Le dictionnaire parallèle de la darija
IA
Les académies de langue publient des dictionnaires bien sages avec des définitions impeccables. Mais au Maroc, c’est dans la rue que se fabrique le vrai lexique de la vie quotidienne. La darija, cette langue qui a l’oreille partout, adore inventer de nouveaux mots pour se moquer des travers de la société. Et franchement, elle le fait avec une efficacité redoutable.
Prenons le mot “Hitoki”. Non, ce n’est pas une marque de moto ni une nouvelle boisson énergisante. C’est ce qualificatif magique pour désigner celui qui se croit au-dessus de tout : la loi, les files d’attente, la bienséance. En gros, l’incarnation vivante du “je fais ce que je veux, le reste m’importe peu”. Il grille le feu rouge en klaxonnant, se gare sur une place handicapé en sifflotant, se croit plus malin que tout le monde. Bref, le “hitoki” est devenu un archétype national.
Prenons le mot “Hitoki”. Non, ce n’est pas une marque de moto ni une nouvelle boisson énergisante. C’est ce qualificatif magique pour désigner celui qui se croit au-dessus de tout : la loi, les files d’attente, la bienséance. En gros, l’incarnation vivante du “je fais ce que je veux, le reste m’importe peu”. Il grille le feu rouge en klaxonnant, se gare sur une place handicapé en sifflotant, se croit plus malin que tout le monde. Bref, le “hitoki” est devenu un archétype national.
Et que dire du savoureux “Bouzguandel” ? On croirait entendre le nom d’un plat mijoté, mais non. C’est une trouvaille moqueuse pour parler du grossier, de l’incivique, de celui qui se conduit avec l’élégance d’un éléphant dans un souk. Le bouzguandel crache par terre, insulte au volant, parle si fort au téléphone qu’il fait participer tout le bus à sa conversation privée. Ironie suprême : plus le mot circule, plus le comportement qu’il désigne semble répandu.
Ces mots ne sortent pas de laboratoires de linguistes mais des cafés, des réseaux sociaux, des souks. C’est la rue qui observe, qui rit, qui invente. Nommer, c’est déjà dénoncer. La darija devient ainsi un miroir : plus les incivilités augmentent, plus le lexique s’enrichit. On dirait presque que la créativité linguistique compense la pauvreté civique.
Le paradoxe du stade flambant neuf et de la poubelle qui déborde
Pendant que la langue invente des mots pour rire (ou pleurer) de nos comportements, les autorités rêvent d’une autre invention : celle du citoyen modèle, poli, discipliné, respectueux. Et pour ça, quoi de mieux qu’un grand chantier national : la Coupe du Monde 2030.
Là encore, l’ironie est savoureuse. On construit des stades à plusieurs milliards, des trains grande vitesse, des hôtels cinq étoiles… mais on peine à maintenir propres nos jardins publics ou à installer des toilettes dignes de ce nom. Les chiffres du Centre Marocain pour la Citoyenneté sont cruels : 73 % des Marocains jugent leurs villes sales, 69 % estiment que les équipements publics sont mal entretenus. Autrement dit : on investit dans la vitrine, mais la maison reste en désordre.
On nous promet que le Mondial sera l’occasion de “rehausser le civisme”. En clair : repeindre les façades, planter des fleurs artificielles et envoyer quelques brigades pour chasser les mendiants des alentours des stades. Mais soyons honnêtes : un événement sportif ne change pas les habitudes de jeter le sachet de chips par terre ou d’oublier que le trottoir n’est pas un parking. On peut nettoyer les murs, pas les mentalités.
Le plus drôle (ou le plus triste), c’est que les Marocains eux-mêmes le savent : seuls 22 % croient que la Coupe du Monde améliorera réellement les comportements. Les autres parient sur le statu quo ou sur une aggravation. Comme si on se disait collectivement : “On sera polis devant les caméras… puis on reprendra nos bonnes vieilles habitudes.”
Là encore, l’ironie est savoureuse. On construit des stades à plusieurs milliards, des trains grande vitesse, des hôtels cinq étoiles… mais on peine à maintenir propres nos jardins publics ou à installer des toilettes dignes de ce nom. Les chiffres du Centre Marocain pour la Citoyenneté sont cruels : 73 % des Marocains jugent leurs villes sales, 69 % estiment que les équipements publics sont mal entretenus. Autrement dit : on investit dans la vitrine, mais la maison reste en désordre.
