : ces histoires de crimes, de violence et d’ombres… finissent par rassembler.
Dans les commentaires, dans les discussions, les femmes partagent leurs théories, leurs émotions, leur compassion. Ce qui pourrait diviser crée au contraire une communauté. Une communauté de femmes qui refusent d’être naïves, qui veulent comprendre pour mieux vivre.
Quand le frisson devient un rituel
Aujourd’hui, écouter une vidéo de crime en préparant son café ou avant de dormir est devenu presque banal.
Ce rituel, à la fois étrange et intime, témoigne d’un changement dans notre rapport au contenu. Là où l’on cherchait autrefois à fuir la peur, on la dompte désormais par la connaissance. Le true crime n’est donc pas une mode morbide, mais une forme moderne de catharsis.
Et le fait que ce soient des femmes marocaines, arabes, jeunes qui en soient les principales conteuses et consommatrices, en dit long sur l’évolution de la culture féminine : plus consciente, plus lucide, mais aussi plus connectée à ses émotions profondes.
Le true crime n’est pas qu’une histoire de meurtres. C’est une histoire de peur, de pouvoir, de curiosité et d’instinct. Et si les femmes y trouvent leur compte, c’est peut-être parce qu’au fond, elles savent que comprendre le mal, c’est déjà une manière de s’en protéger.