Par Abdallah Bensmaïn
Le Club 41 présidé par Said Boukhcheb m'a fait l’honneur d'assurer la présentation de l'autobiographie de Atika Benzidane " A l'ombre de 2 chênes".
Ce fut une occasion de faire un retour sur l'autobiographie dans la littérature marocaine, un genre qui a commencé avec Ahmed Sefrioui, s'est poursuivi avec Driss Chraïbi et Abdelkébir Khatibi qui ont usé de motifs autobiographiques qui ne font pas, à proprement parler, une autobiographie.
"A l'ombre de 2 chênes", de Atika Benzidane débute son récit dans la pure tradition du roman picaresque comme a pu le représenter de façon remarquable « Le pain nu » de Mohamed Choukri. A la différence qu’au fil des pages "A l'ombre de 2 chênes" de Atika Benzidane se transforme et se termine en conte de fée.
Cette présentation m’a permis de survoler le roman autobiographique dans la littérature marocaine, dont le précurseur est Ahmed Sefrioui qui sera suivi par Driss Chraïbi et Abdelkébir Khatibi. Si Ahmed Sefrioui a raconté la vie quotidienne dans « La boîte à merveilles » qui sera dénoncé comme « roman ethnographique », Driss Chraibi (Le passé simple) et Abdelkébir Khatibi (La mémoire tatouée) ont rapporté des fragments de vie à travers lesquels ils ont jetés des regards, critique et de rejet pour l’un, analytique et de l’ordre du sociologique pour l’autre, sur la société marocaine à travers le milieu familial et social.
Une nouvelle génération s’est imposée dans ce que l’on peut qualifier de récit autobiographique sous couvert de fiction, mais seulement à travers des fragments de vie encore une fois. « Un toubib dans la ville », Souad Jamaï a décrit l’installation du Dr Ali dans la vie active, une installation à laquelle Souad Jamaï peut s’identifier… sans forcer sur le trait. Se créer un double pour parler de soi n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la littérature.
« Comme une histoire » de Mustapha Bencheikh rapporte également des fragments de la vie familiale, notamment les décès des frères et sœurs sur lesquels Mustapha Bencheikh revient avec tendresse… Ces fragments rapportés dans la fidélité permettent à l’auteur d’exprimer des considérations sur la vie, la société en général, par exemple.
Dans cette catégorie de fragments de vie qui construisent l’autobiographie mais pas dans son entièreté, Youssouf Amine Elalamy qui est largement présent dans son œuvre s’inscrit dans cette problématique avec « Même pas mort » et « La vie lui va si bien » dont les pages sont, respectivement, habitées par le Père et la Mère.
La littérature des Années de plomb que l’on qualifie de littérature carcérale a donné des œuvres majeures où des auteurs ont raconté des fragments de vie pour témoigner sur le Maroc des années 60 à 90 qu’ils ont vécu comme militants et prisonniers pour leurs idées et engagement politique révolutionnaire. Abdellatif Laabi ‘Chronique de la citadelle d’exil), Fatnah Bouih (Une femme nommée Rachid), Mohammed Serifi-Villar ‘Le ciel carré), Jaouad Mdidech (La chambre noire ou Derb Moulay Cherif), Abdelfettah Fahikany (Le Couloir), ainsi qu’une dizaine d’autres auteurs de ces années de plomb ont raconté les calvaires subis. Pour les militaires de la tentative du Putsch de Skhirat, Ahmed Merzouki, Mohamed Raissi et Aziz Binebine sont revenus de Tazmamart avec les titres « Tazmamart », « De Skhirat à Tazmamart, retour du bout de l'enfer » et « Tazmamort ».
Abdelhak Serhane qui a fait des fragments autobiographiques une ressource essentielle pour construire son œuvre romanesque a prêté sa plume pour écrire les mémoires du capitaine Salah Hachad (pilote de chasse emprisonné à Tazmamart), croisées avec celles de son épouse Aida : « Kabazal: les emmurés de Tazmamart ».
A cette littérature des années de plomb qui compte une quinzaine d’auteurs francophones, il est possible d’ajouter les damnés de Tindouf dont ont témoigné « Mémoires d'un prisonnier de guerre, 1976-2003, Le miraculé de Tindouf » (Mimoune Zeggaï), « Dans l’enfer de Tindouf » (Abdallah Lamani), « Prisonnier de guerre » (Ali Atmane).
