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Pourquoi notre cerveau tombe dans le piège des fake news


Rédigé par le Lundi 17 Novembre 2025

Comment retourner ces mécanismes au service de l’information vérifiée.
Le plaisir de « comprendre vite » dépasse le besoin de « vérifier lentement ». C'est l'économie du cerveau.
Notre cerveau préfère une explication fausse mais simple à une vérité complexe.
Le défi du journalisme contemporain n’est pas seulement de vérifier les faits, mais de réapprendre à parler au cerveau humain.



Ce n’est pas seulement une bataille entre journalistes et manipulateurs, entre fact-checkers et complotistes : c’est une bataille cognitive.

Pourquoi notre cerveau tombe dans le piège des fake news
Dans un monde où chaque minute déverse un flot de contenus, où la vitesse de propagation l’emporte sur la fiabilité, une question cruciale s’impose : pourquoi notre cerveau, pourtant conçu pour analyser, s’orienter, décider, tombe-t-il si facilement dans les pièges des fausses informations ? Et surtout, comment retourner ces mêmes leviers au profit de la vérité ?

Ce n’est pas seulement une bataille entre journalistes et manipulateurs, entre fact-checkers et complotistes : c’est une bataille cognitive. Elle se joue dans nos synapses, dans nos biais, dans notre besoin viscéral de donner du sens au chaos. Pour comprendre – et réagir – il faut commencer par reconnaître que la fake news n’est pas une erreur d’information. C’est une arme psychologique.

​Le cerveau : une machine à croyances, pas à vérité

Notre cerveau ne cherche pas la vérité. Il cherche la cohérence. Face à un flux d’informations chaotiques, il privilégie ce qui confirme ce que nous croyons déjà. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. Une fake news efficace ne crée pas une nouvelle croyance, elle active une croyance dormante.

Les neurosciences le montrent : lorsqu’on lit une information conforme à nos attentes, nous produisons de la dopamine. Le plaisir de « comprendre vite » dépasse le besoin de « vérifier lentement ». C'est l'économie du cerveau.

La fake news exploite aussi notre biais d’attribution externe : si quelque chose ne va pas, c’est forcément à cause d’un complot, d’un ennemi, d’une manipulation. Notre cerveau préfère une explication fausse mais simple à une vérité complexe.

Les plateformes ont compris ce réflexe primitif : une info courte, clivante, émotionnelle, se propage mieux. Pas parce qu’elle est crédible, mais parce qu’elle est compatible avec nos failles.

​Les émotions, carburant des mensonges

Le cerveau humain est prioritairement émotionnel. L’émotion précède la raison. On ne vérifie pas ce qui nous choque, nous inquiète, nous indigne — on partage. Et en partageant, on renforce l’illusion de vérité. Ce phénomène a un nom : effet de vérité illusoire.

Plus une fake news circule, plus elle semble vraie.

La colère, la peur, la nostalgie, l’espoir… chaque émotion est un levier. Une info fausse mais émotionnellement bien calibrée fera plus de dégâts qu’un rapport complet et rigoureux. Les propagateurs de fake news le savent : un tweet peut battre un livre blanc.

La bataille ne se joue donc pas sur les arguments, mais sur l’affect.

​Le cerveau est saturé, donc simplificateur

Autre faille cognitive : la surcharge. Nous sommes bombardés d’informations, nous scannons plus que nous lisons, nous formons des conclusions avant d’avoir des preuves. Pour préserver de l’énergie mentale, le cerveau simplifie. Il filtre, étiquette, range. Dans ce processus, la nuance meurt.

Comme l’explique le psychologue Daniel Kahneman, notre système de pensée rapide (intuition, réflexes) prend le dessus sur le système analytique (raisonnement, lenteur). Ce système rapide est parfait pour fuir un danger. Il est catastrophique pour vérifier une info.

Les fake news s’y glissent avec précision : elles sont courtes, faciles à mémoriser, structurées comme un récit. Et l’être humain adore les récits. Nous sommes des animaux narratifs.

​Dans la presse le prestige des sources est mort

Avant, le journalisme était un filtre. Le monde parlait, la presse relayait. Aujourd’hui, tout le monde publie. Résultat : le cerveau ne distingue plus clairement ce qui est produit par un expert ou par un influenceur masqué. La confiance n’est plus rationnelle, elle est émotionnelle, tribale, identitaire.

