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Quels sont les coûts de la dialyse rénale au Maroc ?

Entretien avec Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI


Les études économiques sur les coûts de la prise en charge des maladies sont rares au Maroc. Pour avoir quelques données chiffrées sur la charge financière de la dialyse rénale, comme seule alternative thérapeutique pour certains maladies très graves voir mortelles, nous avons réalisé cet entretien avec Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI, Professeur de néphrologie à la Faculté de Médecine de Fez et chef de service de néphrologie du CHU Hassan II de Fez. Pr SQALLI est par ailleurs président de la société marocaine de néphrologie.



A lire ou à écouter en podcast :

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI
Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI
Entretien réalisé par Dr Anwar CHERKAOUI

Dr Anwar Cherkaoui : Combien coûte une séance de dialyse?

Pr Tariq SQALLI : Au-delà du coût direct individuel, il y a un coût indirect et global qu’il faut bien préciser en premier lieu . En effet, le nombre de patients dialysés au Maroc est passé de 4800 en 2004 à près de 32 000 en 2020. Ceci a nécessité la construction de pas moins de 400 centres d'hémodialyse dont le tiers sont des centres publics et couvrent l'ensemble du territoire national. L'investissement est donc énorme. Par ailleurs, la dialyse représente environ 1/3 des dépenses de l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO) au Maroc. Le ministère de la Santé consacre un budget de 250 millions de dirhams par an pour l'achat de séances de dialyse dans le secteur privé, au profit des patients titulaires du RAMED et cela dans le cadre d'un partenariat public-privé. Malgré tout cela, certains patients dans plusieurs régions du Maroc n'arrivent toujours pas à trouver rapidement une place en dialyse et sont inscrits sur des listes d'attente. Ceci résume le fardeau que représente la dialyse pour le système de santé dans notre pays. 

De plus, cela ne fait qu'augmenter puisque les prévisions réalisées par la Société Marocaine de Néphrologie selon des modélisations mathématiques qui tablent sur 45 900 à 48 900 dialysés et 530 à 550 centres de dialyse à l'horizon 2030. Il est donc impératif d'œuvrer rapidement pour l'amélioration des stratégies de prévention. Et surtout du développement de la transplantation rénale pour la prise en charge des patients en insuffisance rénale chronique terminale.  C’est la seule manière de réduire la pression sur les centres d’hémodialyse publics et privés.

Dr Anwar Cherkaoui : Un patient, dans les différentes phases de l'insuffisance rénale, a besoin de combien de séances par semaine?

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI : La maladie rénale chronique évolue en cinq stades durant lesquels nous devons agir pour ralentir la progression de la maladie rénale si le diagnostic est établi, d’où l'intérêt des stratégies de dépistage et de prévention. Au stade 5, que nous qualifions de terminal, un traitement de suppléance est envisagé en fonction de la tolérance par le patient sur le plan clinique et biologique. 
Dans ce cas, le patient nécessitera en général trois séances d'hémodialyse par semaine d'une durée de 4 heures chacune. S'il opte pour la dialyse péritonéale, ce sont plusieurs échanges quotidiens à domicile qui sont nécessaires. 

Dr Anwar Cherkaoui : La dialyse est-elle un traitement à vie ?

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI : La dialyse peut être nécessaire dans des situations aiguës (insuffisance rénale aiguë, hypercalcémie, intoxications...), et dans ce cas, elle peut être considérée comme temporaire tant qu'il y a un espoir de réversibilité de l'atteinte rénale. 
Quand le traitement de suppléance d'une insuffisance rénale chronique au stade terminal est indiqué, nous nous retrouvons devant trois possibilités : l'hémodialyse, la dialyse péritonéale et la transplantation rénale. Le patient peut bénéficier de l'un de ces moyens de traitement de suppléance ou passer d'une technique thérapeutique à l'autre. Seule la transplantation rénale pourra alors lui éviter la dialyse à vie. 
 
Dr Anwar Cherkaoui : Comment est remboursée la dialyse (cnops, cnss, autres .....)?

Pr Tariq SQALLI Houssaini : La tarification officielle d'une séance d'hémodialyse est de 850,00 MAD. Le remboursement par les organismes de prévoyance sociale porte sur 03 séances par semaine soit 156 séances par an (850,00 x 156 = 132 600,00 MAD par an)
Pour la dialyse péritonéale, il y a un forfait hebdomadaire de 2400,00 MAD soit 124 800,00 MAD par an. 

Dr Anwar Cherkaoui : un malade sous dialyse a-t-il besoin d'autres médicaments ? Si oui, quel est le coût mensuel de ces médicaments supplémentaires ?

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI : OUI. Absolument. Le patient dialysé a besoin de médicaments et d'analyses supplémentaires programmées, sans compter le coût des éventuelles hospitalisations liées aux complications. 
Parmi ces médicaments, l'érythropoïétine et le fer pour le traitement de l'anémie, ainsi que les médicaments destinés à traiter les troubles minéraux et osseux qui sont quasi constants chez le dialysé . D'autres médicaments sont prescrits selon les cas. Ajoutons à cela les médicaments liés aux comorbidités ou à la pathologie causale de la maladie rénale chronique (diabète, hypertension artérielle...). Le coût est très variable et peut être estimé à 3000,00 MAD par mois (voire plus dans certains cas). En moyenne, nous pouvons estimer le coût total de la dialyse incluant les médicaments, les bilans et les hospitalisations à 200 000,00 MAD par personne et par an. 

