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Quand l’économie inquiète, le cash rassure : la psychologie du repli au Maroc


Rédigé par le Mercredi 29 Octobre 2025

Un nouvel indice d’“incertitude de politique économique” (EPU) calibré pour le Maroc montre qu’aux moments de brouillard — crises, blocages, sécheresse — entreprises et ménages freinent. Mais un réflexe local se distingue : la thésaurisation en liquide. Quand l’avenir se trouble, le cash redevient roi. Un signal sociologique autant qu’économique, qui interroge la confiance, l’éducation financière et la relation aux institutions.



Un thermomètre des nerfs… et des portefeuilles

Quand l’économie inquiète, le cash rassure : la psychologie du repli au Maroc
Développé à partir de plus de 350 000 articles de presse (arabe et français), l’EPU repère la concomitance de termes liés à l’économie, la politique et l’incertitude. Comme ses équivalents internationaux, l’indice est contre-cyclique : il grimpe dans les turbulences et redescend quand la visibilité revient. Sauf qu’au Maroc, la montée de l’incertitude n’affecte pas seulement l’investissement et la consommation : elle réactive le réflexe cash, avec une demande accrue de grosses coupures.

Ce comportement, documenté par l’étude, dit quelque chose de profond : la sécurité perçue importe autant que les rendements. Quand on n’est pas sûr de demain, on ne cherche plus à optimiser : on cherche à contrôler. Et le billet dans la main, c’est le contrôle absolu.

Le triangle de l’attentisme

L’étude identifie trois canaux de transmission classiques :

Attentisme des entreprises : on reporte l’usine, on gèle l’embauche, on temporise le CAPEX.
Épargne de précaution des ménages : on diffère l’achat, on coupe sur le non-essentiel.
Crédit plus coûteux : le risque perçu grimpe, les conditions se resserrent.

Au Maroc, un quatrième comportement s’agrège aux trois premiers : la sortie partielle du circuit bancaire. La circulation s’en ressent, tout comme la capacité des banques à irriguer l’économie réelle. Moins de dépôts, c’est moins de prêt, c’est moins d’investissement productif. Un cercle qui peut s’auto-entretenir si l’incertitude persiste.

Pourquoi le cash “rassure” plus ici qu’ailleurs

Plusieurs ressorts se combinent :

Mémoire et culture économiques : l’informel reste une réalité ; beaucoup ont appris à se débrouiller “hors système”.
Rapport ambivalent à la banque : frais, procédures, incompréhensions ; la pédagogie financière progresse, mais lentement.
Risques perçus : volatilité de l’emploi, sécheresses à répétition, annonces de réformes ; l’inconnu pèse lourd sur les budgets serrés.
Psychologie collective : en période de rumeur ou de crispation, l’effet d’entraînement amplifie le repli.
Rien d’irrationnel : c’est le pragmatisme de la survie. Mais à l’échelle macro, cette rationalité individuelle devient sous-optimale pour la croissance.

La confiance, variable cachée mais décisive

L’étude met en parallèle l’EPU et l’indice de confiance des ménages : quand l’un monte, l’autre décroche. Cette corrélation rappelle une évidence trop peu intégrée dans le débat public : la confiance est un actif productif. Elle ne se décrète pas ; elle se cultive par la clarté des politiques, la stabilité des calendriers de réforme, et une communication économique intelligible.

Concrètement : mieux vaut annoncer moins, mais tenir plus. Mieux vaut expliquer tôt et simplement les réformes (fiscales, subventions, prix administrés) que laisser prospérer les angles morts où se nichent fantasmes et peurs. Un plan de cheminement, des jalons datés, des rapports réguliers : la visibilité, c’est déjà de la croissance potentielle.

Que faire ? Pistes d’action à impact rapide

1) “Cash-in, not cash-out” : réconcilier les ménages avec la banque.

Micro-produits d’épargne simples, plafonnés, liquides, sans frais cachés.
Micro-assurance couplée (santé, accident) pour couvrir le risque qui angoisse.
UX allégée, transparence tarifaire, numérisation sans jargon. L’outil doit “parler simple”.

2) Communication publique “anti-brouillard”.

Calendriers de réforme lisibles (budget, fiscalité, subventions) avec scénarios d’amortisseurs.
“FAQs citoyennes” à chaque grande annonce : qui gagne, qui perd, pourquoi, quand ?
Indicateurs trimestriels de suivi : transformer l’EPU en tableau de bord partagé.

3) Incitations ciblées à la bancarisation de l’épargne de précaution.

Comptes “coussin” défiscalisés jusqu’à un seuil, taux bonifié, retraits immédiats.
Bons d’épargne thématiques (eau, santé, éducation) pour donner du sens à l’épargne.

4) Filets psychologiques pour l’entreprise.

Garanties publiques temporaires sur une part du crédit d’investissement en période de pic d’EPU.
Mécanismes “invest now, adjust later” (amortissement accéléré, suramortissement conditionnel) pour casser l’attentisme.

Un outil plus pertinent que les index globaux

L’autre apport majeur de l’étude : l’indice marocain surpasse les baromètres internationaux pour expliquer nos cycles. Logique : un indicateur local entend mieux les bruits locaux. Il capte la singularité de nos chocs — agricoles, climatiques, politiques — et la manière dont ils résonnent dans l’imaginaire économique des ménages et des entreprises.

C’est une bonne nouvelle : mieux mesurer, c’est déjà mieux piloter. À condition de faire de l’EPU un instrument vivant : série publique, méthodo documentée, rétro-analyse des pics (qu’est-ce qui a allumé la mèche ? qu’est-ce qui l’a éteinte ?), et intégration dans les diagnostics budgétaires.

Le risque de l’angle mort : la spirale silencieuse

Le cash, c’est discret. Il ne manifeste pas, il n’écrit pas de tribune. Il sort de la banque, reste sous le matelas, attend. Cette “spirale silencieuse” peut pourtant peser lourd : moins de dépôts, moins de crédit, moins d’activité… plus d’incertitude. D’où l’urgence d’une politique de la confiance : lisibilité des réformes, pédagogie financière, produits d’épargne crédibles et, surtout, cohérence entre la parole publique et les actes.

Moralité : on ne combat pas l’incertitude seulement avec des modèles et des réunions techniques. On la réduit avec des rituels de clarté — dire ce qu’on fait, faire ce qu’on dit, montrer où on va. Le reste suit : l’épargne revient aux banques, l’investissement reprend, l’emploi respire. La confiance, ici, n’est pas un supplément d’âme : c’est le premier levier de politique économique.
 

​Les 5 faits à retenir

EPU marocain : indice local, basé sur >350 000 articles, plus pertinent que les index globaux pour nos cycles.
Contre-cyclique : il grimpe dans les crises et annonce des ralentissements d’investissement et de consommation.
Spécificité marocaine : pic d’appétit pour le cash (grosses coupures) quand l’incertitude monte.
Confiance des ménages : chute corrélée à l’EPU ; signal précoce d’onde de choc économique.
Levier politique : clarté des réformes + produits d’épargne simples = antidote au repli.




Mercredi 29 Octobre 2025