Le signal d’alarme de la Banque mondiale
La Banque mondiale vient de jeter un pavé dans la mare. Dans son rapport « Adopter et façonner le changement : le capital humain au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à un tournant évolutif », l’institution internationale ne mâche pas ses mots : les pays de la région MENA, dont le Maroc, courent droit vers une crise de leurs systèmes de retraite. La démographie évolue à une vitesse fulgurante : l’espérance de vie moyenne y atteint désormais 74 ans, alors que l’âge effectif de départ à la retraite stagne autour de… 54 ans.
Cette équation est intenable. Dans trente ans, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans devrait plus que doubler, passant du simple défi social à une bombe économique. Pour la Banque mondiale, la conclusion est claire : il faudrait envisager de reculer l’âge légal de départ jusqu’à 70 ans pour espérer maintenir l’équilibre des caisses. Une suggestion qui, dans un pays où la jeunesse peine déjà à trouver un emploi stable, sonne comme une provocation.
Cette équation est intenable. Dans trente ans, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans devrait plus que doubler, passant du simple défi social à une bombe économique. Pour la Banque mondiale, la conclusion est claire : il faudrait envisager de reculer l’âge légal de départ jusqu’à 70 ans pour espérer maintenir l’équilibre des caisses. Une suggestion qui, dans un pays où la jeunesse peine déjà à trouver un emploi stable, sonne comme une provocation.
Le cas marocain : réformes entamées mais inachevées
Le Maroc n’est pas resté inactif. Depuis une dizaine d’années, plusieurs réformes ont été lancées pour retarder l’âge de départ et renforcer les caisses. On parle souvent du fameux « triangle maudit » :
le relèvement progressif de l’âge de la retraite à 63 ans (et possiblement 65 dans les prochains projets de loi) ;
la réduction progressive des pensions, notamment dans le régime des pensions civiles ;
et l’augmentation des cotisations, autant pour les salariés que pour les employeurs.
Ces mesures, prises une à une, ont été difficiles à avaler par les travailleurs. Elles ont nourri un sentiment d’injustice, d’autant que les inégalités restent criantes entre les régimes. Mais aux yeux de la Banque mondiale, ces ajustements ne sont pas suffisants.
Selon elle, seul un passage à 70 ans pourrait réellement garantir la « soutenabilité » du système. Pourquoi ? Parce que l’espérance de vie en bonne santé est estimée à 63,7 ans au Maroc. Autrement dit, on suggère aux Marocains de travailler presque jusqu’à leur dernière énergie.
le relèvement progressif de l’âge de la retraite à 63 ans (et possiblement 65 dans les prochains projets de loi) ;
la réduction progressive des pensions, notamment dans le régime des pensions civiles ;
et l’augmentation des cotisations, autant pour les salariés que pour les employeurs.
Ces mesures, prises une à une, ont été difficiles à avaler par les travailleurs. Elles ont nourri un sentiment d’injustice, d’autant que les inégalités restent criantes entre les régimes. Mais aux yeux de la Banque mondiale, ces ajustements ne sont pas suffisants.
Selon elle, seul un passage à 70 ans pourrait réellement garantir la « soutenabilité » du système. Pourquoi ? Parce que l’espérance de vie en bonne santé est estimée à 63,7 ans au Maroc. Autrement dit, on suggère aux Marocains de travailler presque jusqu’à leur dernière énergie.
Les zones d’ombre et les vraies questions
Cette proposition soulève des interrogations lourdes. Qui peut sérieusement imaginer un ouvrier du bâtiment porter des sacs de ciment à 68 ans ? Qui peut demander à une ouvrière agricole de continuer à travailler aux champs alors que ses articulations sont déjà usées depuis longtemps ?
La question n’est pas que mathématique. Elle est profondément sociale et humaine. Derrière les chiffres froids des institutions internationales se cache une réalité : l’usure des corps, les disparités entre métiers, et la fracture grandissante entre ceux qui peuvent prolonger leur activité (cadres, professions libérales) et ceux qui s’effondrent avant même d’atteindre l’âge légal.
La question n’est pas que mathématique. Elle est profondément sociale et humaine. Derrière les chiffres froids des institutions internationales se cache une réalité : l’usure des corps, les disparités entre métiers, et la fracture grandissante entre ceux qui peuvent prolonger leur activité (cadres, professions libérales) et ceux qui s’effondrent avant même d’atteindre l’âge légal.
Le paradoxe générationnel
Il y a un autre piège : en maintenant les seniors plus longtemps au travail, on réduit les marges d’insertion pour les jeunes. Au Maroc, le chômage des 15-24 ans dépasse déjà les 30 %. Allonger la durée d’activité des plus anciens pourrait assécher encore plus les rares opportunités disponibles.
C’est là que le bât blesse. Comment demander aux jeunes de patienter toujours plus longtemps avant de décrocher leur premier poste, pendant qu’on exige aux anciens de repousser toujours plus loin le moment du repos ? Cette tension intergénérationnelle est une véritable bombe à retardement sociale.
C’est là que le bât blesse. Comment demander aux jeunes de patienter toujours plus longtemps avant de décrocher leur premier poste, pendant qu’on exige aux anciens de repousser toujours plus loin le moment du repos ? Cette tension intergénérationnelle est une véritable bombe à retardement sociale.