"Qui l’a dit ?" devient : « Est-ce que j’aime cette personne ? Est-ce qu’elle me ressemble ? Est-ce qu’elle confirme ma vision du monde ? »

La fake news gagne parce qu’elle remplace l’autorité par la proximité.

​Alors que faire ? Copier les outils des fake news… mais pour la vérité

Il ne s’agit plus de lutter contre l’irrationnel avec du rationnel pur. Il s’agit de comprendre les circuits cognitifs — et de les réinvestir pour le vrai.

Première stratégie : raconter la vérité comme un récit. Le journalisme n’est pas condamné à être froid, technique, monotone. L’info devient puissante lorsqu’elle devient narrative. Une enquête, ce n’est pas que des faits, c’est un parcours, un conflit, une tension.

Deuxième stratégie : injecter du contexte sans enfouir la clarté. Ce n’est pas la complexité qui décourage, c’est la confusion. On peut être nuancé sans perdre en force. L’effort n’est pas de simplifier la réalité, mais de rendre la complexité lisible.

Troisième stratégie : utiliser les émotions comme vecteurs. Ce que les fake news font avec la peur, le journalisme peut le faire avec l’émerveillement, la lucidité, parfois même l’ironie. La vérité ne doit pas être neutre : elle doit être vivante.

Quatrième stratégie : recréer la confiance, mais différemment. Pas via l’autorité verticale des médias historiques. Via la transparence, la méthode, la preuves visibles, l’interactivité. Le public doit voir comment l’info est produite. Les coulisses deviennent un argument de crédibilité.

Cinquième stratégie : éduquer sans sermonner. Ce n’est pas en humiliant les croyants qu’on corrige leurs croyances. La pédagogie se joue sur le terrain de la reconnaissance cognitive. Mieux vaut dire : « Je comprends pourquoi tu y as cru, moi aussi ça m’aurait piégé. Voici ce qu’on sait. »

​Le vrai défi : cohabiter avec le doute

On ne s’immunise pas contre les fake news. On s’entraîne à douter intelligemment. Accepter qu’une info malveillante puisse nous duper n’est pas une faiblesse. C’est un premier pas vers la vigilance.

Les neuroscientifiques le répètent : ce n’est pas la crédulité qui est naturelle, c’est la confiance. Le cerveau humain est construit pour croire d’abord. Cela a permis à nos ancêtres de survivre ensemble.

Aujourd’hui, cette confiance est exploitée. Pour renverser la dynamique, il ne suffit pas de la détruire. Il faut la réorienter.

Vers une nouvelle grammaire de la vérité

Le futur ne s’écrira pas avec des discours moralisateurs sur « l’importance des faits ». Le futur du journalisme passera par :

– une écriture vivante
– des formats adaptés au cerveau saturé
– des récits qui instruisent sans simplifier
– une prise en compte des émotions
– des preuves intégrées au storytelling
– un usage stratégique des mêmes biais cognitifs que les fake news

La bonne information ne gagnera pas parce qu’elle est vraie. Elle gagnera lorsqu’elle sera désirable, lisible, partageable, mémorable.

Tant que la vérité restera froide, elle perdra face au mensonge qui réchauffe.

Le combat n’est pas de détruire les leviers psychologiques des fausses nouvelles. Il est de les réinventer — pour que la vérité circule elle aussi à la vitesse du cerveau.

Et si la révolution de l'information commençait en acceptant que la rationalité n’est pas notre langue maternelle ? Le défi du journalisme contemporain n’est pas seulement de vérifier les faits, mais de réapprendre à parler au cerveau humain.

L'IA : Un défi pour les journalistes à l'ére de la désinformation

L'intelligence artificielle (IA) transforme profondément le paysage médiatique, mais elle apporte aussi son lot de défis pour les journalistes. La prolifération de fake news générées par des algorithmes rend encore plus difficile le travail de vérification.

Les journalistes doivent naviguer dans un océan de désinformation, où les faux contenus se propagent plus vite que les messages vérifiés. En outre, l’IA modifie les attentes du public, qui cherche une personnalisation accrue, rendant la tâche encore plus complexe pour ceux qui doivent maintenir des standards éthiques tout en s’adaptant à ces nouvelles exigences.

La pression augmente, et les journalistes, en plus de leur rôle traditionnel de médiateurs, doivent désormais devenir des experts en décryptage technologique pour ne pas se laisser submerger par la quantité et la rapidité des informations disponibles.




Lundi 17 Novembre 2025