Tunisie : des peines historiques pour des figures politiques dans une affaire de complot et de blanchiment d’argent
Parmi les condamnés figure Rached Ghannouchi, leader historique du mouvement Ennahdha et figure emblématique de la scène politique tunisienne post-révolution. Détenu depuis avril 2023, il a été condamné à 22 ans de prison. Ses proches n'ont pas été épargnés : ses deux enfants, Moaz Ghannouchi et Soumaya Ghannouchi, ont écopé respectivement de 25 et 35 ans de prison, tandis que son gendre, Rafiq Bouchlaka, ancien ministre des Affaires étrangères, a été condamné à 34 ans.
L’affaire a également touché d’autres personnalités de haut rang. Hichem Mechichi, ancien chef du gouvernement, actuellement en exil hors de Tunisie, a été condamné par contumace à 35 ans de prison. Quant à Salem Kahili, fondateur de la société "Instalingo", il a reçu la peine la plus lourde : 54 ans de prison, assortie d’un mandat d’arrêt international.
Ces condamnations interviennent dans un climat politique tendu en Tunisie, marqué par une polarisation croissante entre le président Kaïs Saïed et ses opposants. Depuis la prise de pouvoirs exceptionnels par Saïed en 2021, les tensions entre son gouvernement et les figures de l’opposition, notamment celles liées au mouvement Ennahdha, n’ont cessé de s’intensifier.
L’affaire "Instalingo" est emblématique de cette lutte acharnée. La société, spécialisée dans la production de contenus numériques et médiatiques, est accusée d’avoir servi de plateforme pour diffuser des informations visant à déstabiliser le régime en place. Les charges de complot contre la sûreté de l’État et de blanchiment d’argent viennent renforcer l’idée, soutenue par le gouvernement, que ces figures politiques auraient utilisé des moyens illégaux pour saper l’autorité de l’État.
Cependant, les avocats de la défense dénoncent un procès politique. "Ces condamnations ne reposent sur aucune preuve tangible", a déclaré un membre de l’équipe juridique de Rached Ghannouchi. Pour eux, ces verdicts s’inscrivent dans une campagne plus large de répression contre l’opposition et les voix critiques du régime actuel.
Ces peines de prison risquent d’aggraver les divisions au sein de la société tunisienne. Rached Ghannouchi, bien que contesté, reste une figure respectée par une partie de la population, notamment les sympathisants d’Ennahdha. Ces condamnations pourraient donc renforcer le sentiment d’injustice parmi ses partisans et alimenter les tensions sociales dans un pays déjà fragilisé par une crise économique et politique profonde.
Ces verdicts pourraient ternir davantage l’image de la Tunisie, autrefois saluée comme un modèle démocratique dans le monde arabe après la révolution de 2011. Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, ont déjà exprimé leurs préoccupations face à ce qu’elles considèrent comme une dérive autoritaire du régime actuel.
L’affaire "Instalingo" rappelle d’autres cas similaires dans la région, où des accusations de complot contre l’État ont souvent été utilisées pour étouffer l’opposition. En Égypte, par exemple, des figures politiques de premier plan, issues des Frères musulmans, ont été condamnées à de lourdes peines de prison sous des charges comparables.
Cependant, la Tunisie, qui avait jusqu’à récemment conservé une certaine liberté d’expression et de pluralisme politique, semble s’engager sur une voie similaire. Cette évolution suscite des inquiétudes quant à l’avenir de la démocratie tunisienne et à sa capacité à surmonter les défis actuels.
Les lourdes condamnations dans l’affaire "Instalingo" marquent une étape dramatique dans l’histoire récente de la Tunisie. Si elles visent officiellement à protéger la sûreté de l’État et à lutter contre la corruption, elles risquent également d’intensifier les divisions politiques et sociales dans le pays.
À court terme, ces verdicts pourraient renforcer l’autorité du président Kaïs Saïed, mais à un coût élevé pour la stabilité et la cohésion nationale. À long terme, l’avenir de la Tunisie dépendra de sa capacité à rétablir un équilibre entre sécurité, justice et respect des droits fondamentaux. Dans un contexte de crise économique et de mécontentement populaire croissant, les incertitudes restent nombreuses.



