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Sponsoring électoral : le Maroc à l’heure de l’égalitarisme numérique et de donation


Rédigé par le Samedi 6 Décembre 2025



L’air du temps politique a parfois un parfum de déjà-vu, mais ce qui se joue en ce moment autour du sponsoring numérique n’a rien d’un éternel retour

Sponsoring électoral : le Maroc à l’heure de l’égalitarisme numérique et de donation
Le Maroc entre dans une phase où le politique découvre enfin que l’espace public n’est plus une place, mais un algorithme ; plus une tribune, mais une régie publicitaire. Et face à cette nouvelle géopolitique de l’influence, l’État affiche une volonté claire : plus d’égalitarisme, et beaucoup plus de transparence.

Depuis 2021, les formations politiques ont appris à muscler leur présence numérique. Les partis les mieux dotés — en têtes d’affiche, en machines de communication, en budgets — ont pris une longueur d’avance qui s’est traduite en visibilité, en notoriété et parfois même en dynamique électorale.

Le RNI domine largement cette cartographie : plus de 112.000 dollars investis en ces derniers trois mois, là où certains partis de l’opposition ne dépassent même pas les 100 dollars. Pour un dollar dépensé par toute l’opposition réunie, le RNI en investit 750. Une disproportion qui interroge la nature même de l’équité électorale. 

Dans cet univers où celui qui paie est celui qui parle, l’État a décidé de resserrer la bride. La réforme 53.25, adoptée en commission, introduit un principe simple mais stratégique : interdiction des publications sponsorisées sur des plateformes étrangères.

Objectif affiché : contrer toute ingérence extérieure dans la campagne marocaine.
Objectif implicite : rééquilibrer un terrain de jeu où la puissance financière tend à devenir un substitut au militantisme et à l’implantation.

​Le nerf invisible de la guerre électorale : les dons privés aux partis

La question du sponsoring numérique ne peut d’ailleurs être dissociée d’un autre chantier sensible : les donations des entreprises et des personnes physiques aux partis politiques. Le Maroc a longtemps toléré un système où les contributions privées alimentaient les caisses partisanes sans toujours offrir la transparence nécessaire. La loi fixe pourtant des plafonds stricts et interdit tout financement étranger — un principe essentiel pour préserver la souveraineté politique. Mais entre les dons déclarés, les contributions “amicales”, les aides matérielles, les prestations de communication “offertes” et les flux difficiles à tracer, les zones grises persistent.

La réforme 53.25, en rendant les partis responsables des dépenses non déclarées de leurs candidats, tente de fermer ces brèches. Mais elle laisse intacte la grande question : où s’arrête le soutien légitime, et où commence l’influence achetée ?

Tant que les sources, les montants et les contreparties éventuelles des dons ne seront pas publiés dans un registre accessible et vérifiable, l’argent politique continuera de circuler dans l’ombre. L’argent ne disparaît pas ; il change seulement de porte d’entrée. Et l’électeur de 2026, désormais familier des logiques de transparence, ne se contentera plus du flou actuel.

L’interdit posé par la réforme, en réalité, éclaire surtout un manque : la loi fixe des limites, mais laisse de larges zones d’ombre. À commencer par la temporalité. Cette interdiction vaut-elle uniquement lors de la campagne officielle ? S’étend-elle à toute l’année ? Et comment contrôler une pratique qui, par nature, s’exécute en quelques clics, depuis n’importe quel pays, via n’importe quel moyen de paiement ?

Ce flou ne doit toutefois pas masquer une transformation de fond : le Maroc veut moraliser la compétition, pas l’étouffer.

Le gouvernement lui-même est d'ailleurs l’un des plus gros annonceurs politiques sur Meta : 75.000 dollars investis par la page du gouvernement, auxquels s’ajoutent les budgets de plusieurs ministères. Ce qui montre une évidence : l’enjeu n’est pas d’interdire la communication politique, mais d’encadrer sa source, sa traçabilité et sa sincérité. 

Le second volet, celui de la lutte contre les fake news, ajoute une couche de complexité. L’article 51 bis prévoit des sanctions lourdes contre la fabrication de contenus mensongers liés aux élections, y compris via l’IA. On entre dans une ère où le droit marocain reconnaît enfin que la désinformation n’est pas un simple bruit de fond, mais un instrument de sabotage démocratique.

Ici encore, le texte navigue entre rigueur et prudence : il retire le mot “rumeurs”, trop large, mais maintient une logique de protection du processus électoral. Dans un pays où les campagnes sont courtes, les tensions parfois vives et les réseaux sociaux volatils, c’est une tentative d’éviter que la prochaine élection ne devienne une bataille d’hallucinations numériques. 

À l’horizon 2026, le Maroc construit donc une doctrine : pas de sponsoring venu de l’étranger, pas d’argent privé dissimulé, pas de candidats fantphantômes, pas de contenus toxiques glissés dans les flux sociaux.

Une démocratie propre, en théorie.
Mais la pratique rappelle qu’une loi peut dire beaucoup et régler peu si les mécanismes de contrôle ne suivent pas.

Les plateformes sont internationales ; la propagande ne connaît pas de frontières ; l’ingéniosité des équipes de communication dépasse souvent celle des régulateurs. Le Maroc pose les garde-fous, mais doit encore bâtir l’infrastructure normative : définition juridique de la publicité politique numérique, obligations d’archivage, régulation du microciblage, coopération obligatoire des plateformes.

En vérité, le pays avance. Lentement, mais dans la bonne direction.
Et c’est cela qui, en creux, explique la volonté affichée d’“égalitarisme et transparence”.

Les élections ne peuvent pas devenir un concours budgétaire. Les réseaux sociaux ne doivent pas transformer les urnes en marketplace. Et l’algorithme ne doit jamais finir par remplacer la confiance.

Dans une région où les turbulences politiques et informationnelles sont devenues la norme, cet effort de moralisation n’est pas un luxe : c’est une condition de stabilité.

Les élections 2026 seront peut-être les premières où l’on verra moins d’argent visible, mais plus d’enjeux assumés.
Un scrutin où l’on saura enfin qui parle, pour qui, et avec quelles ressources.
Un scrutin où la transparence redeviendra un outil de liberté, pas un mot usé dans les discours officiels.




Samedi 6 Décembre 2025