La culture de la retraite : un acquis menacé ?
Il ne faut pas l’oublier : dans l’imaginaire collectif marocain, la retraite est perçue comme une conquête sociale. Beaucoup de fonctionnaires ou de salariés du privé l’attendent comme une délivrance. « Travailler dur, puis se reposer enfin », telle est la promesse. En bouleversant cette culture, le risque est grand de créer un sentiment d’injustice et de trahison.
Des voix syndicales rappellent déjà que « repousser à 70 ans revient à condamner une partie des travailleurs à mourir sur leur poste ». Une formule choc, peut-être, mais qui reflète une réalité tangible pour certains secteurs.
Des voix syndicales rappellent déjà que « repousser à 70 ans revient à condamner une partie des travailleurs à mourir sur leur poste ». Une formule choc, peut-être, mais qui reflète une réalité tangible pour certains secteurs.
Les pistes d’accompagnement oubliées
La Banque mondiale elle-même reconnaît qu’un simple relèvement de l’âge n’est pas une solution magique. Elle insiste sur la nécessité d’une approche globale :
améliorer la santé préventive et l’accès aux soins pour les seniors,
développer des formes de travail flexibles, à temps partiel ou aménagées,
instaurer une véritable assurance dépendance,
adapter le marché du travail pour réduire les discriminations liées à l’âge.
Autrement dit, repousser l’âge sans transformer le modèle social reviendrait à bricoler au lieu de réformer. Le Maroc a donc devant lui un choix politique majeur : prendre le temps de bâtir une réforme inclusive, ou céder à la pression comptable des bailleurs internationaux.
améliorer la santé préventive et l’accès aux soins pour les seniors,
développer des formes de travail flexibles, à temps partiel ou aménagées,
instaurer une véritable assurance dépendance,
adapter le marché du travail pour réduire les discriminations liées à l’âge.
Autrement dit, repousser l’âge sans transformer le modèle social reviendrait à bricoler au lieu de réformer. Le Maroc a donc devant lui un choix politique majeur : prendre le temps de bâtir une réforme inclusive, ou céder à la pression comptable des bailleurs internationaux.
L’enjeu politique : courage ou calcul ?
La question est éminemment politique. Les gouvernements successifs ont reculé devant la grogne sociale chaque fois que le sujet est revenu sur la table. Car toucher à la retraite, c’est s’attaquer à une ligne rouge. Pourtant, la bombe démographique est là, et le temps joue contre nous.
Un choix courageux consisterait à dire la vérité aux citoyens, à ouvrir un débat national clair, et à mettre sur pied un compromis réaliste : peut-être une retraite flexible, où ceux qui le souhaitent (et le peuvent) prolongent leur activité, tandis que ceux qui exercent des métiers pénibles partent plus tôt.
Un choix courageux consisterait à dire la vérité aux citoyens, à ouvrir un débat national clair, et à mettre sur pied un compromis réaliste : peut-être une retraite flexible, où ceux qui le souhaitent (et le peuvent) prolongent leur activité, tandis que ceux qui exercent des métiers pénibles partent plus tôt.
À charge et à décharge : que penser vraiment ?
Pour certains : il est indécent de demander aux Marocains de travailler jusqu’à 70 ans alors que beaucoup peinent déjà à tenir jusqu’à 60. L’allongement de l’âge légal risque de creuser les inégalités, d’alimenter le chômage des jeunes et de briser la promesse d’une vieillesse digne.
Pour d'autres : la réalité est que les caisses se vident. Sans mesures drastiques, le système pourrait s’effondrer, laissant des millions de retraités sans ressources. Ne pas agir serait tout aussi irresponsable.
Le Maroc est donc face à un dilemme cruel : repousser encore les limites, ou trouver une nouvelle équation sociale.
Pour d'autres : la réalité est que les caisses se vident. Sans mesures drastiques, le système pourrait s’effondrer, laissant des millions de retraités sans ressources. Ne pas agir serait tout aussi irresponsable.
Le Maroc est donc face à un dilemme cruel : repousser encore les limites, ou trouver une nouvelle équation sociale.
Un débat que le Maroc ne peut plus esquiver
Peut-on demander à un peuple de travailler plus longtemps quand une partie peine à trouver du travail tout court ? Peut-on prolonger l’âge de la retraite sans renforcer la santé publique, sans adapter les postes de travail, sans créer un marché inclusif pour les jeunes ?
La Banque mondiale a lancé le pavé. Mais la réponse ne peut pas venir uniquement de Washington. Elle doit naître ici, au Maroc, dans un débat transparent et collectif, où syndicats, employeurs, jeunes et seniors auront leur mot à dire.
La retraite à 70 ans : provocation ou nécessité ? Le Maroc doit choisir sa voie. Et vite.
La Banque mondiale a lancé le pavé. Mais la réponse ne peut pas venir uniquement de Washington. Elle doit naître ici, au Maroc, dans un débat transparent et collectif, où syndicats, employeurs, jeunes et seniors auront leur mot à dire.
La retraite à 70 ans : provocation ou nécessité ? Le Maroc doit choisir sa voie. Et vite.