Une médecine encore trop sourde à la douleur féminine
L’un des plus grands paradoxes de la médecine moderne, c’est de pouvoir transplanter un cœur ou réparer un gène défaillant, mais d’être encore incapable d’expliquer ou de soulager des douleurs chroniques féminines pourtant massives.
Selon plusieurs études internationales, moins de 10 % des budgets de recherche en santé reproductive sont consacrés à des maladies comme l’endométriose ou la cystite interstitielle. À titre de comparaison, certaines maladies touchant majoritairement les hommes bénéficient de fonds beaucoup plus importants, même lorsqu’elles concernent une population bien moindre.
Ce déséquilibre n’est pas qu’économique : il est culturel. La douleur féminine est souvent minimisée, associée à la nervosité, au stress ou à la fragilité émotionnelle. De nombreuses patientes au Maroc comme ailleurs ressortent des consultations avec des antidépresseurs ou des anxiolytiques, sans diagnostic clair, ni prise en charge adaptée.
Ce biais médical systémique est le fruit d’une longue histoire : celle d’une médecine construite par des hommes, pour des hommes. Longtemps, le corps féminin a été perçu comme “instable”, “hystérique” ou “trop complexe à comprendre”. Ces stéréotypes persistent encore, consciemment ou non, dans les mentalités médicales et sociales.
Les réseaux : un cri collectif contre le silence médical
Face à ce déni persistant, un phénomène inattendu a émergé : la mobilisation numérique. Sur les réseaux sociaux, des milliers de femmes ont pris la parole, souvent avec courage, pour partager leurs symptômes, leurs parcours et leurs frustrations.
Il suffit qu’une influenceuse ou une simple internaute poste une vidéo décrivant les douleurs d’une cystite interstitielle pour que les commentaires explosent :
“Oh mon Dieu, moi aussi je vis ça.”
“Personne ne me croit quand j’en parle.”
“Je pensais être seule.”
Cette sororité numérique a transformé les réseaux en véritables espaces de reconnaissance et d’entraide. Ce sont souvent les malades elles-mêmes qui diffusent l’information, traduisent les termes médicaux, proposent des stratégies de soulagement, alertent sur les manques du système.
Au Maroc, cette tendance émerge doucement. Des comptes féminins commencent à aborder sans détour les sujets du cycle menstruel, des douleurs pelviennes, du diagnostic difficile souvent dans un mélange de darija et de français, accessible et décomplexé. Ces voix contribuent à casser le silence, à normaliser le dialogue et, surtout, à pousser la société à reconnaître ces maladies comme ce qu’elles sont : réelles, sérieuses et dignes d’attention.
Mais il reste encore beaucoup à faire. La recherche doit se féminiser, les politiques de santé doivent intégrer ces pathologies dans leurs priorités, et les médecins doivent être mieux formés pour détecter, comprendre et accompagner.
Car tant que la douleur féminine sera traitée comme un mystère, elle continuera d’être un fardeau solitaire. Et dans ce silence, ce ne sont pas seulement des femmes qui souffrent, mais une société entière qui passe à côté de la moitié de sa vérité.