Aussi bien les Années de plomb que Tindouf ont servi pour passer des messages : de réhabilitation pour Tahar Ben Jelloun qui, dans La punition, raconte le fragment de vie qu’il a passé à Ahermoumou, le camp militaire dont étaient partis les putschistes à destination du palais royal de Skhirat où le roi Hassan II fêtait son anniversaire. Ahermoumou dans La punition devient une sorte de camp de redressement pour les étudiants récalcitrants, créant une sorte de parallèle avec les prisonniers de Kénitra et les damnés de Tazmamart. Dans la punition, Tahar Ben Jelloun se peint sous les traits d’un révolutionnaire pour faire taire les critiques qui lui étaient régulièrement adressés dans son refuge parisien.
Pour Mustapha Bencheikh qui sait ce que autobiographie veut dire « La punition est un mensonge autobiographique ». La question, dès lors, est de savoir si le mensonge autobiographique rend « bonne » la « mauvaise conscience » ?
Dans « 25 ans dans les geôles du Polisario », Ali Najab se présente sous les traits du héros sans peur et sans reproche, qui tient tête à ses geôliers, délivrant des messages et décrivant si peu la vie carcérale et d’enfer des détenus de Tindouf. Il y décrit ses réguliers coups de gueule face aux geôliers de Tindouf pour défendre ses compagnons de captivité. Il ne s’agit pas de mettre la parole de Ali Najab en doute (n’oublions pas que le pacte autobiographique qui lie l’auteur au lecteur est basé sur la sincérité des propos), mais aucun témoignage des rescapés de Tindouf n’a confirmé ce côté « protecteur des faibles » de Ali Najab comme si la reconnaissance avait déserté les âmes de ses anciens co-détenus de Tindouf ?
C’est cette mise en avant de l’égo dans le récit autobiographique qui a fait écrire à Pascal « Le moi est haïssable » que l’on retrouve dans « La punition » de Tahar Ben Jelloun et dans « 25 ans dans les geôles du Polisario » de Ali Najab.
Des fragments de vie qui ne font pas une vie ne peuvent faire en soi une autobiographie au sens plein du terme ?
Parallèlement à ses fragments de vie racontés par les uns et les autres, raconter sa vie a été la caractéristique du groupe de Tanger qui avait éclos autour de Paul Bowles (Mohamed Choukri, Le pain nu, Mohamed Mrabet, L'Amour pour quelques cheveux, Driss Charhadi une vie pleine de trous). A ces noms il convient d'ajouter celui de Brick Oussaid avec « Les coquelicots de l’oriental ».
L’Ecole de Tanger entre dans la définition du Roman Picaresque qui est un récit littéraire, souvent autobiographique. Ce genre tire son nom du héros (le "pícaro" qui vient de l'espagnol et signifie "vaurien" ou "gueux" et dont le modèle littéraire est Don Quichotte de Cervantes) issu de la classe sociale pauvre. Le Picaro un mène une vie d'aventures, en marge de la société, une vie à l’image de celle qui fut menée par Mohamed Choukri qui survivait grâce aux restes des poubelles, avant de se socialiser et de mener une vie stable d’enseignant après s’en être sorti en faisant des études alors même qu’il était illettré jusqu’à un âge avancé.
Atika Benzidane fut sauvée de l’orphelinat par un geste royal à l’âge de 2 ans et demi, orphelinat où elle fut abandonnée par sa mère. Dans " A l'ombre de 2 chênes", la vie racontée respecte le pacte autobiographique de l’authenticité des faits rapportés et l’identité assumée par l’auteur qui signe sa propre histoire, de l’orphelinat à l’intérieur de l’enceinte du Palais royal de Rabat au sein duquel elle grandira sous le regard bienveillant du Roi Hassan II et dans la tendresse d’une nouvelle mère auprès de laquelle elle trouvera amour, attention et réconfort. Je suis née 2 fois dit l’auteur, mais jamais j’ai 2 mères, la seconde étant la seule et unique mère.
" A l'ombre de 2 chênes" est, certes, une autobiographie mais elle tient du conte de fée, comme le dira Sanae Ghouati.
Le récit de Atika Benzidane n’a pas inventé un « double » pour raconter sa vie. Elle raconte son vécu. De sa 1ère naissance rapportée par ses proches à sa seconde naissance qu’elle invite à découvrir en lisant le livre jusqu’à la disparition de la mère et du Père qui ne l’a jamais quitté et dont elle ne révèle jamais le nom dans le récit : « Car lui du haut de son ciel, il se reconnaît et nous sourit de son sourire charmeur. ».
« A l’ombre de deux chênes » porte en exergue cette citation de Jean d’Ormesson « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. ».
