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Tout est dit, mais rien n’est entendu : le paradoxe du savoir à l’ère de l’intelligence artificielle


Rédigé par le Dimanche 27 Juillet 2025

À l’heure où l’intelligence artificielle actuelle et surtout les suivantes redéfinit notre rapport au savoir, une étrange ironie s’installe : jamais l’humanité n’a eu autant accès à la connaissance, et pourtant, jamais elle ne l’a si peu comprise. Comme le dit Alain Bauer : « Tout est dit, tout est écrit. Les brèvets sont déjà là, mais les gens ne lisent pas ». Une analyse de cette époque où l'information abonde, mais où le sens s'efface.



Savoir sans lire, lire sans comprendre

Tout est dit, mais rien n’est entendu : le paradoxe du savoir à l’ère de l’intelligence artificielle
L’époque actuelle est celle d’une saturation informationnelle. Chaque jour, des millions de contenus sont publiés : articles, tweets, vidéos explicatives, analyses de fond, commentaires et résumés. Tout est déjà là. Tout a été dit, écrit, même anticipé. Comme une encyclopédie vivante qui ne cesse de s’actualiser. Mais ce savoir ne touche plus.

Pourquoi ? Parce que nous ne lisons plus vraiment. Pire : nous croyons savoir sans avoir jamais pris la peine d’apprendre. Comme si la proximité du savoir suffisait à valider sa possession. Alain Bauer, criminologue et intellectuel pragmatique, pose cette vérité crue : « Les gens sont des sachants sans savoir. » Un diagnostic lapidaire mais lucide.

Dans ce paysage saturé de contenus, l’IA vient bouleverser les règles. Elle compile, analyse, prédit, synthétise — à une vitesse qui défie l’entendement humain. Ce que des générations entières de chercheurs mettaient des années à produire, une IA peut désormais l’agréger en quelques secondes.

Mais là encore, paradoxe : alors que l’IA démultiplie l'accès à l'information, elle rend l’effort intellectuel presque inutile. Loin d’élever le niveau global de compréhension, elle renforce la paresse cognitive. La majorité consulte ChatGPT ou Google comme on consulterait un oracle, sans chercher à comprendre le processus, sans esprit critique. Résultat : une illusion de savoir plus qu’un savoir réel.

Et comme le souligne Bauer : la seule vraie surprise, c’est la vitesse à laquelle cette transformation s’opère.

L’ancienne hiérarchie du savoir – lente, verticale, académique – a été balayée. Aujourd’hui, le savoir est fluide, horizontal, partagé en fragments épars. Une brève TikTok peut remplacer une conférence. Une infographie vaut plus qu’un livre. Le résumé prévaut sur l’analyse. Le snack content sur le contenu long.

Et pourtant, tout est là. Les avertissements sur le climat, sur les manipulations politiques, sur les inégalités systémiques, les risques technologiques, les dérives de l’IA... Tout est écrit, documenté, archivé. Mais on ne lit pas. Ou on lit mal. Ou trop vite. Ou on passe à autre chose après trois secondes.


Ce désengagement vis-à-vis du savoir n’est pas qu’un simple effet de mode. Une fatigue informationnelle, un choix ou un symptôme ? Il peut aussi être lu comme un symptôme collectif : celui d’une fatigue, d’une lassitude, d’un trop-plein. À force d’être bombardés d’alertes, de notifications et de nouveautés, beaucoup préfèrent l’abandon. Une forme de renoncement éclairé : puisque je ne peux tout savoir, à quoi bon savoir quoi que ce soit ?

Mais cette position passive est dangereuse. Car dans un monde où l’IA pense pour nous, celui qui ne lit pas, celui qui ne doute pas, celui qui ne remet pas en question — devient manipulable. Docile. Prêt à gober n’importe quel prompt généré par un algorithme, sans recul.

Face à cette époque où le bruit écrase le sens, lire devient un acte de résistance. Comprendre, contextualiser, prendre le temps, revenir aux textes, creuser une idée jusqu’à sa moelle… Ce sont des gestes presque politiques.

C’est là que la phrase d’Alain Bauer prend tout son relief : tout est déjà là. Ce n’est pas de nouvelles révélations dont nous avons besoin, mais de relecture. Pas de prophéties, mais d’attention. L’ère de l’IA ne sera pas celle de la lucidité automatique, mais celle du discernement humain.

​Le défi du discernement à l’ère des machines

Nous ne manquons ni d’informations, ni de technologies, ni même de talents. Ce qui manque aujourd’hui, c’est une volonté lucide de comprendre. Le savoir est partout, littéralement à portée de clics. Ce qui fait défaut, c’est l’effort de lecture, l’endurance intellectuelle, la curiosité authentique.

Comme un avertissement discret, la voix d’Alain Bauer résonne comme un écho du bon sens : tout est dit, tout est écrit, mais seuls ceux qui lisent voient venir les tempêtes.




Dimanche 27 Juillet 2025