Drones et dénégation: récit d’une frappe sous cessez-le-feu
Mardi, au cœur d’une trêve censée apaiser, le bourdonnement des rotors a tranché l’air de Shuja’iyya. Dans l’est de Gaza, des habitants revenus à pas comptés pour ausculter leurs maisons n’ont pas achevé l’inventaire des pierres et des souvenirs. Selon des sources médicales de l’hôpital al-Ahli, cinq d’entre eux ont été fauchés par des tirs attribués à des drones de type quadricoptère, ces appareils capables de stationner, de viser et de frapper avec une précision qui glace. Au sud, à Khan Younès, d’autres tirs ont parachevé la journée: six morts en tout, des blessés hâtivement évacués, et une question lancinante dans les couloirs comme dans les foyers: que vaut une trêve si elle ne protège pas l’instant de silence qu’elle promet?
La version de l’armée israélienne se veut un garde-fou: des “suspects” auraient tenté de franchir une “ligne jaune”, périmètre de sécurité tacite qui sépare l’acceptable du létal. “Un tir pour lever la menace”, résume le communiqué. Mais la menace, dans les ruines, est une silhouette qui trébuche, un geste mal lu, un mouvement trop proche d’une frontière sans contours publics. Entre les récits, l’irréconciliable: d’un côté, des civils revenus chercher un acte de naissance ou des vêtements; de l’autre, un théâtre d’opérations où chaque présence peut être interprétée comme un risque imminent.
Dans les salles saturées d’al-Ahli, l’urgence a des accents d’épuisement. Les équipes enchaînent les prises en charge, interrogent les témoins, consignent les heures. Les proches scrutent des listes griffonnées, espérant une orthographe, redoutant une confirmation. Au-delà du décompte, c’est la confiance dans la trêve qui se délite: chaque balle tirée pendant l’accalmie hypothèque le prochain échange de garanties, le prochain couloir humanitaire, la prochaine journée où l’on pourra marcher sans lever les yeux.
À cette trame déjà lourde s’ajoute un nom qui circulait depuis des mois sur les réseaux, dans les fils d’actualité et les reportages de fortune: Saleh (Salah) Aljafarawi. Journaliste et créateur de contenus palestinien, il a été abattu à Gaza City, dans le quartier de Sabra, alors qu’il couvrait des affrontements entre une milice locale et des unités du Hamas, selon plusieurs médias et témoins. Des sources palestiniennes décrivent cette milice comme “liée” ou “adossée” à Israël; une caractérisation contestée qui doit être rapportée comme telle et attribuée à ces mêmes sources. Les journaux et chaînes internationaux, d’Al Jazeera à Middle East Eye, d’Arab News à la presse généraliste, ont relaté sa mort, sa trajectoire fulgurante de reporter de terrain et d’influenceur, et les circonstances encore débattues d’une exécution à bout portant au milieu d’une mêlée où l’information passe par des téléphones et des vies trop brèves
Raconter sa fin, c’est dire la fragilité de ceux qui documentent le vacillement d’une trêve et l’érosion d’un front. Un journaliste n’est pas un blindé: il avance à découvert, sa caméra pour écusson, son nom pour passeport. Le droit international rappelle des évidences que les guerres oublient: la protection des civils, la distinction entre combattants et non-combattants, la proportionnalité comme boussole. Une trêve ne suspend pas ces principes; elle devrait les raffermir. Or, au fil des heures, les zones grises s’étendent, comme si la “ligne jaune” invoquée par les militaires s’était répandue sur la carte jusqu’à engloutir les quartiers, les marchés, les trajets qui mènent aux hôpitaux.
À Gaza, on finit par apprendre une géographie des risques qui ne figure sur aucun atlas: la distance entre deux tirs, le temps d’un drone à l’autre, la rumeur avant la sirène. Ce mardi, cette géographie s’est refermée sur six anonymes et sur un nom connu, celui d’un journaliste qui filmait au plus près la fragilité des trêves. On pourra toujours disputer les mots, “suspects”, “menace”, “milice”, mais le réel, lui, oppose une évidence brutale: sans garanties observables, une trêve n’est qu’un souffle retenu trop longtemps, un silence tendu où la mort parle la première
La version de l’armée israélienne se veut un garde-fou: des “suspects” auraient tenté de franchir une “ligne jaune”, périmètre de sécurité tacite qui sépare l’acceptable du létal. “Un tir pour lever la menace”, résume le communiqué. Mais la menace, dans les ruines, est une silhouette qui trébuche, un geste mal lu, un mouvement trop proche d’une frontière sans contours publics. Entre les récits, l’irréconciliable: d’un côté, des civils revenus chercher un acte de naissance ou des vêtements; de l’autre, un théâtre d’opérations où chaque présence peut être interprétée comme un risque imminent.
Dans les salles saturées d’al-Ahli, l’urgence a des accents d’épuisement. Les équipes enchaînent les prises en charge, interrogent les témoins, consignent les heures. Les proches scrutent des listes griffonnées, espérant une orthographe, redoutant une confirmation. Au-delà du décompte, c’est la confiance dans la trêve qui se délite: chaque balle tirée pendant l’accalmie hypothèque le prochain échange de garanties, le prochain couloir humanitaire, la prochaine journée où l’on pourra marcher sans lever les yeux.
À cette trame déjà lourde s’ajoute un nom qui circulait depuis des mois sur les réseaux, dans les fils d’actualité et les reportages de fortune: Saleh (Salah) Aljafarawi. Journaliste et créateur de contenus palestinien, il a été abattu à Gaza City, dans le quartier de Sabra, alors qu’il couvrait des affrontements entre une milice locale et des unités du Hamas, selon plusieurs médias et témoins. Des sources palestiniennes décrivent cette milice comme “liée” ou “adossée” à Israël; une caractérisation contestée qui doit être rapportée comme telle et attribuée à ces mêmes sources. Les journaux et chaînes internationaux, d’Al Jazeera à Middle East Eye, d’Arab News à la presse généraliste, ont relaté sa mort, sa trajectoire fulgurante de reporter de terrain et d’influenceur, et les circonstances encore débattues d’une exécution à bout portant au milieu d’une mêlée où l’information passe par des téléphones et des vies trop brèves
Raconter sa fin, c’est dire la fragilité de ceux qui documentent le vacillement d’une trêve et l’érosion d’un front. Un journaliste n’est pas un blindé: il avance à découvert, sa caméra pour écusson, son nom pour passeport. Le droit international rappelle des évidences que les guerres oublient: la protection des civils, la distinction entre combattants et non-combattants, la proportionnalité comme boussole. Une trêve ne suspend pas ces principes; elle devrait les raffermir. Or, au fil des heures, les zones grises s’étendent, comme si la “ligne jaune” invoquée par les militaires s’était répandue sur la carte jusqu’à engloutir les quartiers, les marchés, les trajets qui mènent aux hôpitaux.
À Gaza, on finit par apprendre une géographie des risques qui ne figure sur aucun atlas: la distance entre deux tirs, le temps d’un drone à l’autre, la rumeur avant la sirène. Ce mardi, cette géographie s’est refermée sur six anonymes et sur un nom connu, celui d’un journaliste qui filmait au plus près la fragilité des trêves. On pourra toujours disputer les mots, “suspects”, “menace”, “milice”, mais le réel, lui, oppose une évidence brutale: sans garanties observables, une trêve n’est qu’un souffle retenu trop longtemps, un silence tendu où la mort parle la première