Comment analyser ou résumer l’émotion ? " A l'ombre de 2 chênes" n’est pas fait de mots et de phrases, il est fait d’émotions… il faut le lire pour les ressentir.
Ce fut une occasion de faire un retour sur l'autobiographie dans la littérature marocaine, un genre qui a commencé avec Ahmed Sefrioui, s'est poursuivi avec Driss Chraïbi et Abdelkébir Khatibi qui ont usé de motifs autobiographiques qui ne font pas, à proprement parler, une autobiographie.
"A l'ombre de 2 chênes", de Atika Benzidane débute son récit dans la pure tradition du roman picaresque comme a pu le représenter de façon remarquable « Le pain nu » de Mohamed Choukri. A la différence qu’au fil des pages "A l'ombre de 2 chênes" de Atika Benzidane se transforme et se termine en conte de fée.
Cette présentation m’a permis de survoler le roman autobiographique dans la littérature marocaine, dont le précurseur est Ahmed Sefrioui qui sera suivi par Driss Chraïbi et Abdelkébir Khatibi. Si Ahmed Sefrioui a raconté la vie quotidienne dans « La boîte à merveilles » qui sera dénoncé comme « roman ethnographique », Driss Chraibi (Le passé simple) et Abdelkébir Khatibi (La mémoire tatouée) ont rapporté des fragments de vie à travers lesquels ils ont jetés des regards, critique et de rejet pour l’un, analytique et de l’ordre du sociologique pour l’autre, sur la société marocaine à travers le milieu familial et social.
Une nouvelle génération s’est imposée dans ce que l’on peut qualifier de récit autobiographique sous couvert de fiction, mais seulement à travers des fragments de vie encore une fois. « Un toubib dans la ville », Souad Jamaï a décrit l’installation du Dr Ali dans la vie active, une installation à laquelle Souad Jamaï peut s’identifier… sans forcer sur le trait. Se créer un double pour parler de soi n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la littérature.
« Comme une histoire » de Mustapha Bencheikh rapporte également des fragments de la vie familiale, notamment les décès des frères et sœurs sur lesquels Mustapha Bencheikh revient avec tendresse… Ces fragments rapportés dans la fidélité permettent à l’auteur d’exprimer des considérations sur la vie, la société en général, par exemple.
Dans cette catégorie de fragments de vie qui construisent l’autobiographie mais pas dans son entièreté, Youssouf Amine Elalamy qui est largement présent dans son œuvre s’inscrit dans cette problématique avec « Même pas mort » et « La vie lui va si bien » dont les pages sont, respectivement, habitées par le Père et la Mère.
La littérature des Années de plomb que l’on qualifie de littérature carcérale a donné des œuvres majeures où des auteurs ont raconté des fragments de vie pour témoigner sur le Maroc des années 60 à 90 qu’ils ont vécu comme militants et prisonniers pour leurs idées et engagement politique révolutionnaire. Abdellatif Laabi ‘Chronique de la citadelle d’exil), Fatnah Bouih (Une femme nommée Rachid), Mohammed Serifi-Villar ‘Le ciel carré), Jaouad Mdidech (La chambre noire ou Derb Moulay Cherif), Abdelfettah Fahikany (Le Couloir), ainsi qu’une dizaine d’autres auteurs de ces années de plomb ont raconté les calvaires subis. Pour les militaires de la tentative du Putsch de Skhirat, Ahmed Merzouki, Mohamed Raissi et Aziz Binebine sont revenus de Tazmamart avec les titres « Tazmamart », « De Skhirat à Tazmamart, retour du bout de l'enfer » et « Tazmamort ».
Abdelhak Serhane qui a fait des fragments autobiographiques une ressource essentielle pour construire son œuvre romanesque a prêté sa plume pour écrire les mémoires du capitaine Salah Hachad (pilote de chasse emprisonné à Tazmamart), croisées avec celles de son épouse Aida : « Kabazal: les emmurés de Tazmamart ».
A cette littérature des années de plomb qui compte une quinzaine d’auteurs francophones, il est possible d’ajouter les damnés de Tindouf dont ont témoigné « Mémoires d'un prisonnier de guerre, 1976-2003, Le miraculé de Tindouf » (Mimoune Zeggaï), « Dans l’enfer de Tindouf » (Abdallah Lamani), « Prisonnier de guerre » (Ali Atmane).
