La finale féminine a mis en lumière une Jefferson-Wooden irrésistible, accélération interminable, relâchement presque insolent
Mais sa victoire souligne aussi un vide : la légendaire Shelly-Ann Fraser-Pryce tire sa révérence, Marie-Josée Ta Lou ressent le poids des années, et la relève jamaïcaine reste en rodage. Chez les hommes, le doublé Seville-Thompson rappelle la grande époque de Kingston, mais aucun d’eux n’a encore l’aura planétaire d’un Usain Bolt. Noah Lyles, champion olympique en titre, se contente du bronze : le trône demeure vacant.
Pourtant, la densité n’a jamais été aussi forte
Cinq Africains en finale du 100 m masculin, un contingent qu’on n’avait plus vu depuis longtemps. Les jeunes pousses, de Tina Clayton à Gift Leotlela, frappent déjà à la porte. Mais ce nivellement brouille le récit : l’athlétisme a toujours vécu d’icônes capables d’aimanter le grand public, de Carl Lewis à Bolt. Quand le spectacle ne raconte plus qu’un duel anonyme, la dramaturgie perd de sa force.
Et puis, il y a un paradoxe qui saute aux yeux depuis le Maroc
L’Afrique de l’Ouest et australe place ses sprinteurs en finale, mais le Maghreb brille ailleurs. Les tribunes applaudissent Soufiane El Bakkali, roi du 3000 m steeple, ou les demi-fondeurs marocains et algériens qui tiennent la distance. En revanche, aucun visage maghrébin sur la ligne droite reine.
Pourquoi nos pays, capables de produire des coureurs d’endurance hors pair, peinent-ils à façonner des spécialistes du 100 m ? Est-ce une question de culture sportive, d’infrastructures, de filières de formation ? Ou simplement de tradition qui oriente les talents vers le demi-fond dès l’adolescence ? Le constat interroge d’autant plus que le sprint africain, lui, s’élargit : la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud ou le Botswana envoient régulièrement leurs éclairs dans les finales mondiales.
Pourquoi nos pays, capables de produire des coureurs d’endurance hors pair, peinent-ils à façonner des spécialistes du 100 m ? Est-ce une question de culture sportive, d’infrastructures, de filières de formation ? Ou simplement de tradition qui oriente les talents vers le demi-fond dès l’adolescence ? Le constat interroge d’autant plus que le sprint africain, lui, s’élargit : la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud ou le Botswana envoient régulièrement leurs éclairs dans les finales mondiales.
Cette absence ne signifie pas que le sprint décline.
Les performances brutes se densifient. Le 9’’58 de Bolt reste une citadelle, mais Seville, Thompson ou Lyles flirtent régulièrement avec les 9’’80. Ce n’est pas un recul, c’est un changement d’époque. Les nouvelles pointes bouleversent le demi-fond, pas la ligne droite. Les entraîneurs privilégient la régularité au record isolé. Et les sprinteurs, plus prudents, s’évitent en meeting pour se préserver, privant le public de ces duels qui forgent les légendes. La discipline paie le prix d’une professionnalisation qui protège les corps mais dilue le récit.
Pendant ce temps, d’autres épreuves grignotent la lumière
Le demi-fond flambe, les records tombent, Duplantis réinvente la perche, Jimmy Gressier électrise le 10 000 m. Même la marche, jadis ignorée, offre des scénarios haletants. L’athlétisme mondial ne se résume plus à la ligne droite : Tokyo en est la preuve éclatante.
Faut-il donc parler d’un sprint « vers l’arrière » ? Pas vraiment
Le spectacle change de nature. À l’époque de Bolt, on savait le vainqueur avant même le coup de pistolet. Aujourd’hui, chaque finale est une énigme. Les puristes y voient une forme de renaissance : plus de suspense, moins de soupçons de dopage, davantage de méritocratie. Mais le sport-spectacle, lui, se nourrit de figures qui dépassent la piste. Pour l’instant, ni Jefferson-Wooden, ni Seville, ni Lyles n’ont encore imposé une signature planétaire.
Le sprint mondial n’est donc pas en marche arrière, il est en attente.
Il patiente, dense et imprévisible, avant qu’un nouveau champion ne vienne rallumer l’imaginaire. Et, qui sait, peut-être qu’un jour, un jeune athlète maghrébin choisira la ligne droite plutôt que le dernier tour de piste, rappelant que l’Afrique du Nord peut aussi produire des éclairs. La prochaine fulgurance viendra peut-être de là où on l’attend le moins.
Par Kamal El Hassane
Par Kamal El Hassane