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Rabat-Madrid : après la tempête des passions, un mariage de raison


Rédigé par le Vendredi 8 Avril 2022

Alger a tout fait pour que Rabat et Madrid se réconcilient, en croyant au contraire creuser l’écart entre les deux capitales. Merci donc au président Tebboune et au Général Chengriha. Leur stupidité a été une gêne pour l’Espagne et pain béni pour le Maroc.



SM le Roi recevant le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez
SM le Roi recevant le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez
« Un moment historique », c’est ainsi que Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol a qualifié sa visite entamée le 7 avril au Maroc et illustrée par sa rencontre avec le Roi et l’adoption d’une feuille de route, en seize points, pour des relations renouvelées entre les deux royaumes.

Le retentissement de cet évènement exceptionnel s’étend, évidemment, bien au-delà des deux pays.

Quand le texte de la déclaration conjointe, entérinant les discussions entre le Souverain et le chef du gouvernement espagnol, commence d’abord par souligner que « l’Espagne reconnaît l’importance de la question du Sahara pour le Maroc » et « considère l’initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend », bien des généraux à Alger ont du avoir envie de manger leurs casquettes.

Alors que dans les camps de Tindouf, on commence à organiser les obsèques du polisario, décédé depuis longtemps déjà, une réalité scrupuleusement tenue secrète jusqu'ici par ceux-là même qui présidaient à sa sinistre destinée.

L'art algérien d'égrener les bêtises en chapelet

Il faut avouer que les dirigeants algériens se sont réellement démenés pour faciliter la tâche à la diplomatie marocaine, dans ses efforts pour ramener Madrid à de meilleures dispositions envers la question de l’intégrité territoriale du Maroc.

Il y a eu d’abord la bêtise des généraux d’Alger d’envoyer Brahim Ghali, alias « Benbatouche », se faire soigner en Espagne, en avril 2021.

Le scandale ainsi suscité et les pressions marocaines qui s’en sont suivies ont rendu de moins en moins supportable pour Madrid de continuer son numéro d’équilibriste entre Rabat et Alger.

Mais le coup de grâce qu’ont assené les généraux d’Alger à leurs relations avec l’Espagne a sûrement été leur décision de ne plus renouveler le contrat, venu à échéance fin octobre 2021, relatif à l’exportation du gaz naturel à travers le gazoduc Maghreb-Europe, et ce juste pour embêter le Maroc à travers le territoire duquel passe ledit gazoduc.

Madrid s’est retrouvée à essuyer des pertes de toutes parts. Le détournement du flux de MRE transitant habituellement via l’Espagne pour rentrer en vacances au Maroc, dans le cadre de l’opération Marhaba 2021, a entraîné un énorme manque à gagner qui a été reproché à Pedro Sanchez.

Tout ça pour s’entendre dire par les dirigeants algériens qu’ils refusent de remettre en activité le gazoduc Maghreb-Europe (13,5 milliards de m3 par an), malgré le besoin pressant de l’Espagne en gaz naturel, que le seul volume transitant par le gazoduc sous-marin Medgaz (8 milliards de m3 par an) reliant directement les deux voisins de l'Est et du Nord ne peut satisfaire.

Le privilège d’être sahraoui marocain

Les sahraouis réellement marocains des camps de Tindouf n'attendent que de rentrer chez eux
Les sahraouis réellement marocains des camps de Tindouf n'attendent que de rentrer chez eux
Les polisariens, bien sûr, n’en croyaient pas leurs oreilles, se sentant comme reniés par l’ex-colonisateur espagnol et néanmoins référence historique des séparatistes. Le coup était d’autant plus terrible que la diplomatie marocaine l’a suivi d’un autre, mortel.

Le représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies, Omar Hilal, a signifié aux polisariens que les seuls parmi eux auxquels il sera permis de rentrer dans la mère-patrie sont ceux dont les noms figurent sur le recensement espagnol de 1974.