Aussi bien les Années de plomb que Tindouf ont servi pour passer des messages : de réhabilitation pour Tahar Ben Jelloun qui, dans La punition, raconte le fragment de vie qu’il a passé à Ahermoumou, le camp militaire dont étaient partis les putschistes à destination du palais royal de Skhirat où le roi Hassan II fêtait son anniversaire. Ahermoumou dans La punition devient une sorte de camp de redressement pour les étudiants récalcitrants, créant une sorte de parallèle avec les prisonniers de Kénitra et les damnés de Tazmamart. Dans la punition, Tahar Ben Jelloun se peint sous les traits d’un révolutionnaire pour faire taire les critiques qui lui étaient régulièrement adressés dans son refuge parisien.
Pour Mustapha Bencheikh qui sait ce que autobiographie veut dire « La punition est un mensonge autobiographique ». La question, dès lors, est de savoir si le mensonge autobiographique rend « bonne » la « mauvaise conscience » ?
Dans « 25 ans dans les geôles du Polisario », Ali Najab se présente sous les traits du héros sans peur et sans reproche, qui tient tête à ses geôliers, délivrant des messages et décrivant si peu la vie carcérale et d’enfer des détenus de Tindouf. Il y décrit ses réguliers coups de gueule face aux geôliers de Tindouf pour défendre ses compagnons de captivité. Il ne s’agit pas de mettre la parole de Ali Najab en doute (n’oublions pas que le pacte autobiographique qui lie l’auteur au lecteur est basé sur la sincérité des propos), mais aucun témoignage des rescapés de Tindouf n’a confirmé ce côté « protecteur des faibles » de Ali Najab comme si la reconnaissance avait déserté les âmes de ses anciens co-détenus de Tindouf ?
C’est cette mise en avant de l’égo dans le récit autobiographique qui a fait écrire à Pascal « Le moi est haïssable » que l’on retrouve dans « La punition » de Tahar Ben Jelloun et dans « 25 ans dans les geôles du Polisario » de Ali Najab.
Des fragments de vie qui ne font pas une vie ne peuvent faire en soi une autobiographie au sens plein du terme ?
Parallèlement à ses fragments de vie racontés par les uns et les autres, raconter sa vie a été la caractéristique du groupe de Tanger qui avait éclos autour de Paul Bowles (Mohamed Choukri, Le pain nu, Mohamed Mrabet, L'Amour pour quelques cheveux, Driss Charhadi une vie pleine de trous). A ces noms il convient d'ajouter celui de Brick Oussaid avec « Les coquelicots de l’oriental ».
L’Ecole de Tanger entre dans la définition du Roman Picaresque qui est un récit littéraire, souvent autobiographique. Ce genre tire son nom du héros (le "pícaro" qui vient de l'espagnol et signifie "vaurien" ou "gueux" et dont le modèle littéraire est Don Quichotte de Cervantes) issu de la classe sociale pauvre. Le Picaro un mène une vie d'aventures, en marge de la société, une vie à l’image de celle qui fut menée par Mohamed Choukri qui survivait grâce aux restes des poubelles, avant de se socialiser et de mener une vie stable d’enseignant après s’en être sorti en faisant des études alors même qu’il était illettré jusqu’à un âge avancé.
Atika Benzidane fut sauvée de l’orphelinat par un geste royal à l’âge de 2 ans et demi, orphelinat où elle fut abandonnée par sa mère. Dans " A l'ombre de 2 chênes", la vie racontée respecte le pacte autobiographique de l’authenticité des faits rapportés et l’identité assumée par l’auteur qui signe sa propre histoire, de l’orphelinat à l’intérieur de l’enceinte du Palais royal de Rabat au sein duquel elle grandira sous le regard bienveillant du Roi Hassan II et dans la tendresse d’une nouvelle mère auprès de laquelle elle trouvera amour, attention et réconfort. Je suis née 2 fois dit l’auteur, mais jamais j’ai 2 mères, la seconde étant la seule et unique mère.
" A l'ombre de 2 chênes" est, certes, une autobiographie mais elle tient du conte de fée, comme le dira Sanae Ghouati.
Le récit de Atika Benzidane n’a pas inventé un « double » pour raconter sa vie. Elle raconte son vécu. De sa 1ère naissance rapportée par ses proches à sa seconde naissance qu’elle invite à découvrir en lisant le livre jusqu’à la disparition de la mère et du Père qui ne l’a jamais quitté et dont elle ne révèle jamais le nom dans le récit : « Car lui du haut de son ciel, il se reconnaît et nous sourit de son sourire charmeur. ».
« A l’ombre de deux chênes » porte en exergue cette citation de Jean d’Ormesson « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. ».
Comment analyser ou résumer l’émotion ? " A l'ombre de 2 chênes" n’est pas fait de mots et de phrases, il est fait d’émotions… il faut le lire pour les ressentir.