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Poutine, et les Trois Russie


Il n’y a pas longtemps encore, on se demandait : à quoi sert l’OTAN ? A l’époque, entre les multiples déclarations et insinuations de Donald Trump et le célèbre diagnostic du président français, Emanuel Macron : « ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan », dans un entretien accordé à The Economist, la légitimité de l’Alliance était en train de saigner. Un fossé se creusait entre les membres occidentaux de l’Union européenne et certains membres orientaux de la même Union, autour de la question des « valeurs communes ».



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Par Gabriel Banon

Jusqu’à il y a peu, les États-Unis étaient engagés dans un glissement d’attention stratégique, de l’arène atlantique vers l’indopacifique. Depuis la guerre russo-ukrainienne, ces doutes autour de l’OTAN ont été balayés. Le besoin de défense collective a rapproché Varsovie et Paris qui étaient brouillés. Et à Washington, les russophobes ont de nouveau la côte !

Pourquoi Poutine a-t-il pris le risque d’arrêter cet effilochage de l’OTAN et l’élargissement des clivages au sein de l’Europe ?

La réponse est probablement que ces processus étaient trop lents à son goût et que la Russie n’a pas le temps. Peut-être aussi que l’intervention américaine en Ukraine devenant de plus en plus grande, spécialement autour du Donbass, il fallait bousculer les choses.
 

La culture occidentale est comme les marées qui inéluctablement travaillent les blocs de granite. Les Kardashian s’infiltrent partout sur la planète :  remarquez sur les réseaux sociaux comment des jeunes filles et des femmes partout dans le monde ressemblent de plus en plus à ces vedettes de la téléréalité ? Disney, l’alimentation, le coca-cola et Mac Donald, les Chinois s’y sont mis et ajoutent les produits laitiers, les intérieurs, la mode vestimentaire (costard cravate et Zara), et la sexualité. Tous ces éléments s’infiltrent également partout, aplatissent le monde et transforment l’ancien « village global » de l’ère de la télévision en énorme selfie d’écervelé.e.s.
 

L’émergence des sentiments nationaux, le désir de porter des jeans, d’écouter du rock, d’acheter du PQ de qualité, du beurre et de bonnes cigarettes ont érodé dans le passé l’URSS. Les mêmes éléments aujourd’hui travaillent la Russie. Le cauchemar russe, ce sont des collégiennes en cheveux bleus coupés court qui demanderaient qu’on les appelle Boris et non plus Tatiana ! Avec l’iPhone 20, les films Marvel, les Porsche et les stars de YouTube, il va être très difficile de faire le tri. 
 

Ceci a amené Poutine à faire de la Russie une citadelle assiégée, le refuge du véritable Occident (comme les Chrétiens seraient le véritable Israël). Moscou est désormais le siège de la véritable Église et la capitale du Saint Empire. Selon lui, la Russie n’est pas un pays qui s’est taillé un Empire (comme jadis la France et le Royaume Uni), la Russie est un Empire. Vu de Moscou aujourd’hui, pour parler de l’Empire russe, il faut employer le verbe « être » et non pas « avoir été ».    
 

L’Ukraine est certes un enjeu stratégique, un espace tiré et déchiré par deux pôles de puissance. Brezinski disait : « Ôtez l’Ukraine à la Russie et la Russie n’est plus un Empire ». Mais c’est également un enjeu de civilisation et même de plus en plus, car en temps de guerre les objectifs et les justifications deviennent sublimes. En 1861, on est parti en guerre pour empêcher la dissolution des États-Unis et punir les rebelles, mais la guerre de Sécession sera gagnée au nom de la liberté et de l’affranchissement des Noirs. Les guerres commencent comme une rixe entre voyous, et finissent en croisades. Pour mourir et faire accepter souffrances et privations, il faut toujours trouver un objectif moral, éthique ou religieux.
 

Avec une démographie en souffrance et une économie limitée par la structure même du pouvoir actuel, la Russie dispose néanmoins de deux avantages : ses hydrocarbures et son armée dotée des armes nucléaires tactiques (en avance sur les États-Unis). C’est avec ces deux cartes extrêmement puissantes, que Poutine essaie de sauver sa Russie ou plutôt ses Russies.

Rappelez-vous, les Tsars l’étaient de toutes les Russies. En effet, il y en a trois dont une a sa capitale à Moscou, la deuxième à Minsk et la troisième à Kiev. Il est impossible pour Moscou de voir émerger une Russie proposant une alternative radicale au modèle de la maison mère. On aurait pu tolérer de l’Ukraine qu’elle aille plus loin que la Biélorussie, mais pour Moscou elle est allée beaucoup trop loin.
 

Avec cette analyse, on peut essayer de comprendre la suite de la stratégie russe. L’objectif étant de transformer l’Ukraine en Biélorussie, les Russes pourraient annoncer que la légalité rompue en 2014 par le « coup de Maïdan » est désormais rétablie.

Un nouveau gouvernement ukrainien appellerait alors la Russie à son secours face à la guérilla ou à la résistance, et rétablirait l’ordre dans le pays. La Russie, au nom du droit international (le gouvernement légal de Kiev étant souverain comme Assad à Damas…) empêcherait qui que ce soit d’intervenir par la force, et des Ukrainiens materaient la résistance d’autres Ukrainiens.

Un gouvernement pro russe assis sur des baïonnettes… ukrainiennes ! C’est ainsi que Poutine pourrait régler ce problème qui ne manque pas de miner les observateurs occidentaux : prendre l’Ukraine, d’accord, mais l’occuper ?

À Moscou, les Blancs sont de retour et ils ont des muscles rouges. Leur dirigeant croit que soit la Russie sera un Empire soit la Russie ne sera plus.   




Dimanche 16 Octobre 2022