Dr Anwar Cherkaoui : Quelle est la place de la greffe rénale dans la prise en charge thérapeutique de l'Insuffisance rénale ?

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI : La transplantation rénale est le traitement de choix de l'insuffisance rénale chronique terminale. Les raisons sont nombreuses. 
C'est d'abord un traitement efficace puisque les taux de réussite dépassent les 90%. C'est aussi le traitement qui permet d'avoir non seulement la meilleure espérance de vie (par rapport aux deux modalités de dialyse), mais aussi la meilleure qualité de vie, la plus proche possible de celle d'une personne n'ayant pas d'insuffisance rénale. De même, les études médico-économiques partout dans le monde ont montré que le coût de la transplantation rénale est de loin inférieur à celui de la dialyse, et ce, dès la fin de la première année post-greffe. Ajoutons à cela le bénéfice pour la société qui n'aura pas à supporter le coût exorbitant de la tendance à la désocialisation des patients dialysés (perte d'emploi, déscolarisation...)
 

Dr Anwar CHERKAOUI
Dr Anwar CHERKAOUI
Dr Anwar Cherkaoui : Où en est la greffe rénale au Maroc ?

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI : Qualitativement, la greffe rénale au Maroc a franchi des pas importants. Un texte de loi la régit depuis 1998. Elle est ainsi pratiquée avec de très bons résultats dans sept hôpitaux universitaires, dans les villes de Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès, et Oujda. En plus des transplantations rénales à partir de donneurs vivants apparentés, des prélèvements multi-organes ont été réalisés dans tous les CHUs habilités et nous pratiquons depuis quelques années les transplantations rénales à partir de donneurs en état de mort encéphalique. Une liste d'attente nationale centralisée et répondant à des critères clairs et objectifs a vu le jour. Des greffons sont transportés pour aller vers le candidat idéal dans d'autres villes. Les greffes pédiatriques sont également réalisées. 

Quantitativement, nous sommes vraiment loin du compte. Les chiffres des dernières années (en dehors de 2020 et de la pandémie COVID-19) tournent autour d'une cinquantaine de greffes rénales par an sachant que le nombre de dialysés au Maroc a atteint environ 32 000 patients en 2020.
 
Dr Anwar Cherkaoui : Quelles sont les solutions pour accélérer davantage le processus de transplantation d’organes dans notre pays ?

Pr Tariq SQALLI HOUSSAINI : La solution passe par la création d'une instance chargée du dossier et qui en fait sa mission exclusive. Cela existe depuis longtemps dans de nombreux pays que nous prenons comme référence. Très près de nous, la Tunisie dispose d'un Centre National pour la promotion de la Transplantation d'Organes (CNPTO) depuis 1995, et une Agence Nationale des Greffes (ANG) a été créée en Algérie en 2012. 
Une telle instance pourrait aborder les nombreux obstacles à surmonter pour atteindre une activité de transplantation qui réponde aux besoins de la population marocaine. Je citerai à titre d'exemple : la sensibilisation au don d'organes ; la refonte du texte de loi régissant la greffe ; l'adoption de recommandations de prise en charge en collaboration avec les sociétés savantes ; la définition du circuit de greffe (logistique) ; l'amélioration de l'identification des donneurs en état de mort encéphalique ; la résolution des problèmes d'approvisionnement en médicaments nécessaires à la transplantation ; la mobilisation de moyens humains et matériels ; l'adoption de programmes de formation et de mesures incitatives des équipes...

Dr Anwar Cherkaoui : Quelle est la situation de la greffe rénale dans des pays comme le Maroc ? Un bref panorama de la greffe rénale dans le monde.

Dr Tariq SQALLI HOUSSAINI : Des données récentes montrent que le Maroc et les voisins du Maghreb accusent un certain retard. Ainsi, le nombre de transplantations rénales sur une durée de trois ans est de 654 en Algérie, 195 en Tunisie et de 199 au Maroc.   
Le nombre annuel de transplantations rénales rapporté à la population du pays est d'environ 1,5 par million d'habitants (pmh) au Maroc contre 21,4 pmh en Arabie Saoudite ou encore 48,2 pmh en France. 

Mais le meilleur modèle reste celui de l'Espagne. Notre voisin du nord a créé, en 1989, l'Organisation Nationale de la Transplantation (ONT). Cette agence dédiée aux activités de don et de greffe a mis en place un modèle de coordination des donneurs décédés qui a permis à l'Espagne en moins de 10 ans de doubler son taux de donneurs prélevés (de 15 donneurs prélevés par million d'habitants à plus de 30), se hissant ainsi à la première place mondiale, une place que l'Espagne occupe toujours avec plus de 40 prélèvements et plus de 100 greffes par million d'habitants et par an.

Lundi 15 Février 2021



Rédigé par Dr Anwar CHERKAOUI le Lundi 15 Février 2021