C’est d’abord mettre hors-jeu la majorité de la direction du polisario. Certains sont des sahraouis marocains mais qui ne sont pas originaires des territoires dit « en conflit ». D’autres sont Algériens ou Mauritaniens. Au plus bas de l’échelle sociale des camps de Tindouf, il y a également des Maliens, Nigériens et Tchadiens.

C’est donc ce fameux recensement espagnol de 1974, que le polisario voulait imposer comme référentiel afin d’établir la liste des votants au référendum, tout en se donnant le droit d’y ajouter qui il voulait, qui constitue désormais la mèche qui va faire exploser le baril de poudre des camps de Tindouf.

Car, si les sahraouis d’origine marocaine ont aussitôt salué cette décision, preuve qu’ils pensent véritablement à rentrer chez eux, au Maroc, tous les autres commencent à se poser des questions sur leur destin.

C’est un sujet déjà soulevé par l’auteur de ces lignes sur les pages de l’Odj, suite à l’intervention réussie des Forces Armées Royales, en novembre 2020, quand il était devenu évident que le polisario vivaient ces derniers instants.

La question est maintenant de savoir jusqu’à quel point les dirigeants algériens sont conscients de la menace posée par ce volcan identitaire/démographique entré en ébullition au Sud-est de leur territoire.

Les connexions entre les bandes terroristes qui sévissent dans la sous-région du Sahara et du Sahel existent déjà avec les camps de Tindouf. C’est d’ailleurs un réel sujet d’inquiétude pour Madrid et les autres capitales européennes.


Trop d'intérêts en jeu

Pour Rabat, comme pour Madrid, la « nouvelle étape » dans les relations maroco-espagnoles prend une dimension qui dépasse de loin la seule affaire du Sahara.

Elle serait à « construire sur des fondements plus solides », selon les propos de Pedro Sanchez, en s’appuyant sur les principes de transparence, de dialogue permanent et de respect mutuel.

En arrière plan, il y a bien sûr le gaz naturel, celui qui devrait couler en provenance du Nigéria, via le gazoduc qui devrait le relier au Maroc.

Le projet n’est même pas encore entamé, il est vrai, mais il regagne en intérêt, maintenant que les pays européens sont décidés à diversifier leurs fournisseurs de gaz naturel, en attendant de pouvoir se passer du gaz russe.

L’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc et représente pas moins d’un tiers de ses échanges extérieurs.

Les exportations marocaines vers l’Espagne se sont chiffrés à 7 milliards d’euros, en 2021, soit une hausse de 14,6% par rapport à 2020. Les importations en provenance du voisin du Nord, au cours de la même période, ont atteints pour leur part 9,5 milliards d’euros, en progression de 29,2%.

Nul besoin de rappeler que cette période coïncide pourtant avec des relations politiques maroco-espagnoles parmi les plus tendues de leur histoire.

C'est-à-dire que les Marocains ont su faire la part des choses, ne permettant pas aux difficultés passagères entre les deux royaumes voisins d’influer négativement sur les liens durables.

Don Quichotte et le moulin à vent

Don Quichotte appris à ses dépens que l'on ne se bat point contre un moulin à vent
Don Quichotte appris à ses dépens que l'on ne se bat point contre un moulin à vent
Rabat n’est pas Alger. C’est une toute autre culture politique et Madrid a bien du se résoudre à l’admettre, même si cela signifie la perte d’un moyen de pression sur le Maroc qu’est l’affaire du Sahara.

Le secret des Marocains ? Ils accueillent chez eux le plus important réseau de centres culturels espagnols « Cervantès » au monde et connaissent, donc, assez bien la culture et la mentalité de leurs voisins du Nord.

N’est-ce pas l’auteur de Don Quichotte qui a su si bien mettre en relief la vanité de s’en prendre à un moulin à vent ? Il y a pourtant tellement de grain à moudre pour faire des relations Maroc-Espagne un partenariat gagnant-gagnant.




Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 8 Avril 2022