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Santé publique : ces dérives qui minent la réforme


Par Dr Anwar CHERKAOUI, expert en communication médicale et journalisme santé

La scène se répète dans les couloirs, les blocs opératoires et les bureaux des hôpitaux publics.

Entre absentéisme, exercice illégal, ristournes et corruption, certaines pratiques entachent l’image du système de santé marocain et freinent sa modernisation. Des comportements déviants qui ne relèvent pas d’anecdotes isolées, mais d’un dysfonctionnement structurel, nourri par la tolérance, la faiblesse du contrôle et la lenteur administrative.



Une réalité amère mais connue :

C’est hélas une réalité amère », confie cet ancien responsable du ministère de la Santé. Car le constat est implacable : certains professionnels de santé — médecins, infirmiers ou autres profils fragilisent le système qu’ils sont censés défendre. Entre travail non déclaré, exercice privé illégal pour les praticiens du public, dérives liées au TPA ( temps plein amenagé pour les médecins), ou simples absences répétées, la liste des infractions à l’éthique professionnelle s’allonge.

L’exercice illégal : une zone grise dangereuse

Beaucoup de médecins du public interviennent discrètement dans des cliniques privées, parfois sans autorisation ni couverture juridique claire. Cette pratique, tolérée à demi-mot, met en péril la sécurité des patients et affaiblit la performance des hôpitaux publics. Elle traduit une double faille : un cadre réglementaire appliqué de manière laxiste, et un Ordre professionnel encore trop timide dans son pouvoir disciplinaire.

La corruption, mal endémique de la santé

Plus insidieuse encore, la corruption gangrène aussi bien le secteur public que le privé. Elle prend la forme de ristournes, de surfacturations, de dossiers fictifs ou de détournements de patients vers des cliniques..... Ces pratiques, souvent connues de tous mais rarement sanctionnées, sapent la confiance des citoyens envers l’hôpital et ternissent l’image de toute la profession médicale. Elles fragilisent également la gouvernance et la crédibilité des réformes engagées.

Absentéisme et exode médical : la double hémorragie

Dans de nombreux hôpitaux, l’absentéisme est devenu une normalité silencieuse. Certains praticiens cumulent fonctions publiques et activités privées, au détriment des malades laissés sans suivi. Parallèlement, la fuite des compétences s’accélère : médecins, infirmiers et techniciens partent vers le privé ou l’étranger, séduits par de meilleures conditions de travail. Le secteur public, lui, peine à retenir ses talents et à assurer une présence continue sur le terrain.

Des réformes en marche, mais fragiles

Le ministère de la Santé a lancé plusieurs chantiers : renforcement de la transparence, gouvernance rénovée, digitalisation du suivi du personnel, contrôle accru des absences et des autorisations. Mais, comme le souligne cet ancien cadre du ministère de la Santé, aucune réforme structurelle ne réussira sans réforme morale. La lutte contre la corruption et la déviance professionnelle exige un engagement collectif autour de valeurs de probité, de responsabilité et de service public.

Trois leçons pour l’administration actuelle :

1. Mettre fin à la tolérance silencieuse. Les règles existent, mais leur application reste sélective. Il faut des sanctions exemplaires et une traçabilité des activités des praticiens du public.
2. Réconcilier les soignants avec le service public. Améliorer les salaires, les conditions d’exercice et la reconnaissance du mérite est la seule manière de rendre l’intégrité durable.
3. Institutionnaliser la transparence. La publication régulière d’indicateurs de performance, la déclaration d’intérêts et la transparence des postes de responsabilité peuvent restaurer la confiance.

Un appel à la responsabilité partagée :

Réformer le système de santé, ce n’est pas seulement construire des hôpitaux ou acheter des équipements. C’est surtout reconstruire la confiance. Tant que persisteront l’absentéisme, la complaisance et les privilèges déguisés, la réforme restera incomplète, quelle que soit la qualité des lois.

Car au fond, conclut cet ancien cadre, « la santé publique ne se réforme pas par des décrets, mais par la conscience morale de ceux qui la servent. »

Par Dr Anwar CHERKAOUI

Jeudi 23 Octobre 2025



Rédigé par Salma Chmanti Houari le Jeudi 23 Octobre 2025