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Quand l’ADN raconte un visage : comment la génétique aide à retrouver des inconnus


Rédigé par Salma Chmanti Houari le Mercredi 29 Octobre 2025

On croit parfois que l’ADN ne sert qu’à dire « oui » ou « non » : cette empreinte nous relie à une personne. Mais aujourd’hui, la génétique peut raconter bien plus : elle peut reconstruire une famille, éclairer une identité, et parfois esquisser un visage à partir d’un cheveu, d’un fragment de peau ou d’un échantillon trouvé sur une scène de crime. Ces méthodes, puissantes et controversées, ont déjà aidé à résoudre des affaires impossibles… tout en posant d’importantes questions éthiques.



De la tache sur la moquette à l’arbre généalogique : comment on remonte une identité

Quand l’ADN raconte un visage : comment la génétique aide à retrouver des inconnus
Deux outils principaux sont utilisés par les enquêteurs modernes. Le premier s’appelle investigative genetic genealogy (IGG) - la généalogie génétique. Concrètement, la police extrait l’ADN trouvé sur la scène, en génère un profil à large spectre (centaines de milliers de marqueurs) et le compare à des bases publiques de généalogie (des sites où des personnes partagent volontairement leurs profils pour retrouver des ancêtres).

En trouvant des correspondances partielles; cousins éloignés, oncles, nièces; les enquêteurs remontent des arbres familiaux, identifient les familles potentielles, et par recoupements (dates, lieu de résidence, âge) réduisent la liste de suspects. Cette technique a percé au grand jour avec l’arrestation du « Golden State Killer » en 2018, une affaire rendue possible grâce à l’exploitation d’un service de généalogie en ligne. Le second s’appelle forensic DNA phenotyping (FDP).

Au lieu de rechercher des parents, il tente de prédire des traits visibles : couleur des yeux, couleur et texture des cheveux, pigmentation de la peau, parfois la forme du visage ou l’ethnicité estimée à partir de variantes génétiques connues.

Des entreprises commerciales, comme Parabon Nanolabs, proposent ce service (« Snapshot ») : à partir d’un ADN, elles produisent un portrait-robot « probable » du suspect. Ces images peuvent ressembler frappantement à la personne réelle dans certains cas, mais leur fiabilité est loin d’être parfaite.

Des réussites spectaculaires et des résultats parfois trompeurs

Le succès le plus médiatisé reste l’affaire du Golden State Killer (2018) : grâce à la généalogie génétique, les enquêteurs ont pu identifier un suspect après des décennies de fuite. Depuis, des centaines d’affaires ont été rouverte et résolues grâce à l’IGG. Les chiffres publiés montrent des centaines de cas résolus et des dizaines d’identifications de victimes.

Pourtant, la technique n’est pas magique. Les portraits fournis par le FDP peuvent être trompeurs; la prédiction du visage reste une approximation statistique. Plusieurs scientifiques et défenseurs des libertés civiles mettent en garde : transformer un rendu informatique en cible policière peut mener à des erreurs d’identification et à des discriminations, surtout si la méthode est utilisée sans contrôles rigoureux.

Des controverses publiques ont entouré Parabon et des services similaires : la communauté scientifique demande davantage de validation indépendante avant de confier au FDP un rôle central dans une enquête.

Éthique, vie privée, biais : des questions qui pèsent lourd

Ces méthodes soulèvent des problèmes majeurs. L’IGG, en particulier, implique souvent l’usage de données généalogiques déposées par des individus qui n’avaient pas prévu que leurs informations seraient utilisées par la police pour enquêter sur un parent éloigné.

Cela pose des questions de consentement : la victime qui a téléchargé son ADN pour retrouver un cousin n’a peut-être pas consenti à voir ses données exploitées par des services d’enquête. Les défenseurs des libertés s’alarment aussi des risques de surveillance génétique généralisée. Sur le plan légal, les réponses divergent selon les pays.

Plusieurs États européens examinent ou ont déjà encadré l’usage du FDP et de l’IGG ; la législation vise souvent à limiter l’analyse à traits non-sensibles (couleur des yeux, cheveux) et exige des garde-fous procéduraux. Mais l’équilibre entre sécurité publique et droits individuels reste fragile et les juges commencent seulement à se prononcer sur ces pratiques.

Que peut (et que ne peut) apporter l’ADN-portrait à une enquête marocaine ?

Si l’on transpose ces techniques au Maroc, le potentiel est réel : pour des enquêtes non résolues, la généalogie génétique peut offrir une piste quand les bases policières classiques sont muettes. Le FDP peut, en complément, donner une piste visuelle quand aucun témoin n’est exploitable.

Mais deux précautions s’imposent :

1. Validité scientifique et procédures : avant d’utiliser un portrait génétique comme élément d’enquête, il faut des validations locales, des protocoles stricts, et une supervision judiciaire. Les courts-circuits méthodologiques risquent d’entraîner des erreurs graves.

2. Protection des droits et transparence : l’utilisation de bases de données, le stockage des profils et les échanges transfrontaliers d’ADN exigent des règles claires (autorisation judiciaire, information des citoyens, limitation de la conservation des données). Les débats européens montrent qu’un cadre légal est crucial.

Des recommandations pratiques pour les décideurs et journalistes

Si tu veux traiter ce sujet publiquement (article, enquête, reportage), voici quelques angles utiles : Expliquer la différence entre IGG et FDP (méthode + objectif). Illustrer par cas réels (Golden State Killer) mais aussi par contre-exemples et controverses (Parabon, critiques scientifiques). Interroger les autorités sur l’existence de protocoles : autorisation judiciaire, règles de conservation, transparence sur les partenariats avec des entreprises étrangères.

Mettre en lumière les droits des citoyens : comment demander la suppression de données sur des bases publiques, comment être informé si sa généalogie a servi à une enquête. Évoquer les risques de biais et de stigmatisation, en particulier dans des sociétés multi-ethniques où l’« estimation d’ethnicité » peut alimenter des erreurs.

Un outil puissant, à manier avec prudence

La génétique a transformé l’enquête criminelle : elle peut reconstituer des lignées, éclairer des identités et, parfois, esquisser un visage. Ces avancées ouvrent des perspectives inédites pour la résolution d’affaires anciennes ou anonymes. Mais leur pouvoir appelle des garde-fous : validation scientifique, contrôle judiciaire, protection des données, et transparence.

Sans cela, l’outil risque de transformer la justice en un miroir déformant; un reflet troublant de ce que la science a promis de régler.

Sources clés : Golden State Killer / généalogie génétique. Revues et analyses sur l’IGG et le FDP (revues scientifiques et enquêtes) : Wickenheiser 2019, revue sur l’IGG, et revue sur le FDP en Europe. Controverses et limites des portraits ADN (Parabon, critiques juridiques et scientifiques).

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Mercredi 29 Octobre 2025