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Rente ou guerre des ressources ? Le dilemme véritable du Vénézuéla..


Rédigé par le Samedi 18 Octobre 2025

On ne déploie pas des brigades, des hélicoptères et des batteries antiaériennes pour un simple exercice de relations publiques. À Caracas, la mobilisation est d’abord un message de dissuasion : « nous ne sommes pas une proie facile ». Le théâtre caribéen redevient stratégique, et la géopolitique la plus crue — celle des matières premières — s’invite au premier rang. Le Vénézuéla dispose du plus grand stock prouvé d’hydrocarbures de la planète et d’un sous-sol aurifère colossal. Dans un système international polarisé par l’énergie, les métaux et les chaînes d’approvisionnement, cette combinaison aimante les convoitises et multiplie les scénarios à risque.



Orénoque, barils et barillets : l’art dangereux de la dissuasion caribéenne

Rente ou guerre des ressources ? Le dilemme véritable du Vénézuéla..
L’histoire n’est pas neuve : chaque fois que l’architecture énergétique mondiale vacille, la tentation d’« externaliser » la contrainte se réveille. Sanctions, pressions financières, guerres de normes ; et, en filigrane, la vieille Doctrine de Monroe remise au goût du jour sous forme de « sécurité hémisphérique ». Vue de Washington, une installation durable d’un pouvoir hostile, assise sur du pétrole lourd et un « coussin » d’or valorisable, compromet à la fois la sécurité énergétique, l’efficacité des régimes de sanctions et l’équilibre des marchés. Vue de Caracas, toute ouverture serait le prélude à la dépossession. D’où l’option choisie : un dispositif de déni d’accès (A2/AD) à la mesure des moyens disponibles, appuyé par une milice structurée et une doctrine de guérilla côtière destinée à rendre tout pari d’« entrée en premier » prohibitif.

Rien n’indique pour autant que l’affrontement conventionnel soit imminent. Les armées ne s’engagent pas sur un littoral étroit, à portée de systèmes sol-air et dans la profondeur des forêts, sans supériorité informationnelle et sans filet politique. L’outil militaire, ici, sert d’abord de levier diplomatique dans un bras de fer économique : pétrole contre devises, or contre crédibilité monétaire, accès au marché contre allégements de sanctions. Mais l’escalade peut surgir ailleurs : dans les couloirs de l’assurance maritime, la logistique des traders, ou la bataille des paiements où l’or physique reprend une centralité que l’on croyait révolue. Plus les banques centrales se couvrent en métal, plus les filières aurifères périphériques deviennent sensibles — et l’Orénoque n’est pas un détail.

​Le risque majeur tient à la « mauvaise lecture » — ce moment où une manœuvre conçue comme coercitive est perçue comme prélude à une attaque. Une frappe ciblée sur des capacités militaires, un incident de frontière, un brouillage satellitaire, et la dynamique d’engrenage peut emporter des capitales qui n’avaient pas l’intention de franchir le Rubicon. Les effets systémiques seraient immédiats : flambée des primes de risque, tension sur les barils lourds nécessaires aux mixes de raffinage, envolée des cours de l’or, pression accrue sur des économies européennes déjà fragilisées par le coût de l’énergie. En arrière-plan, deux acteurs observent attentivement : une Russie pour qui l’or et le pétrole sont filets de sécurité stratégiques, et une Chine soucieuse de stabilité d’approvisionnement et d’alternatives au dollar. Ni l’une ni l’autre n’a intérêt à voir un voisinage américain s’emparer sans contrepartie d’un gisement géo-économique de cette taille.

Le mirage de l’intervention propre : pourquoi Caracas n’est pas un raccourci stratégique

Rente ou guerre des ressources ? Le dilemme véritable du Vénézuéla..
Sur le terrain vénézuélien, la variable décisive reste la gouvernance des ressources. Un État qui transforme la rente en investissement productif, sécurise ses titres, accepte des joint-ventures transparentes et desserre l’étau institutionnel réduit l’incitation extérieure à « gérer » le dossier par la force. À l’inverse, plus l’extraction devient informelle, plus le triangle « mines illégales – corruption – groupes armés » pollue la souveraineté, plus la rhétorique de la « stabilisation » trouvera des relais. La meilleure défense n’est pas seulement un missile, c’est un cadastre, un code minier crédible, et des pipelines de contrats audités.

Pour les décideurs occidentaux, l’illusion d’une opération « chirurgicale » relève du mirage stratégique. Dans les Caraïbes, le moindre dérapage se paie en décennies d’anti-américanisme, en contentieux juridiques interminables et en asymétries que la supériorité technologique ne résout pas. L’alternative est exigeante mais réaliste : articuler un paquet énergie-finance gradué (allégements conditionnels, corridors humanitaires, garanties d’investissement), placer l’or au cœur d’un régime de traçabilité multilatéral, et inclure des puissances tierces dans la supervision — faute de quoi elles deviendront mécaniquement des contre-acteurs.

Reste la dimension militaire, que l’on ne conjure pas par souhait pieux. Face à une posture A2/AD même imparfaite, toute planification sérieuse suppose de compter avec la dispersion, l’urbanisation littorale et un maillage social armé. En langage d’art opératif : la « victoire rapide » est un conte. Le calcul coût/avantage pousse donc à la sobriété stratégique. Au-delà des slogans, la vraie question est simple : veut-on stabiliser des marchés ou rejouer une guerre des ressources ? Dans le premier cas, la géo-économie prime et la diplomatie des normes s’impose. Dans le second, on ouvre une boîte de Pandore qui débordera très vite des rives de l’Orénoque.

Le Vénézuéla rappelle une règle élémentaire de la puissance : plus une ressource est critique, plus la gouvernance qui l’entoure doit être robuste, locale et lisible. Sans cela, les canons parleront à la place des contrats — et personne n’a les moyens d’en payer la facture.

Vénézuéla ; pétrole lourd ; or ; dissuasion ; A2/AD ; sanctions ; sécurité énergétique ; gouvernance des ressources ; Caraïbes ; escalade





Admin Ait Bellahcen
Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls l'auto... En savoir plus sur cet auteur
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