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Révolution silencieuse dans la justice marocaine


Rédigé par La rédaction le Lundi 17 Novembre 2025



La fin des poursuites automatiques et l’avènement d’une justice négociée

Révolution silencieuse dans la justice marocaine
À partir du 8 décembre, le système judiciaire marocain s’apprête à changer de visage. Le nouveau Code de procédure pénale, récemment publié au Bulletin officiel, entre en application, et avec lui, un profond bouleversement de l’équilibre des pouvoirs au sein de la justice. Une note interne adressée par le président du Ministère public, Hicham Balaoui, aux procureurs, en donne déjà un aperçu : l’ère des poursuites automatiques touche à sa fin.

La réforme rétablit une logique d’appréciation, là où l’inertie systématique dominait. Désormais, les dénonciations anonymes ne suffisent plus pour déclencher une procédure judiciaire. Seules les plaintes étayées par des indices sérieux, vérifiés par la police judiciaire, pourront enclencher l’action publique. Cela vaut aussi pour les affaires impliquant les finances publiques. Dans ce cas, seuls certains organes étatiques — Cour des Comptes, inspections générales des ministères, instances de contrôle financier ou de probité — sont habilités à saisir directement la justice. Pour toutes les autres situations, le parquet demeure seul décisionnaire.

Ce changement porte la marque d’Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, qui a consacré une partie de son mandat à combattre ce qu’il considère comme l’un des fléaux les plus insidieux du système : la dénonciation calomnieuse. La réforme s’appuie sur une conviction ferme : la présomption d’innocence n’est pas une simple formule juridique, mais un principe à protéger activement — quitte à durcir l’accès au parquet. La rumeur comme outil de destruction sociale, le dépôt de plainte comme arme de vengeance personnelle : ces mécanismes, très répandus, s’en trouvent désormais freinés.

Mais cette nouvelle rigueur a un prix : si elle protège les citoyens contre l’arbitraire, elle risque aussi de compliquer la vie des lanceurs d’alerte, notamment dans les dossiers de corruption. Les dénonciations citoyennes spontanées sont désormais mises à distance, et doivent transiter par des institutions publiques encore fragiles ou engourdies par les lenteurs administratives. L’Instance de probité, par exemple, n’a pas encore toute sa capacité opérationnelle. Résultat : risque de découragement, voire d’auto-censure.

Un autre pivot de la réforme touche à la philosophie même de l’action publique. La sanction n’est plus un horizon automatique. Le législateur consacre désormais une forme de justice négociée, plus flexible, plus pragmatique, plus inspirée de certains systèmes étrangers — notamment nord-américains. Le parquet pourra proposer des accords entre les parties pour une série de délits considérés comme mineurs : vol simple, abus de confiance, violences légères…

Si un terrain d’entente est trouvé, l’affaire n’ira pas au tribunal. L’action publique s’éteint, la procédure s’arrête net. Une manière d’éviter que les tribunaux se retrouvent saturés de dossiers sans grande gravité, et surtout, de favoriser la réparation sociale plutôt que la seule punition.

Ce nouveau modèle repositionne le juge : il n’est plus l’unique destination de tout litige pénal. La justice devient un parcours à plusieurs voies, où le dialogue, la négociation, et parfois même la conciliation, prennent le pas sur l’affrontement judiciaire.

En filigrane, le Maroc avance vers un système judiciaire moins mécanique, plus raisonné, mais aussi plus exigeant. Une justice qui se veut protectrice sans être permissive. Reste à voir si les institutions, les citoyens et les acteurs du droit sauront s’y adapter avec la maturité et la lucidité nécessaires.




Lundi 17 Novembre 2025