On nous promet que le Mondial sera l’occasion de “rehausser le civisme”. En clair : repeindre les façades, planter des fleurs artificielles et envoyer quelques brigades pour chasser les mendiants des alentours des stades. Mais soyons honnêtes : un événement sportif ne change pas les habitudes de jeter le sachet de chips par terre ou d’oublier que le trottoir n’est pas un parking. On peut nettoyer les murs, pas les mentalités.
Le plus drôle (ou le plus triste), c’est que les Marocains eux-mêmes le savent : seuls 22 % croient que la Coupe du Monde améliorera réellement les comportements. Les autres parient sur le statu quo ou sur une aggravation. Comme si on se disait collectivement : “On sera polis devant les caméras… puis on reprendra nos bonnes vieilles habitudes.”
La schizophrénie civique du Marocain voyageur
Car oui, et c’est peut-être le plus savoureux des paradoxes, le Marocain sait être civique. Mais… ailleurs. À Paris, il attend son tour au passage piéton. À Montréal, il trie ses déchets avec discipline. À Doha, il baisse le ton dans le métro. Bref, à l’étranger, il respecte les règles. Pourquoi ? Parce que là-bas, il sait que la sanction est immédiate. Le civisme n’est pas une option morale, c’est une obligation pratique.
De retour au pays, le même citoyen reprend son rôle de “hitoki” ou de “bouzguandel”. Comme si le civisme dépendait non pas de valeurs intérieures, mais du niveau de surveillance extérieure. C’est un peu comme si on disait : “Je suis poli quand on me regarde, mais dès que le prof sort de la classe, c’est la récréation.”
Ce double standard est au cœur du problème. Et tant qu’il persiste, aucune affiche “Maroc 2030 pays du civisme” ne suffira à convaincre.
De retour au pays, le même citoyen reprend son rôle de “hitoki” ou de “bouzguandel”. Comme si le civisme dépendait non pas de valeurs intérieures, mais du niveau de surveillance extérieure. C’est un peu comme si on disait : “Je suis poli quand on me regarde, mais dès que le prof sort de la classe, c’est la récréation.”
Ce double standard est au cœur du problème. Et tant qu’il persiste, aucune affiche “Maroc 2030 pays du civisme” ne suffira à convaincre.
Alors que faire ? On a déjà des mots pour se moquer des inciviques. Peut-être faudrait-il inventer un mot en darija pour désigner celui qui, malgré tout, reste courtois, respectueux, discret. Celui qui ramasse ses papiers, qui cède sa place dans le bus, qui baisse la voix au café. Un mot positif qui circule autant que “hitoki” et “bouzguandel”.
Car au fond, les solutions sont connues : famille, école, loi. Mais elles demandent du temps, de la constance, de l’exemplarité. Et surtout, un minimum de volonté collective. Peut-être que la Coupe du Monde peut servir d’excuse pour lancer une vraie campagne nationale. Mais elle ne suffira pas. Le civisme ne s’improvise pas en 90 minutes.
En attendant, la darija continuera d’inventer des mots. Et c’est peut-être ça, la vraie richesse : une langue vivante qui ne se contente pas de décrire le monde, mais qui le juge, le critique, le tourne en dérision. Une langue qui dit tout haut ce que les institutions n’osent pas dire.
Car au fond, les solutions sont connues : famille, école, loi. Mais elles demandent du temps, de la constance, de l’exemplarité. Et surtout, un minimum de volonté collective. Peut-être que la Coupe du Monde peut servir d’excuse pour lancer une vraie campagne nationale. Mais elle ne suffira pas. Le civisme ne s’improvise pas en 90 minutes.
En attendant, la darija continuera d’inventer des mots. Et c’est peut-être ça, la vraie richesse : une langue vivante qui ne se contente pas de décrire le monde, mais qui le juge, le critique, le tourne en dérision. Une langue qui dit tout haut ce que les institutions n’osent pas dire.
Quand la langue devient un thermomètre social
Les néologismes populaires sont plus qu’un jeu de mots : ce sont des baromètres. Chaque nouveau terme qui surgit traduit une réalité vécue, une frustration partagée. On rit en prononçant “hitoki” ou “bouzguandel”, mais ce rire est nerveux : il dit l’agacement, la lassitude, le désespoir parfois. Dans d’autres pays aussi, la rue invente son propre vocabulaire. En France, on a les “kékés” et les “beaufs”, en Espagne les “cani”. Au Maroc, la darija excelle dans cet art. Preuve que la langue populaire ne dort jamais : elle observe, elle épingle, elle résiste. Peut-être qu’avant même la loi, c’est par les mots que commence la lutte contre l’incivisme.