L'ODJ Média

Quand les Marocains disent « Assez ! » : la médiation citoyenne en pleine mutation


Rédigé par La rédaction le Vendredi 25 Juillet 2025

Le rapport 2024 du Médiateur du Royaume révèle une montée des plaintes citoyennes contre l’administration marocaine et propose des solutions concrètes pour améliorer la relation usager-État.



​Un recours citoyen qui gagne du terrain

Quand les Marocains disent « Assez ! » : la médiation citoyenne en pleine mutation
En 2024, près de huit mille Marocains ont fait appel au Médiateur du Royaume pour faire entendre leur voix face à l’administration publique. C’est un chiffre qui ne ment pas. Exactement 7.948 dossiers ont été traités cette année, soit une hausse de plus de 10 % par rapport à l’année précédente. Cette progression illustre une tendance de fond : les citoyens ne veulent plus subir, ils veulent comprendre, contester, et surtout obtenir justice.

Le rapport annuel publié au Bulletin Officiel ne laisse place à aucune ambiguïté : les Marocains utilisent de plus en plus ce canal institutionnel comme un espace de recours légitime. Pas pour faire du bruit, mais pour trouver des solutions. Le Médiateur du Royaume n’est plus vu comme une institution lointaine ; il devient un acteur du quotidien pour des milliers de familles.

Des plaintes massivement concentrées sur l’administration, les finances et le foncier

Parmi les 7.948 dossiers, 5.755 sont des réclamations pures et dures, soit plus de 72 % du total. Et trois domaines concentrent à eux seuls la grande majorité des doléances : l’administration (2.325 cas), les finances (1.761) et l’immobilier (926). Ces chiffres traduisent un malaise bien réel, ancré dans la complexité de la bureaucratie marocaine, les lenteurs administratives, et les conflits autour de la propriété ou de la fiscalité.

Si les chiffres sont utiles, les histoires derrière eux le sont encore plus. Comme celle de Rachid, commerçant à Fès, qui attendait depuis deux ans une simple autorisation de branchement à l’eau potable. Ou celle de Latifa, retraitée à Safi, dont le dossier de pension avait été « perdu » dans les méandres d’un ministère. Ce sont ces cas concrets que le Médiateur tente de résoudre, avec une efficacité croissante.

Une pression constante sur une institution en mutation

Mais le revers de cette montée en puissance, c’est la surcharge. Plus de 76 % des dossiers en cours concernent des réclamations en attente de traitement. Le personnel ne suit pas toujours. Le rapport met en garde : pour que la machine de la médiation continue de tourner, il faudra sérieusement renforcer les ressources humaines et logistiques de l’institution.

L’une des forces du Médiateur réside dans sa capacité d’adaptation. Aujourd’hui, le citoyen peut déposer sa plainte par courrier, sur une plateforme en ligne, via WhatsApp, ou directement dans les guichets physiques. Et c’est le canal numérique qui domine : 35,8 % des requêtes ont été enregistrées via e-plainte, une preuve que même les plus démunis s’adaptent à l’ère digitale lorsqu’il s’agit de faire valoir leurs droits.

Un recours encore très individuel, et majoritairement masculin

Une statistique interpelle : seulement 24,6 % des plaintes proviennent de femmes. Ce chiffre invite à s’interroger. Est-ce un problème d’accès à l’information ? Une défiance plus marquée vis-à-vis de l’administration ? Ou simplement une méconnaissance des canaux de médiation ? Quoi qu’il en soit, le mécanisme reste largement monopolisé par les hommes (près de 75 % des réclamants), et par des individus agissant seuls. Les plaintes collectives, notamment de la part d’associations ou de groupes de citoyens, sont encore l’exception.

​Un acteur qui résout, mais qui n’a pas tous les leviers

L’année 2024 a pourtant vu l’institution réussir des arbitrages importants. L’un des cas les plus emblématiques a été celui opposant le ministère de l’Enseignement supérieur aux facultés de médecine. Un dossier sensible, politique, et potentiellement explosif, que le Médiateur a su désamorcer par une médiation discrète mais efficace.

Mais il en faut plus. Le rapport est clair : l’institution veut aller au-delà de la réparation individuelle. Elle souhaite intervenir en amont, prévenir plutôt que guérir. Pour cela, elle appelle à une coopération accrue avec les ministères, les collectivités territoriales et les organismes publics.

​Recommandations : plus d’humain, moins de paperasse

Le document publié cette année ne se contente pas de dresser un bilan. Il propose aussi des pistes d’action concrètes. En premier lieu, améliorer l’accueil dans les services publics. Pas seulement en rendant les guichets accessibles, mais en formant les agents à l’écoute active, à l’empathie, et à la pédagogie.

Deuxième priorité : simplifier les procédures. Trop souvent, un citoyen se perd entre les formulaires, les pièces à fournir, les délais flous et les circuits obscurs. La recommandation est simple : clarifier les démarches, mettre à jour les référentiels juridiques, et éliminer les redondances inutiles.

Autre proposition phare : instaurer des délais fixes et contraignants pour que l’administration réponde dans un temps raisonnable. Aujourd’hui, beaucoup de dossiers s’enlisent faute de réponse. La mise en place d’un cadre clair permettrait non seulement d’accélérer le traitement, mais aussi de restaurer la confiance.

Enfin, le rapport insiste sur le potentiel de la médiation amiable. Même si elle reste marginale en volume, elle a démontré son efficacité pour désamorcer les conflits sans passer par la justice. Encore faut-il qu’elle soit promue, encadrée, et surtout, prise au sérieux par les administrations concernées.

​ Ce que dit ce rapport sur notre société

Au fond, ce rapport annuel du Médiateur du Royaume ne parle pas uniquement de chiffres et de procédures. Il parle du Maroc d’aujourd’hui, de ses tensions latentes, de ses citoyens qui refusent de se résigner, et d’un État qui doit encore apprendre à écouter.

Il montre aussi que la démocratie administrative ne se construit pas dans les discours, mais dans les guichets, les portails en ligne, les courriers traités dans un délai raisonnable. C’est là que la relation entre le citoyen et l’État prend tout son sens.

médiateur, réclamations, administration publique, Maroc, justice administrative, plaintes citoyennes, dossier e-plainte, simplification administrative, services publics, droits des citoyens





Vendredi 25 Juillet 2025