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Sahara : Le soutien espagnol au plan d’autonomie est-il pérenne ?

Réponse d’Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Securité en Europe (IPSE).


Bien que le gouvernement espagnol ait soutenu l’initiative d’autonomie pour le Sahara, la solidité de la nouvelle position espagnole est ébranlée par l’opposition d’une grande partie de la classe politique, allant de la droite libérale à la gauche radicale. Dans sa volonté de se réconcilier avec le Maroc, le Chef du gouvernement, Pedro Sanchez, se trouve ainsi fragilisé au Parlement. Emmanuel Dupuy décortique cette situation, tout en analysant la capacité de l’Espagne à tenir son engagement vis-à-vis du Maroc, et ce, au gré des alternances politiques.



Par Anass Machloukh

Sahara : Le soutien espagnol au plan d’autonomie est-il pérenne ?
Le soutien espagnol au plan d’autonomie est-il un acquis pérenne ? Une question que se posent beaucoup d’observateurs politiques au lendemain de la visite du Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, au Maroc. Ce dernier a réitéré le soutien de son pays à l’initiative d’autonomie proposé par le Maroc comme solution définitive au conflit du Sahara. Un soutien, dont la garantie ne serait pas assurée, puisqu’il ne fait pas l’unanimité en Espagne où les formations politiques aussi bien de la majorité actuelle que de l’opposition voient d’un regard méfiant le revirement des socialistes au pouvoir sur la question du Sahara.

Dans un pays à régime parlementaire où les sensibilités politiques comptent beaucoup et où les alternances politiques sont fréquentes, la nouvelle position de Madrid sur le Sahara risque d’être balayée d’un revers de main en cas de montée au pouvoir d’une coalition hostile au Maroc.

Contacté par « L’Opinion », Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), n’écarte pas cette possibilité. Selon l’expert, fin connaisseur de la politique espagnole, Pedro Sanchez est fragilisé politiquement après son soutien au Maroc, qu’il a été incapable de justifier aux députés espagnols, y compris ceux de sa propre coalition, certes hétéroclite, mais qui le maintient au pouvoir depuis sa fragile réélection en septembre 2021.
« Il faut garder à l’esprit que le soutien espagnol à l’initiative d’autonomie ne fait pas l’unanimité, puisqu’il y a eu un vote jeudi dernier au sein des Cortes espagnol qui a mis Pedro Sanchez en difficulté. Les partis de gauche dont Podemos, la gauche républicaine de Catalogne (ERC), les nationalistes de gauche basques (Euskal Heria Bildu) et d’autres formations de gauche et d’extrême gauche ont fait valider une proposition de loi visant à soutenir la thèse de l’autodétermination au Sahara dans le cadre de l’ONU».
Explique M. Dupuy, ajoutant que cette question suscite même une tension à l’intérieur de la coalition au pouvoir pour autant que 168 députés ont voté pour cette proposition contre l’avis des socialistes.

L’hostilité à la nouvelle position espagnole transcende les clivages politiques et fédère aussi bien la droite, incarnée par la droite (Parti populaire), que l’extrême gauche qui réunit Podemos, la gauche républicaine (IR) et indépendantistes catalans (ERC) et les nationalistes basques (EH Bildu). En effet, les partis d’ultra-gauche sont parvenus à faire voter leur proposition de loi à 168 voix favorables, 118 contre et 61 abstentions. Seules les 118 membres du PSOE, s’y sont opposés tandis que 61 députés de droite du PP et centristes de Ciudadanos ont opté pour l’abstention.

« Principal opposant du PS, le Parti populaire, dirigé désormais par Alberto Núñez Feijóo, qui a succédé à Pablo Cassado, semble quant à lui opposé également au nouveau soutien espagnol au Maroc, sachant que le nouveau patron du PP n’a pas caché son hostilité à ce revirement diplomatique, en rencontrant le chef du gouvernement espagnol, avant son départ pour Le Maroc », poursuit M. Dupuy. Cela confirme que Pedro Sanchez semble fragile politiquement et a du mal à convaincre, tant ses partisans que l’opposition de l’utilité de sa démarche.

A la lumière de tout ce qui précède, il n’est pas écarté, qu’en cas d’alternance politique, la nouvelle position de l’Espagne sur le Sahara soit remise en question. Selon notre interlocuteur, ce scénario peut se produire s’il y a une coalition comprenant l’ultragauche et le parti socialiste ou une alliance entre les centristes, les nationalistes basques du PNV et le PP.

Au-delà de la classe politique, la presse espagnole a fait également fait preuve de scepticisme quant à la démarche du gouvernement espagnol. Les journaux espagnols ont d’ores et déjà commencé à évaluer les retombés de la réconciliation avec le Maroc, d’autres comme, El Espagnol, vont jusqu’à pourfendre le bilan de la visite de Pedro Sanchez, lui reprochant de n’avoir été capable d’obtenir du Maroc plus d’engagements que ce qui a été annoncé dans la déclaration conjointe.

En tout état de cause, la visite de Sanchez au Maroc a clos officiellement la page des 10 mois de crise, ouvrant ainsi un nouveau chapitre dans les relations bilatérales. Si Madrid a été si déterminée à concéder au Maroc son soutien au Sahara, c’est parce qu’elle était soucieuse de reprendre la coopération surtout dans la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la lutte contre l’immigration clandestine, estime Emmanuel Dupuy.

« La coopération migratoire et la sécurisation des frontières de Sebta et Melilia étaient l’unique soucis des autorités espagnoles qui ont concédé le soutien au plan d’autonomie en échange du renforcement de la lutte contre la migration clandestine et la réouverture des postes douaniers, afin de renforcer la politique migratoire espagnole et de facto celle de l’UE dans les deux présides », a-t-il conclu.

Rédigé par Anass Machloukh sur L'Opinion


Lundi 11 Avril 2022