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Quand le dragon chinois tisse au royaume des tapis

Le Maroc, plateforme industrielle convoitée entre Europe et Asie


Rédigé par La rédaction le Mardi 5 Août 2025



Tapis de voiture, made in Morocco… by China

Quand le dragon chinois tisse au royaume des tapis
Celui que l’on trouve dans les souks, tissé avec amour par des mains expertes, et qui finit souvent par orner les lofts new-yorkais ou les salons berlinois branchés ? Il symbolise à lui seul un savoir-faire ancestral, un héritage culturel… et une belle manne à l’exportation.

Mais voilà que le karma textile décide de faire un demi-tour acrobatique.

Plot twist dans la saga du made in Morocco : un fabricant chinois de tapis de voiture s’installe au Maroc pour mieux servir le marché européen. Oui, des tapis, mais pas ceux qui décorent, plutôt ceux qui ramassent les miettes de chips entre deux accélérations.

Bienvenue dans la globalisation version “tissu technique et moquette d’automobile”.

​Kuntai, ou le dragon qui s'invite sur nos chaînes d’assemblage

La scène est posée : fin juillet, la société chinoise Kuntai Hongjing Co., Ltd. annonce un investissement de 100 millions de yuans (environ 126,5 millions de dirhams) pour poser ses valises industrielles au Maroc. Objectif ? Créer une plateforme locale de production de tapis de voiture, principalement pour le marché européen.

Kuntai n’en est pas à son coup d’essai. Ses bases de production en Chine et au Mexique roulent déjà à plein régime. Le Maroc devient donc un troisième pôle stratégique dans la conquête du secteur automobile. Le Royaume, avec ses zones industrielles flambant neuves, sa proximité avec l’Europe et ses accords commerciaux avantageux, est devenu le chouchou des chaînes d’approvisionnement.

Mais cette fois, ce n’est pas Renault ou Peugeot qui s’implante. C’est un acteur spécialisé dans la moquette automobile. Un secteur discret, pas franchement glamour, mais diablement stratégique.

​Quand la Chine investit… en version silencieuse

Il y a quelque chose d’étonnant dans ce genre d’annonce. Ce n’est ni spectaculaire, ni tape-à-l’œil. Pas de grandes inaugurations avec ruban tricolore et ministres en cravate. Non. Juste une dépêche, quelques lignes, et pourtant… un investissement massif, une promesse d’emplois, une montée en gamme industrielle.

On parle de recherche, développement, production, vente, service client européen depuis le Maroc. Bref, toute la chaîne de valeur.

Et tout cela, dans un secteur où peu de Marocains s’imaginaient briller un jour : la moquette industrielle. Oui, celle qu’on ne regarde même pas, qui ne fait pas rêver, mais qui, sans elle, votre Dacia aurait une allure de béton brut.

​Le tapis se tisse à l’envers

L’ironie, bien sûr, c’est que le tapis marocain, celui qu’on tisse à la main, patiemment, dans les montagnes de l’Atlas ou les ateliers de Taznakht, est un symbole du savoir-faire national. Et c’est justement dans ce pays, artisan du textile millénaire, que la Chine vient installer ses métiers à tisser de l’automobile.

Le parallèle est tentant : d’un côté, les tapis berbères faits à la main, souvent copiés à bas coût par des usines asiatiques. De l’autre, des tapis de voiture fabriqués par des robots chinois sur le sol marocain pour rouler vers l’Europe.

Le tapis marocain serait donc un produit de luxe, et le tapis chinois, un produit d’industrie ? La boucle est bouclée.

​Le Maroc, plateforme ou paillasson ?

Cette installation industrielle relance le débat plus large : quelle place occupe réellement le Maroc dans la mondialisation ? Est-il en train de devenir une véritable plateforme industrielle à haute valeur ajoutée ? Ou reste-t-il un territoire “low-cost” où les grandes puissances viennent profiter de la main-d'œuvre compétitive et des exonérations fiscales ?

La vérité, comme souvent, se niche entre les fibres.

Oui, ce type d’investissement est bon pour l’économie : il crée des emplois, renforce l’attractivité du territoire, diversifie les compétences industrielles locales.

Mais à quelles conditions sociales et environnementales ? Que restera-t-il au Maroc si les centres de décision, les brevets, les marges et les stratégies demeurent ailleurs ? Le Maroc, deviendra-t-il l’usine silencieuse de l’Europe… et de la Chine ?

​Tapis rouge ou tapis roulant ?

Il faut saluer la capacité du Maroc à attirer de tels investisseurs. Cela veut dire que les infrastructures sont là, que la stabilité politique rassure, que la vision industrielle est cohérente.

Mais attention à ne pas dérouler le tapis rouge à n’importe qui, à n’importe quel prix.

Un vrai partenariat industriel, ce n’est pas seulement accueillir des chaînes de montage, c’est aussi co-construire une montée en compétence locale, faire du transfert de technologie, exiger de la formation, imposer du contenu local, et pourquoi pas, rêvons un peu, développer une marque marocaine de composants auto.

Aujourd’hui ce sont des tapis de voiture. Demain, pourquoi pas des tableaux de bord, des capteurs, des batteries ? Ou alors… des voitures entières ?

Mais pour cela, il faut penser grand. Penser “produit fini”, et pas seulement “pièce détachée”.

De la moquette à la politique industrielle

Cette anecdote d’apparence banale cache en réalité une leçon stratégique. Le Maroc doit choisir : rester un pays d’accueil passif ou devenir un acteur industriel actif, qui pose ses conditions, oriente les investissements, choisit ses filières stratégiques.

Le tapis de voiture n’est qu’un symbole. Mais il dit beaucoup.

Il dit que la mondialisation n’est pas morte. Qu’elle prend de nouvelles formes, plus discrètes, plus techniques. Il dit aussi que l’industrie se joue désormais à des niveaux très fins, dans des sous-secteurs méconnus mais à forte valeur ajoutée.

Et il rappelle, surtout, que dans la chaîne mondiale de production, le Maroc peut très bien passer de fournisseur à concepteur.

Mais pour ça, il faudra bien plus qu’un tapis.

La Chine, premier client… et premier investisseur dans l’ombre ?

Ce n’est pas nouveau : la Chine n’est pas seulement une usine géante. C’est aussi une nation qui investit massivement… mais souvent en silence. Ports, télécoms, routes, énergie, agriculture, textile, industrie automobile : le spectre d’investissement chinois au Maroc s’élargit doucement mais sûrement.

Avec Kuntai, c’est une nouvelle brique de cette influence économique qui s’ajoute. Et si la Chine n’est pas toujours très visible dans les palmarès officiels des investissements directs étrangers, c’est parfois simplement parce qu’elle multiplie les filiales, les co-entreprises, et les montages discrets.

Une stratégie qui mérite, elle aussi, d’être observée de près.

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Mardi 5 Août 2025