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UE-Maroc: retour sur la taxe carbone


Par Mustapha Sehimi

Dans trois mois, le 1er janvier 2026, va entrer en vigueur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de 1'Union européenne. Cela va peser sur les exportations marocaines. Le Royaume est-il prêt ? Mustapha Sehimi explique l'impact de ce risque commercial.



La décision de création de ce MACF a été prise, voici près de trois ans, le 17 décembre 2022 par la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'UE.

Mustapha SEHIMI : Professeur de droit (UMV Rabat), Politologue
Mustapha SEHIMI : Professeur de droit (UMV Rabat), Politologue
Elle vise les produits " les plus exposés à un risque de fuite carbone ». Elle devait permettre d'étendre les normes environnementales aux entreprises exportant en Europe.

Il s'en suit qu'une activité économique serait considérée comme polluante devrait donc avoir à payer une taxe pour ses exportations vers l'UE. En vigueur le 1er octobre, elle a cependant retenu une phase de transition de 3 ans. Il est prévu l'application" complète" de ce mécanisme le 1er janvier 2026. Il est attribué des quotas d'émission de gaz à effet de serre (GES) aux entreprises.
 

Celles qui ne seront pas en mesure de les respecter devront payer un surcoût estimé à 87 euros par tonne de CO2, soit près de 900 dirhams. Les émissions GES sont classées en trois catégories: celles provenant de la combustion d'énergie fossile dans la fabrication directe dans la fabrication directe du produit; celles indirectes liées aux consommations d'énergies nécessaires à la fabrication du produit; et enfin celles liées aux autres étapes du cycle de vie du produit tels que l'approvisionnement, le transport ou la fin de vie.

Dans un premier temps, seules les émissions directes seront intégrées par 1'UE afin de calculer le bilan carbone des productions étrangères.


Faire face

Comment le Maroc fait-il face à cette situation ? Rabat considère que cette taxe carbone peut potentiellement présenter un levier de compétitivité important pour les entreprises installées au Maroc. Référence est faite en particulier au recours accru aux technologies digitales
Comment le Maroc fait-il face à cette situation ? Rabat considère que cette taxe carbone peut potentiellement présenter un levier de compétitivité important pour les entreprises installées au Maroc. Référence est faite en particulier au recours accru aux technologies digitales
Comment le Maroc fait-il face à cette situation ? Rabat considère que cette taxe carbone peut potentiellement présenter un levier de compétitivité important pour les entreprises installées au Maroc. Référence est faite en particulier au recours accru aux technologies digitales et à la transformation numérique des acteurs économiques. Une possibilité donc de lever les barrières logistiques et les contraintes géographiques.

Plus de 65% du commerce se fait avec l'UE. De plus, ce sont pas moins de 80 % des exportations de la région Tanger-Tétouan Al Hoceima qui sont à destination du marché européen. Le risque est réel de voir cette région pénalisée et de subir ainsi une augmentation significative de ses charges pour un ajustement carbone aux frontières. Il en est de même d'autres secteurs: les industriels des secteurs de l'automobile, la parachimie, l'électricité, les fertilisants, l'agro-alimentaire et le textile.

S'impose pour le Maroc cette nécessité: la mise en place d'une stratégie d'optimisation énergétique. Celle-ci doit se décliner comme suit: un marché carbone national et des mécanismes de certification de l'empreinte carbone des produits marocains.

Des initiatives ont été lancées par le département de l'industrie pour accélérer la décarbonation de l'économie nationale et promouvoir l'émergence d'un écosystème favorable à 1'économie verte: le programme "Tawtir croissance verte " concernant la réduction de la pollution industrielle des TPME, la création de lignes de financement par des partenaires européens (Green Value Chain, Green Economy Financial Facility...). Des fonds de financement des technologies vertes et des énergies renouvelables.


Pour une taxe nationale carbone

Quel est aujourd'hui l'état des lieux ? Pour ce qui est des émissions GES, le taux est faible avec 86.127, 7 giga grammes d'équivalent dioxyde de carbone en 2016, soit 0,2% des émissions mondiales de GES. Les ambitions ne manquent pas. Il faut rappeler que depuis une quinzaine d'années, le Maroc s'est engagé massivement dans un processus de transition énergétique. Il a soumis en 2021 sa nouvelle contribution, déterminée au niveau national au Secrétariat exécutif de la Convention-cadre des Nations Unies (CDN). Il revoit ainsi à la hausse la réduction de ses émissions GES de 45 % d'ici 2030, l'objectif étant de 18 %.

Dans le détail, quel est le programme ? Il s'agit de 61 projets d'atténuation dont 27 sont conditionnés par un soutien international. Les secteurs concernés sont nombreux- énergie, industrie, BTP, transport, agriculture, etc. Des solutions techniques, économiques et sociales sont étudiées pour faire face aux nouvelles règlementations étrangères. Le coût total de cette actualisation est estimé à 38 milliards de dollars…
 

Le CESE a planché sur cette question. Qu'en retenir ? L'institution d'une taxe carbone nationale en riposte. Cette taxe serait progressive. Elle accompagnerait la décarbonation industrielle et renforcerait les capacités de contrôle et de vérification des émissions. Elle ciblerait les secteurs les plus exposés (ciment, acier, engrais) avec un tarif entre 5 et 10 dollars la tonne de CO2. Quel est l'objectif ? Stimuler la décarbonation, éviter que les recettes du MACF ne profitent exclusivement à Bruxelles, générer enfin jusqu'à 3 milliards de dirhams par an pour financer la transition.
 

Le CESE a été explicite à cet égard. Face à ce défi, le Maroc doit accélérer sa transition vers rune économie bas carbone, garantir l'accès de toutes les entreprises à l'électricité verte et mettre en place une gouvernance nationale pour accompagner la mise en œuvre du MACF. Il faut ajouter que depuis 2021, 1'industrie marocaine s'est engagée dans cette voie sur la base de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).

Dans cette transformation, il vaut de noter une grande locomotive, le groupe OCP, qui a converti 90% de son énergie à partir de sources renouvelées, remplacé le transport terrestre par un pipe line, planté 4,5 millions d'arbres et adopté de strictes normes de calcul carbone. Mais d'autres opérateurs industriels disposent-ils des mêmes moyens? C'est encore plus vrai pour les PME exportatrices. La CGEM a saisi le gouvernement pour une aide et un financement approprié.


Acteur régional majeur

Dans son avis en date du 28 août 2025, le CESE a mis également l'accent contre une lecture purement technique du MACF. Il a évoqué ainsi "le risque d'une barrière commerciale déguisée, appliquant unilatéralement des standards européens sans prendre en compte le principe de transition inscrit dans l'accord de Paris. Si pour l'heure, à court terme, seules 4% des exportations marocaines vers l'UE sont concernées - surtout les engrais- l'extension du MACF pourrait toucher des secteurs stratégiques (automobile, aéronautique).
 

Cela dit, à l'international, le Maroc est bien coté dans la course à la neutralité carbone avec la 8e place de 1'Indice de Performance Climatique 2025. Il est reconnu comme un acteur régional majeur en matière de développement durable et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il priorise le développement durable avec l'objectif ambitieux de 52 % d'énergies renouvelables dans son "Mix" énergétique d'ici 2030. Il est leader en Afrique et dans le monde arabe et surclasse même des pays comme la Norvège (9e), la Suède (2 e) et l'Allemagne (16 e)

PAR MUSTAPHA SEHIMI/QUID.MA



Vendredi 10 Octobre 2025