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Secteur minier au Maroc


Rédigé par Salma Chmanti Houari le Vendredi 28 Novembre 2025

Entre ambition industrielle, ESG et risques de réputation :

Le Maroc confirme en 2025 sa volonté de faire du secteur minier un pilier de souveraineté industrielle. Au cœur de la stratégie : montée en valeur (transformations locales), leadership sur les normes ESG africaines et développement des filières critiques (phosphates, minéraux pour la transition).

Mais le mouvement s’accompagne de risques sociaux, environnementaux et géopolitiques que le pays devra gérer pour transformer l’élan en succès durable.



Le moment : quoi de neuf en 2025 ?

Secteur minier au Maroc
L’édition 2025 de l’IMC (International Mining Congress, Marrakech) a été un tournant : elle a servi de plate-forme pour promouvoir l’intégration régionale, l’industrialisation locale et l’adhésion à un cadre ESG africain, formalisé dans la Déclaration de Marrakech.

Le message officiel est clair : le Maroc veut être la vitrine africaine d’un « mining » responsable, capable d’attirer des capitaux longs et conditionnés à des standards environnementaux et sociaux.

Parallèlement, des groupes nationaux majeurs notamment l’OCP poussent des projets d’envergure (corridor logistique Mzinda-Safi, montée en capacité, intégration industrielle) et nouent des partenariats pour le déploiement d’infrastructures bas-carbone.

Ces annonces visent à transformer la rente minérale en chaînes locales à plus forte valeur ajoutée.

Forces réelles : ressources, position stratégique et pipeline industriel

Sur le plan des matières premières, le Maroc occupe une place dominante, en particulier pour le phosphate : la part africaine et mondiale du pays en fait un acteur incontournable pour les marchés agricoles et industriels (phosphates et dérivés).

Cette position confère un pouvoir de négociation pour structurer filières et transformations (engrais, chimie verte, potentiellement hydrogène pour électrolyse industrielle).

Sur la scène régionale, le pays capitalise sur : un écosystème industriel déjà existant, une volonté politique affichée de monter en gamme, des projets d’infrastructure qui améliorent l’accès aux ports et corridors logistiques (utile notamment pour les exportations vers l’UE et l’Afrique).

Ces atouts attirent investisseurs et partenariats technologiques.

Les leviers ESG : opportunité si la mise en œuvre suit

L’adoption d’un cadre ESG continental (Marrakech Declaration / African ESG Framework) peut débloquer des financements « verts » et améliorer l’attractivité des projets marocains auprès d’investisseurs conscients des critères durables.

Le Maroc travaille aussi à aligner ses critères nationaux sur des standards internationaux (IRMA, TCFD) pour faciliter l’accès au capital et assurer des chaînes d’approvisionnement responsables.

Mais l’enjeu réel n’est pas la signature d’un cadre : il est dans l’opérationnalisation indicateurs locaux, contrôle indépendant, transparence des contrats, accès aux recours pour les communautés.

Sans ces garanties, les promesses ESG resteront un argument commercial sans impact réel.

Risques et vulnérabilités : ce qui pourrait fragiliser la montée en valeur

Trois risques structurels émergent clairement.

a) Risques sociaux et de travail. Des ONG et enquêtes récentes pointent des problèmes de santé au travail, de sous-traitance et de conditions sur certains sites phosphatiers. Ces alertes pèsent sur la réputation des entreprises et sur leur capacité à obtenir des financements conditionnels.

b) Enjeux environnementaux et gestion de l’eau. L’extraction phosphatière est intensément consommatrice d’eau et d’énergie. Les outils d’analyse (WEF-P, études locales) montrent des arbitrages complexes entre eau, énergie et sécurité alimentaire dans les zones minières (Khouribga notamment). Une mauvaise gestion locale peut générer tensions sociales et coûts réglementaires.

c) Géopolitique et réputation internationale. Les controverses autour des exportations depuis le Sahara occidental (questions juridiques et éthiques) exposent le secteur à des risques commerciaux et juridiques à l’export, notamment avec acheteurs sensibles aux chaînes d’approvisionnement responsables.

Des rapports internationaux ont documenté ces risques, qu’il faudra adresser pour pérenniser certains marchés.

Ce qu’il faut faire : recommandations pragmatiques (court et moyen terme)

Pour transformer l’ambition en trajectoire durable, voici des priorités concrètes :

1. Transparence & gouvernance : publier les clauses-cadres, audits indépendants et rapports ESG vérifiés; créer un registre public des fournisseurs et des contrats de sous-traitance pour limiter les dérives.

2. Financement conditionnel : lier l’accès au financement à jalons ESG mesurables; emplois locaux formels, mesures de gestion de l’eau, plans de réhabilitation et fonds d’indemnisation communautaire.

3. Montée en valeur locale : accélérer le traitement et la transformation locale (fertilisants, chimie verte) via incitations fiscales ciblées et partenariats industriels, pour capturer plus de VA sur le sol marocain.

4. Dialogue territorial et social : institutionnaliser des mécanismes de participation des communautés (comités de suivi locaux, médiation indépendante) pour réduire les conflits et anticiper les impacts sociaux.

5. Clarifier le statut des exportations sahraouies : engager des démarches de conformité légale et commerciale pour rassurer marchés et partenaires, réduire les risques commerciaux.

Opportunité historiquement réelle, mais fragile

Le Maroc dispose des ressources et d’un momentum politique pour asseoir un modèle minier plus intégré, plus vert et plus rentable localement. Les annonces de 2025 (IMC, Mzinda-Safi, cadre ESG) en font un moment opportun.

Mais la route est étroite : sans mise en œuvre rigoureuse des standards ESG, transparence contractuelle et dialogue social, l’élan industriel risque de buter sur des oppositions locales, des risques juridiques et une perte d’accès aux capitaux verts.

En bref : la stratégie minière marocaine en 2025 est ambitieuse; sa réussite dépendra de sa capacité à transformer la parole en preuves tangibles.




Vendredi 28 Novembre 2025