Des sacs plastiques dans les arbres, des détritus dans les ruisseaux, des trottoirs qui servent de poubelles à ciel ouvert… La saleté des villes marocaines est une réalité que nul ne peut ignorer. Elle saute aux yeux du touriste de passage comme du citoyen résidant. Et pourtant, cette banalisation de l’insalubrité n’a rien de naturel. Elle est le symptôme d’un déficit profond de conscience civique, de politiques publiques efficaces et de gouvernance locale responsable.
L’enquête du Centre Marocain pour la Citoyenneté (CMC), publiée en mai 2025, est sans appel : près de 74 % des Marocains interrogés se disent insatisfaits du comportement de leurs concitoyens en matière de propreté. Et seuls 4 % estiment que les citoyens respectent vraiment la propreté des lieux publics.
L’enquête du Centre Marocain pour la Citoyenneté (CMC), publiée en mai 2025, est sans appel : près de 74 % des Marocains interrogés se disent insatisfaits du comportement de leurs concitoyens en matière de propreté. Et seuls 4 % estiment que les citoyens respectent vraiment la propreté des lieux publics.
Une hygiène publique en crise
Le constat est lourd. Deux Marocains sur trois dénoncent le non-respect des espaces verts (66,8 %) Les équipements urbains tels que les bancs, les abribus et l’éclairage public sont régulièrement dégradés près de 70 % des répondants expriment leur mécontentement à ce sujet Quant aux trottoirs, jardins, plages et places publiques, ils sont perçus comme des dépotoirs informels
Il ne s’agit pas seulement de sacs oubliés : c’est tout un système de cohabitation urbaine qui s’effondre. Quand jeter un mouchoir au sol devient acceptable, quand personne ne dit rien à celui qui balance son sachet de thé par la fenêtre du bus, le problème n’est plus technique, il est moral.
Il ne s’agit pas seulement de sacs oubliés : c’est tout un système de cohabitation urbaine qui s’effondre. Quand jeter un mouchoir au sol devient acceptable, quand personne ne dit rien à celui qui balance son sachet de thé par la fenêtre du bus, le problème n’est plus technique, il est moral.
Le paradoxe marocain : propreté privée, saleté publique
Dans les foyers, les Marocains sont souvent obsédés par la propreté. Les sols sont lavés plusieurs fois par jour, les chaussures interdites à l’intérieur, les mains nettoyées avec attention. Mais une fois dehors, cette exigence disparaît.
Pourquoi ? Parce que l’espace public n’est pas considéré comme un bien commun. C’est un espace neutre, impersonnel, souvent vu comme sale par défaut. Résultat : personne ne se sent responsable, et chacun attend que “l’autre” ou “l’État” nettoie.
Pourquoi ? Parce que l’espace public n’est pas considéré comme un bien commun. C’est un espace neutre, impersonnel, souvent vu comme sale par défaut. Résultat : personne ne se sent responsable, et chacun attend que “l’autre” ou “l’État” nettoie.
Des collectivités débordées… ou démissionnaires ?
Le problème ne vient pas uniquement des citoyens. Beaucoup de municipalités manquent cruellement de moyens, de personnel ou de stratégie. Le nettoyage urbain est souvent sous-traité à des sociétés privées sans contrôle strict, avec des rotations irrégulières, et sans investissement durable dans la sensibilisation ou la sanction.
Les corbeilles publiques sont rares, pleines ou mal situées, les bacs de tri inexistants, les campagnes d’éducation quasiment absentes. On ne peut exiger un civisme exemplaire dans un contexte où l’infrastructure est défaillante.
Les corbeilles publiques sont rares, pleines ou mal situées, les bacs de tri inexistants, les campagnes d’éducation quasiment absentes. On ne peut exiger un civisme exemplaire dans un contexte où l’infrastructure est défaillante.
Quand l’incivisme devient contagieux
La saleté urbaine est aussi un phénomène de contagion sociale. Une rue propre invite au respect, une rue sale au laisser-aller. Des études internationales le montrent : plus un espace est dégradé, plus les gens adoptent des comportements inciviques. C’est ce qu’on appelle la “théorie de la vitre brisée”.
À force de voir les rues jonchées d’ordures, les citoyens intègrent inconsciemment que “ici, on peut tout faire”. Et tant que les contrevenants ne sont pas sanctionnés, la spirale continue.
À force de voir les rues jonchées d’ordures, les citoyens intègrent inconsciemment que “ici, on peut tout faire”. Et tant que les contrevenants ne sont pas sanctionnés, la spirale continue.
L’impact économique et symbolique
Outre le dégoût visuel, cette situation a un coût direct pour les finances publiques, pour la santé collective, et pour l’image du pays. Le Maroc mise sur le tourisme, sur les investissements étrangers, sur les événements mondiaux comme la Coupe du Monde 2030. Mais quand une ville ressemble à une décharge à ciel ouvert, aucun logo “Visit Morocco” ne peut compenser.
81,7 % des Marocains interrogés par le CMC estiment que l’insalubrité risque de nuire gravement à l’image du pays lors du Mondial. C’est dire combien le problème dépasse le simple inconfort du quotidien : il devient un enjeu diplomatique, économique, identitaire.
81,7 % des Marocains interrogés par le CMC estiment que l’insalubrité risque de nuire gravement à l’image du pays lors du Mondial. C’est dire combien le problème dépasse le simple inconfort du quotidien : il devient un enjeu diplomatique, économique, identitaire.
Des solutions connues… mais jamais appliquées jusqu’au bout
Les solutions ne manquent pas et le rapport du CMC en propose plusieurs parmi lesquelles rendre les corbeilles accessibles, visibles et nombreuses, lancer des campagnes médiatiques nationales de sensibilisation, sanctionner les contrevenants de manière claire et régulière, créer une police municipale de proximité et investir dans l’éducation environnementale dès l’école mais au-delà de ces mesures techniques, un vrai changement culturel s’impose, une révolution douce, lente mais ferme pour faire comprendre que l’espace public est un miroir de nous-mêmes et que jeter un papier au sol revient à insulter sa ville autant que soi-même
Une responsabilité collective
La propreté n’est ni une affaire de genre, ni de classe sociale, ni de génération. Elle est le socle minimal d’un vivre-ensemble digne. C’est un pacte silencieux entre citoyens : “je respecte ton espace comme je veux que tu respectes le mien”. Sans cela, aucune modernisation, aucun tramway, aucun stade ne changera quoi que ce soit.
Un Maroc propre est possible
Non, les Marocains ne sont pas condamnés à vivre dans la saleté. Oui, un changement est possible. Il existe déjà dans certains quartiers, certaines villes, certains villages où la mobilisation citoyenne a fait la différence. Mais pour que ce modèle se généralise, il faut une impulsion nationale.
Un Maroc propre, ce n’est pas un miracle, c’est une volonté. Une volonté politique, éducative, et surtout collective. Car la propreté commence là où finit l’indifférence.
Un Maroc propre, ce n’est pas un miracle, c’est une volonté. Une volonté politique, éducative, et surtout collective. Car la propreté commence là où finit l’indifférence.
Dossier spécial dans IMAG juillet 2025 : Le civisme au Maroc
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