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Souveraineté économique : les secteurs où l’État ne cédera rien


le Vendredi 18 Juillet 2025



Souveraineté économique : les secteurs où l’État ne cédera rien
Face aux chocs mondiaux, à la compétition stratégique et aux impératifs de résilience, l’État marocain redéfinit ses lignes rouges. Certains secteurs resteront non négociables.
Dans un monde secoué par les pandémies, les conflits géopolitiques, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement et les dérèglements climatiques, la souveraineté économique est redevenue un mot-clé dans toutes les capitales. Le Maroc ne fait pas exception. Le discours est clair : l’ouverture au privé et aux capitaux étrangers, oui, mais pas à n’importe quel prix. Il existe des secteurs où l’État marocain entend conserver un contrôle stratégique, via ses entreprises publiques ou ses participations directes.

​L’État stratège face à la vulnérabilité

La crise du Covid-19, la guerre en Ukraine, la flambée des prix de l’énergie ou encore les menaces sur l’eau ont agi comme des électrochocs. Ces épisodes ont mis en lumière la dépendance excessive de certains pays à l’extérieur pour des biens ou des services vitaux.

En réponse, le Maroc, à travers la réforme de sa politique actionnariale et l’élaboration d’une doctrine claire par l’Agence Nationale de Gestion Stratégique des Participations de l'Etat (ANGSPE), commence à identifier les secteurs “souverains” où le désengagement de l’État est exclu, du moins sous sa forme brutale.

​Santé, eau, énergie, numérique : les piliers de la souveraineté

Quatre piliers structurent désormais la stratégie marocaine de souveraineté.

La santé, d’abord : la pandémie a mis en évidence la nécessité de préserver un appareil public capable de produire, approvisionner et distribuer médicaments, équipements médicaux et services hospitaliers.Des acteurs comme Sothema, partiellement public, ou les futurs hubs pharmaceutiques resteront sous contrôle étatique renforcé.

L’eau, ensuite : ressource critique dans un pays semi-aride, sa gestion ne peut être abandonnée aux seules logiques de marché. L’ONEE, les agences de bassin et les opérateurs publics demeurent les garants d’un accès équitable et durable à l’eau potable et agricole.

Vient aussi l’énergie : dans un contexte de transition verte et d’instabilité énergétique mondiale, l’État entend maîtriser sa stratégie de production, de stockage et d’interconnexion, via Masen, l’ONEE et les sociétés en charge des infrastructures stratégiques.

Enfin, le numérique, véritable métasecteur, impose de contrôler les données, les infrastructures de connectivité telles que les data centers, la fibre et le cloud souverain, ainsi que les identités numériques et les systèmes critiques, conditions essentielles de souveraineté technologique et démocratique.

Souveraineté ne rime pas avec fermeture

Précision importante : l’objectif n’est pas de bloquer les investissements privés ni d’ériger des barrières protectionnistes, mais plutôt d’instaurer des garde-fous, des règles d’or et des partages intelligents du pouvoir.

Concrètement, cela peut se traduire par des seuils de participation publique incompressibles dans certains actifs, un droit de veto stratégique de l’État dans les fusions ou acquisitions, la création de coentreprises publiques-privées assorties de clauses de réversibilité, ou encore l’obligation de produire localement certains biens jugés essentiels.

En somme, une souveraineté souple mais vigilante, ajustée aux enjeux de sécurité nationale, de résilience et d’indépendance technologique.

Le rôle central de l’ANGSPE

Dans cette architecture, l’ANGSPE devient l’instrument de traduction concrète de la souveraineté économique. C’est à elle qu’il revient d’identifier les actifs stratégiques non cessibles, d’évaluer les risques liés à la privatisation ou à l’ouverture du capital, d’encadrer les partenariats étrangers dans les secteurs sensibles et de piloter les investissements souverains à long terme, en cohérence avec les orientations royales.

​Un levier de légitimité et de confiance

La souveraineté économique n’est pas seulement un impératif technocratique. C’est aussi une réponse aux attentes sociales, notamment dans les territoires vulnérables. Garantir un accès stable à l’eau, à l’énergie, à la santé et à l’internet, c’est renforcer le contrat social.

Cela permet aussi de redonner de la légitimité à l’État investisseur, souvent critiqué pour ses lenteurs ou ses rentes. En recentrant ses efforts sur les secteurs critiques, l’État montre qu’il est capable de protéger, de prévoir, d’anticiper.

​ Maîtriser l’essentiel pour libérer le reste

En affirmant ses lignes rouges stratégiques, l’État marocain clarifie sa posture : il n’est pas là pour tout faire, ni pour tout posséder. Mais il entend maîtriser les infrastructures vitales, là où la défaillance du marché serait catastrophique.

Ce recentrage est une chance pour libérer les énergies privées dans les secteurs ouverts, tout en gardant le cap sur l’intérêt général. Encore faut-il que cette doctrine de souveraineté soit appliquée avec rigueur, transparence et cohérence.




Vendredi 18 Juillet 2025